Des années de vie sauvage pour un Hollandais

Un « Lohavohitsy » ou maître du village (à dr.)  avec son épouse et leurs gardes.

Le jeune Pitre, fils du capitaine d'un navire hollandais, est le seul survivant d'un naufrage dans l'Extrême-Sud de Madagascar au XVIIe siècle. Avant de mourir, son père lui confie deux bagues en or ornées chacune d'un diamant de la taille d'une noisette. Il garde cachées ces précieuses pierres en tournant les chatons vers la paume de sa main et ne les montre pas à son sauveur, le roi Andriamamory, que lorsqu'il gagne toute sa confiance (lire précédente Note).

Quand il retourne enfin ses anneaux, « ce fut un éblouissement. Sous le soleil, les splendides diamants des Indes jetaient tous les feux de leurs facettes » (le voyageur Robert Valmy). En reconnaissance pour l'accueil dont il a été l'objet, il offre l'une des bagues au roi. Celui-ci a un mouvement de surprise, inquiet en croyant que le jeune Pitre est un sorcier blanc.

« Cette pierre brillante que tu portes ressemble à notre ‘vatovelo’ (cristal de roche) qui est une pierre vivante. C'est lui que nos ‘ombiasy’ déposent près d'eux sur la natte, quand ils consultent les graines qui parlent, pour connaître l'avenir par l'intermédiaire du ‘sikidy’. Tes pierres qui sont mille fois plus brillantes que les nôtres, doivent posséder une immense puissance ; sans doute ont-elles la force d'un milan qui peut s'emparer de tous les autres oiseaux. »

Ce que dénie le jeune Pitre qui précise que le diamant et l'anneau d'or- « métal sacré pour les Malgaches »- sur lequel il est serti, procureront au roi richesse et puissance. « Seul à en posséder une pareille, tu deviendras le maître d'un plus grand pays et abattras tous tes ennemis. » Le roi le remercie en offrant au jeune homme sa fille Imbola pour épouse.

Le jeune Pitre qui a l'esprit d'aventure, se plaît de cette vie sauvage, d'autant que sa jeune épouse aux traits assez fins, satisfait tous ses désirs. Peu à peu, il « se décivilise » et devient un vrai Karimbola. Il vit ainsi deux ans au milieu des autochtones qui le considèrent comme l'un des siens. Parent du roi Andriamamory, il ne peut se lier par le sang avec lui. Aussi, le fait-il avec un autre chef important de la contrée.

La présence de ce Blanc installé au milieu des « tribus sauvages » de l'Extrême-Sud finit par se transmettre de bouche en bouche jusque chez les lointains habitants de la province de Carcanoussi (Anosy) sur la côte Est. Leur roi, Andriantsiambany qui a souvent l'occasion d'entrer en contact avec des navigateurs européens, demande à Andriamamory de lui céder le jeune Pitre contre treize bœufs.

Le marché est conclu. Pitre doit abandonner sa jeune épouse dont il fait don à son frère de sang. Il part non sans regret pour l'Anosy, riche de son seul diamant.

Arrivé à Taolankara, il reçoit le meilleur accueil de son nouveau seigneur et maître. Comme le chef Karimbola, celui-ci lui donne l'une de ses filles « pour lui tenir compagnie et le divertir », ainsi que des esclaves pour le servir, et tout ce qui ce qui lui est nécessaire pour vivre et « pour ses commodités ».

Cette nouvelle existence est exempte de souci. La possession du précieux diamant en impose aux autochtones et le roi n'est pas loin de lui attribuer une puissance occulte. « Les feux qu'il jetait, avaient une apparence surnaturelle et parfois, la pierre prenait une si grande clarté qu'elle éclairait la case. De telles lueurs devaient être une émanation de la divinité. »

Puis un jour de l'an 1625, un navire hollandais vient se ravitailler au petit port de Manafiafy, à quelques kilomètres au nord de Taolankara. Le roi Andriantsiambany y envoie Pitre avec une trentaine d'hommes porter sa part de présents au capitaine du navire: cinquante bœufs, cinquante corbeilles de riz, cinquante volailles, du miel, du vin de miel, des tubercules comestibles. Il en donne aussi moitié autant à Pitre pour que celui-ci puisse offrir un cadeau à ses compatriotes.

Sa présence provoque la grande surprise parmi ces derniers. Lui-même, en les voyant et en parlant de nouveau sa propre langue, est saisi de nostalgie. 

Il retourne, cependant, à Taolankara accompagné de quelques officiers hollandais porteurs de riches cadeaux pour le roi: 100 piastres, six pièces de toile, des couvertures des Indes, des étoffes de soie, de la vaisselle de porcelaine. Ses compagnons demandent à Andriantsiambany la liberté de leur compatriote.

Le roi, heureux des présents reçus, ne peut la refuser. Pitre embarque quelques jours plus tard.

De retour dans son pays, il vend la précieuse pierre et peut vivre désormais une vie sans histoires. Sans doute, de temps à autre, pense-t-il avec nostalgie à ses deux petites épouses successives lointaines.

Pela Ravalitera

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