SECTEUR TERTIAIRE - Les industries culturelles et créatives se dynamisent

La formalisation des acteurs culturels reste un grand défi. ( Src photo : MCC )

D’après les spécialistes, les Industries culturelles et créatives (ICC) sont les filières d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation de biens, de services et d’activités qui ont un contenu culturel, artistique ou patrimonial. Et à Madagascar comme dans d’autres pays de la région, le secteur gagne en dynamisme.

Considérées auparavant comme étant un petit secteur à faible potentiel de développement et d’apport pour le Produit intérieur brut (PIB), les ICC ne cessent d’augmenter leur poids économique. Les programmes de soutien au secteur sont de plus en plus nombreux et les initiatives privées ne sont pas rares. Mais c’est aussi un domaine qui fait face à nombre de défis. Transformation des usages, concurrence accrue des acteurs, bouleversement des modes de création, de production et de diffusion sont autant d’enjeux qui traduisent des problématiques communes et invitent à développer des actions transversales à destination des ICC.

Aux yeux des partenaires techniques et financiers, le secteur des ICC est encore porté en grande partie par des initiatives individuelles, associatives ou privées qui font face à des difficultés d’accès aux financements, notamment bancaires, et à un investissement des pouvoirs publics encore faible. Cela limite l’éclosion d’entreprises culturelles viables et d’une économie de la culture dynamique. Raison pour laquelle des institutions comme l’Agence française de développement (AFD) soulignent la nécessité de diversifier les programmes d’incubation visant à accompagner financièrement et techniquement des entreprises culturelles et créatives dans leur développement afin de maximiser leur impact tant à l’échelle locale, nationale qu’internationale.

Mais les ICC génèrent déjà 45,3 milliards de dollars de revenus moyens chaque année dans la région. C’est ce que rapporte l’Étude stratégique sur le secteur des industries culturelles et créatives publiée dernièrement par l’AFD, en collaboration avec le cabinet Bearing Point. Du côté de la Banque mondiale, on reconnaît aussi l’importance stratégique de soutenir davantage ce secteur, notamment dans les pays comme Madagascar où la diversification économique est indispensable pour gagner le combat contre la pauvreté. Pour sa part, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), auteur du rapport « The Creative Economy Outlook », estime que les pays du continent peuvent générer beaucoup plus de revenus grâce au secteur.

L’une des pistes suggérées est la formalisation des emplois du secteur. Avec la majorité des emplois créés étant cantonnés dans le secteur informel, les travailleurs des ICC et leurs œuvres ne sont pas forcément protégés, ce qui peut limiter le potentiel de fourniture des biens et services sur le plan quantitatif. Et la Cnuced de faire remarquer que grâce aux récentes initiatives visant à améliorer la collecte des droits d’auteur, les artistes de la région génèrent plus de revenus.

Les initiatives se multiplient

Pour le cas de Madagascar, il est certain que des efforts importants sont encore à consentir pour promouvoir davantage les talents créatifs et mieux assurer la collecte des droits d’auteurs. La formalisation et le renforcement des capacités des acteurs du secteur demeurent aussi un grand challenge. Toutefois, force est de remarquer que les initiatives se multiplient au profit du développement des ICC. Citons à titre d’exemple ONY Academy qui propose aux jeunes des formations dans trois spécialisations : animation 3D, jeu vidéo et cinéma. Ce projet a lancé un nouvel appel à candidatures au début de cette année.

Le parcours de formation en animation 3D, baptisé Animhouse, permet aux apprenants d’acquérir des compétences en animation de personnage. Le parcours de formation en jeu vidéo, connu sous le nom de Helloworld261, permet pour sa part d’acquérir des compétences de base dans le développement de jeu vidéo dans le but de développer un prototype. Quant au parcours sur le cinéma (Workshop 7), il porte sur les techniques de fabrication d’un film du début à la fin. Les apprenants auront la possibilité de travailler directement sur des courts métrages. On sait en outre que les formations gratuites allient théorie et pratique. Elles abordent également le sujet de l’entrepreneuriat culturel. Il n’y a pas de niveau d’études requis pour participer aux formations. Cependant, il est demandé aux candidats d’avoir atteint la majorité, d’être disponibles, motivés, créatifs et d’avoir des compétences en français. D’autres exigences seront demandées en fonction du parcours de formation choisi. « Cette initiative de formation a pour objectif de former une masse critique de professionnels de l’ICC afin de créer une dynamique régionale », a-t-on aussi fait savoir.

