Simplicité cynique

L’anecdote appartient à l’histoire qui rapporte un dialogue ayant eu pour personnages principaux Alexandre le Grand et un individu original qui vécut dans une amphore et dont les paroles pouvaient foudroyer leurs cibles. Le conquérant demanda à son interlocuteur ce qu’il pouvait lui offrir, une offre du maître du monde similaire à ce qui était à la portée incommensurable du génie de la lampe. Mais le « chanceux » ne formula qu’une requête : qu’Alexandre se retire de son soleil qu’il occultait. Cette discussion contribua à la postérité de Diogène et de l’école cynique, cette mentalité philosophique insensible aux richesses et aux honneurs de ce monde.

La suite n’a pas été oubliée. « Si je n’avais pas été Alexandre », s’exclama le grand homme, « j’aurais aimé être Diogène ». Il faut noter que celui qui a créé le plus grand empire de son temps était un disciple d’Aristote, qui, rappelons-le, a donné un nom à cette faim insatiable qui court après l’argent et qui devint la fin de cette course interminable : la chrématistique, une des nombreuses tendances humaines attaquées par le cynisme et ses représentants qui ont prôné un retour à la nature, loin des conventions humaines qui ont perverti l’homme, possédé par la quête de gloire et de richesse, une réalité qui est aussi constante que la succession des années.

Les cyniques, du terme grec « Kynos » qui signifie chien, constituaient une partie réactionnaire contre l’ « ordre » grec vu comme artificiel et comme un feu qui attise les vices et les maux qui sont toujours ceux de l’époque contemporaine, d’après un point de vue cynique qui a aussi survécu à ses fondateurs. Ces hommes et femmes, partis à la reconquête de la nature en pratiquant, en public, ce que la morale cantonne dans les limites de la vie privée, comme s’adonner aux plaisirs de la chair, font alors contrepoids à la masse avalée dans le piège du luxe qui s’exprime, encore de nos jours, par la voix du consumérisme, en exaltant une simplicité extrême qui poussa Diogène à jeter son écuelle quand il vit un enfant n’utiliser que sa main pour boire.

Le cynisme authentique, pas encore métamorphosé en vice par le langage courant, est au contraire opposé à l’hypocrisie qui peut toujours être présente comme plaie au sein du système conformiste. C’est Tyler Durden, dans le roman Fight Club (C. Palahniuk, 1996) et son adaptation cinématographique par David Fischer, incarnation du rejet de l’emprise du capitalisme d’où sont issus les maux et les fourberies de la société. C’est Christopher McCandless qui, dans le film Into the Wild (S. Penn, 2007), abandonne les biens matériels pour renouer avec la simplicité de la nature. Tous partagent une vision pessimiste du politiquement correct. Et à l’instar d’Alexandre le Grand, on envie peut-être un peu, tous, le cynisme de Diogène.

Fenitra Ratefiarivony

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