J’avais conservé cet entretien d’Alain Minc avec le Figaro Magazine, du 18 janvier 2003. Vingt ans déjà. Mais, d’une grande actualité comme toutes les réflexions vraies, en avance sur leur temps, et vouées à l’incompréhension sinon à l’excommunication.
Alain Minc, qui se définit volontiers comme fils de Juifs polonais et enfant de l’intégration républicaine, venait alors de publier «Épîtres à nos nouveaux maîtres» (Grasset et Fasquelle, 2002). Il entama l’entretien en rapportant les propos de François Furet qui, à chacun de ses retours des États-Unis, aurait dit : «Puisse cela ne pas nous arriver !». Celui-ci craignait le politiquement correct, le communautarisme, le culte des minorités, tout en ayant conscience que leur arrivée en Europe était inéluctable. Cependant, reprit Alain Minc, «qu’on le veuille ou non, l’Amérique est synonyme de démocratie. