SAINTE-MARIE - La vraie fausse épave de La Vierge du Cap

Longtemps objet de fascination, La Vierge du Cap, navire portugais du XVIIIe siècle saisi en 1721 par le célèbre pirate Olivier Levasseur, dit « La Buse », alimente depuis plusieurs années les fantasmes autour de son trésor supposé. L’annonce de sa découverte, au large de l’îlot Madame à Sainte-Marie, a relancé les spéculations. Mais les recherches menées récemment par le docteur Jean Soulat, archéologue et chercheur associé au CNRS, appellent à la prudence : l’identification de l’épave reste, à ce stade, incertaine.

Bol en porcelaine chinoise venant de l’épave.

Une histoire entre mythe et méthode scientifiqueLa nouvelle a fait grand bruit. Plusieurs articles, relayés par la presse et divers sites, ont affirmé la redécouverte de la Nossa Senhora do Cabo (La Vierge du Cap), présentée comme le bâtiment capturé par La Buse dans la rade de La Réunion en avril 1721, puis remorqué à Sainte-Marie pour y être réparé durant près de dix mois. Si les archives confirment l’existence du navire et l’ampleur de sa cargaison, peu de sources attestent de sa localisation exacte, et encore moins de sa présence dans les eaux de l’îlot Madame. Cela n’a pas empêché certains titres d’avancer un chiffre spectaculaire : un trésor évalué à 138 millions de dollars.

Face à ces assertions, les campagnes de fouilles archéologiques conduites en 2024 et 2025 par le CNRS viennent tempérer l’enthousiasme. L’épave, retrouvée à sept mètres de profondeur, n’a pas encore pu être formellement identifiée. Le docteur Jean Soulat, à la tête de l’équipe de recherche, a publié un état des lieux circonstancié.

« Nous avons exploré environ 40 m² en 2024 et 2025, soit 20 % de l’épave, de l’avant à l’arrière sur son flanc tribord. 27 m de long sont visibles mais le bateau devait faire près de 40 m pour 11 m de large. Il pourrait s’agir d’un navire de la Compagnie des Indes orientales, portugaise ou hollandaise. À ce jour, l’épave n’est toujours pas identifiée car il s’agit d’un travail long, sur plusieurs années, avec une fouille archéologique plus exhaustive », confie-t-il à L’Express. Il confirme également qu’aucune source d’archives ne parle pour l’instant de cette épave. « Les archives anglaises évoquent quatre épaves dans la baie qui ne correspondent pas à ce bateau. Néanmoins, nous savons qu’il s’agit d’un navire pris par les pirates et amené à Sainte-Marie vers 1721 », explique le chercheur.

Découverte d’une statuette en ivoire de Saint-Jean fabriquée à Goa.

Un corpus d’objets aux origines multiples

Les campagnes de fouilles ont permis la mise au jour de plus de 1 500 objets, issus de cultures et d’aires géographiques variées. Parmi eux : de la porcelaine chinoise de la fin de la période Kangxi, des bouteilles mogholes qulāl, une bague en jade, une pipe, des monnaies en cuivre, ou encore une statuette en ivoire de Saint-Jean, sculptée à Goa sous influence jésuite à la fin du XVIIe siècle. Cinquante fragments de porcelaine portent des motifs d’aigle bicéphale, emblème des Habsbourg, dynastie alors au pouvoir au Portugal et en Espagne. L’un des fragments arbore les armoiries du comte d’Ericeira, Luis de Meneses, vice-roi des Indes portugaises entre 1717 et 1721. Ces éléments renforcent la corrélation entre le contenu de l’épave et la cargaison présumée de La Vierge du Cap.

Capturé en avril 1721 par La Buse dans la rade de Saint-Denis de La Réunion, le navire commandé par Luis de Meneses aurait ensuite été dirigé vers Sainte-Marie. Après dix mois de réparation, il aurait quitté l’île en direction du nord de Madagascar.

« Nous pensons qu’une partie de la cargaison a été transférée sur un autre bateau — l’épave sur laquelle nous fouillons — avant que celui-ci ne coule pour une raison, pour l’instant inconnue. En complément, nous savons qu’une partie de la cargaison de ce bateau a été débarquée à terre, puisque les fouilles de l’habitat pirate que nous avons effectuées livrent les mêmes objets (porcelaine chinoise avec l’aigle bicéphale et restes de bouteille qulāl moghole) », explique Jean Soulat.

Découverte  en cours des bouteilles mogholes  sur l’épave.

Conservation et valorisation d’un patrimoine immergé

Charles-Mézence Briseul, biographe de La Buse, a quant à lui exprimé ses doutes auprès de Réunion 1ère, estimant que cette épave ne saurait correspondre à La Vierge du Cap. Il s’appuie notamment sur des sources historiques indiquant que le navire aurait quitté Sainte-Marie. « Après leur passage à Sainte-Marie, La Buse et Taylor sont repartis en mer, ils se sont disputés. La Buse a pris le large de son côté avec des hommes sur La Vierge du Cap, qui n’était d’ailleurs pas en très bon état, et ils se sont échoués au nord de Madagascar après une tempête », a-t-il mentionné.

Madagascar a ratifié en 2001 la Convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique. Celle-ci définit ce patrimoine comme « toutes les traces d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui, au minimum depuis 100 ans, sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, sous les océans ainsi que dans les lacs et rivières ».

Dans ce cadre, les objets exhumés lors des missions à Sainte-Marie ont fait l’objet d’un inventaire rigoureux. « Tous les objets découverts, que ce soit sur l’épave ou dans les vestiges d’habitats, ont été photographiés et inventoriés sur place. Ils ont été entièrement restitués aux autorités locales à chaque fin de mission », assure Jean Soulat. Ces remises ont été réalisées en présence du préfet de Sainte-Marie et du responsable du musée local. « Ils sont désormais stockés dans les réserves, certains étant encore en traitement de dessalage, car provenant du milieu marin. Nous espérons qu’ils seront prochainement exposés au public », ajoute-t-il.

Itamara Otton

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