À la hauteur d’Antananarivo

L’expression de «bon vieux temps» ne s’applique jamais aussi bien qu’à Antananarivo : les photos anciennes nous montrent une Capitale ordonnée et propre. À des années-lumière de l’extrême promiscuité actuelle et de cette anarchie qui envahit doublement l’espace collectif et les mentalités individuelles.  

Sur les premières cartes postales (cf. La collection de 775 cartes postales éditées par Jean-Pierre Pénette et Christine Lohau Pénette, «Tananarive»), on voit l’avenue Fallières qui conduit à la gare de Soarano ou qui en part (selon que l’on soit arrivé en train), dégagée et tracée avant la construction des «Arcades» (en rez-de-chaussée, mais terrasses et pergolas deux étages plus haut). 

Démonstration d’un urbanisme à la française, parfaitement rectiligne et bien au cordeau, qui ne trouva pas à s’exprimer sur les collines imériniennes alentour, cette trouée haussmanienne ne pouvait que porter le nom d’un président de la République française, en l’occurrence celui d’Armand Fallières, en poste de 1906 à 1913. 

Sur d’autres images, autour de 1900, le Zoma d’Analakely est d’abord successivement une simple esplanade à ciel ouvert avant d’abriter un alignement discipliné de «pavillons» en roseaux et toit de chaume. Les archives ultérieures, 1930-1950, montrent les actuels pavillons avec leur architecture caractéristique à laquelle on a fini par s’habituer et s’attacher en quatre-vingt-dix ans. 

Catherine Fournet-Guérin («Vivre à Tananarive. Géographie du changement dans la capitale malgache», Karthala, 2007, pp.51-52) situe l’histoire de cet ensemble urbain tananarivien : «L’amènagement architectural de l’avenue Fallières (années trente), par Collet du Cantelou, contribue à lancer définitivement cet espace, où des repères puissants et durables se mettent en place : la gare (construite dès 1910), l’hôtel de ville et les arcades, achevés en 1936. L’avenue monumentale, large de quatre-vingts mètres, longue de six cents mètres, est garnie de deux rangées d’arbres, de pelouses et de parterres, et bordée par un ensemble architectural parfaitement homogène. L’ensemble exerce un pouvoir d’attraction et de fascination jamais démenti depuis. Ainsi, durant la période coloniale se développe un nouveau quartier, Analakely. Les Tananariviens se sont approprié cet espace, pourtant si différent de leur mode d’organisation de l’espace urbain. La raison de cette si facile acceptation du nouveau centre est toutefois liée au déplacement et à l’organisation du marché du Zoma à Analakely : si les Tananariviens ont adhéré à cet aménagement colonial, c’est essentiellement parce que l’esprit même du marché a été conservé, c’est-à-dire sa fonction de sociabilité et d’agora».

Le 31 octobre 1938, afflua sur cette avenue monumentale d’Analakely jusqu’à la gare de Soarano, la foule immense venue accueillir les cendres de la Reine Ranavalona III, morte en exil à Alger en 1917. La monumentalité de cette avenue lui confère une première distinction que vient rehausser l’harmonie architecturale des édifices qui la bordent et l’accompagnent depuis la Gare. Sa perspective n’est jamais aussi bien mise en valeur que tant qu’aucune pièce rapportée saugrenue ne vienne dépareiller l’équilibre ainsi atteint. 

Stands de bric et de broc ou kiosques de bric-à-brac sont autant de «pièces rapportées» qui pervertissent l’architecture de cette avenue, qui fut également de «La Libération», celle de 1945 en Europe, et aujourd’hui de «L’Indépendance», restaurée en 1960. La forêt des parasols blancs du Zoma est devenue une jungle automobile laide à souhait. Nous voilà bien loin des perspectives «carte postale» d’antan. Qui pour se souvenir que, gérer Antananarivo ne se fait pas au ras des pâquerettes, mais exige de prendre de la hauteur. Vue, perspective, paysage.

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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