Une autre initiative en faveur des ICC est l’événement baptisé Tokotanibe. Se présentant comme la vitrine des industries culturelles et créatives, il a été lancé l’année dernière à Antananarivo. Durant trois jours, le public a pu apprécier les créations dans le domaine des chorégraphies, le défilé original de streetwear ou encore les performances de l’orchestre de l’Académie nationale des arts et de la culture (ANAC). Sans oublier l’art oratoire et l’art visuel. Il est à souligner que cet événement est à l’initiative du ministère de la Communication et de la Culture qui bénéficie de l’appui de l’Unesco. Selon les organisateurs, il vise à rallier et regrouper tous les artistes, créateurs et acteurs de l’industrie culturelle malgache pour des journées de mise en lumière, de réseautage et de partage entre toutes les parties prenantes, mais aussi des opportunités de découverte pour le public.

Lors de sa première édition, trois catégories d’exposition ont été retenues, outre les stands des institutionnels, des prestataires événementiels et des centres culturels. Il y a eu l’exposition dédiée aux maisons d’édition et aux livres, celle sur l’art visuel et enfin l’espace dédié à la musique, la mode et le cinéma. Des ateliers et conférences sur divers thèmes récurrents ont aussi été programmés, sans oublier les performances et shows artistiques. « Chacun a pu y trouver son compte, d’autant plus que l’accès à l’événement était entièrement gratuit », a-t-on indiqué. On attend désormais de connaître les dates pour l’édition 2025 de cette manifestation.


Une bonne dynamique régionale

Sur le plan régional, les lignes bougent aussi, surtout après le lancement d’une plateforme pour dynamiser le secteur des industries culturelles et créatives dans l’océan Indien. La Commission de l’océan Indien (COI) a indiqué que l’arrivée de ce support de référence d’informations et d’échanges entre les acteurs du secteur, baptisé « Kiltir », permet de rendre plus accessible tout ce qui contribue à la vitalité de l’écosystème artistique et culturel de la région. À en croire la note d’information de la COI, c’est la première fois que l’Indianocéanie dispose d’un canal de diffusion d’informations et d’échanges sur les actions, les événements, les acteurs ou encore les opportunités en cours.

« En ciblant les acteurs culturels et les filières créatives, il s’agit aussi de dynamiser les industries culturelles et créatives qui sont de nature à agir comme des leviers importants du développement socio-économique, tant à l’échelle locale qu’à l’échelle régionale. Le soutien apporté aux acteurs et filières des ICC devra, en outre, permettre d’accompagner la reprise économique par le renforcement des filières, des métiers, des formations et par l’appui à l’innovation, à la gouvernance », a aussi expliqué cette organisation régionale dont le secrétariat général est dirigé par Edgard Razafindravahy.

Rappelons enfin que la COI est financée à hauteur de 5,2 millions d’euros par l’AFD dans le cadre de ses actions d’appui aux ICC. C’est ainsi qu’un projet qui sera exécuté jusqu’en 2027 se déploie à travers quatre composantes, qui favorisent prioritairement les femmes, parce que ces dernières sont fortement défavorisées dans le secteur des industries créatives, selon les explications de Juliette Janin, chargée de mission de la coopération culturelle au sein de la COI.

D’après les explications fournies par les responsables, l’objectif premier est d’aider chaque pays à mieux valoriser le tourisme culturel et à faire classer plus aisément son patrimoine par l’Unesco. Différentes actions concrètes ont déjà été menées, à l’instar des tablettes remises à des experts malgaches, aptes à scanner les bâtiments architecturaux. Par ailleurs, dix-neuf opérateurs culturels ont produit des podcasts sur le patrimoine matériel et immatériel de Madagascar après un appel à projet. Notons enfin que depuis le lancement du programme, plus de deux cents dossiers de candidature ont été reçus à travers les différents appels à projets. 33 % de ces candidatures viennent de Madagascar. Par ailleurs, sur seize bourses d’études attribuées, quatre bénéficiaires sont Malgaches.

TIMBUKTOO CREATIVES LAB - Pour stimuler la croissance des ICC

Les  parties prenantes s’accordent sur l’importance des formations dans les ICC. ( Src photo : MCC )

Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en partenariat avec le Craft and Design Institute (CDI), a lancé dernièrement le Timbuktoo Creatives Lab, une initiative visant à stimuler la croissance des Industries culturelles et créatives (ICC) sur le continent. Ce programme ambitionne de renforcer les secteurs tels que l’audiovisuel, le design, la musique, le multimédia, et la préservation du patrimoine culturel.

Le PNUD a fait savoir que les entreprises sélectionnées auront l’opportunité de bénéficier d’un accompagnement non financier, incluant des formations et des ateliers pour le développement de compétences, ainsi que d’un soutien financier sous forme de subventions sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques de croissance de chaque entreprise. « En encourageant les entrepreneurs créatifs et en catalysant de nouveaux modèles d’affaires, nous ne nous contentons pas de débloquer des opportunités économiques, mais nous façonnons également un nouveau récit pour l’Afrique, guidé par l’ingéniosité de sa population », a expliqué Maxwell Gomera, directeur du Centre de financement durable du PNUD en Afrique.

Pour cet organisme onusien, les ICC démontrent leur impact économique majeur en contribuant à 3 % du PIB mondial et en générant chaque année plus de 2 250 milliards de dollars. En Afrique, elles sont en pleine expansion, avec un marché estimé à plus de 40 milliards de dollars. Les principaux pays d’Afrique subsaharienne générant des revenus grâce aux ICC sont l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Éthiopie, bien que leur impact soit encore largement sous-exploité sur le continent. Et les pays qui ont encore du retard à rattraper, comme Madagascar, devraient être accompagnés plus activement.

Pour Erica Elk, directrice générale du CDI, les Industries culturelles et créatives ont un énorme potentiel inexploité. Grâce au Timbuktoo Creatives Lab du PNUD, il sera possible de fournir aux entrepreneurs créatifs les outils, les réseaux et les connaissances dont ils ont besoin pour se développer et être compétitifs sur la scène mondiale. Les entreprises intéressées, en plus d’être actives dans les secteurs des ICC définis, doivent être enregistrées, avoir entre deux et cinq ans d’activité et un chiffre d’affaires annuel d’au moins 10 000 dollars.

VERBATIM


Jean-Pierre Elong Mbassi,  secrétaire général CGLU Afrique

« Le champ culturel et créatif constitue un levier économique considérable. Si les industries culturelles et créatives sont les secteurs économiques à la croissance la plus rapide au monde, l’Afrique ne bénéficie jusqu’ici que d’une très faible part du marché mondial. Mais avec une jeunesse talentueuse, le continent a le potentiel de tirer partie de ces secteurs pour booster son économie. Les Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) Afrique sont prêts à relever le défi. »


Andrianintsoa Faly Ratovonirina,  directeur général de la Culture auprès du ministère de la Communication et de la Culture

« Le ministère chargé de la Culture travaille sur des projets, dont ceux axés sur la finalisation du statut des artistes et la préservation et la valorisation du patrimoine. La mise en exergue des “mpanao hira gasy” n’est pas en reste. Par ailleurs, la promotion des industries culturelles et créatives est appelée à se renforcer. Nous accordons une place de choix au volet économique de la culture et nous déployons des efforts importants afin que le métier d’artiste ne soit plus à l’avenir un travail formel précaire ».

LE SECTEUR DES ICC EN CHIFFRES

L'Express de Madagascar

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne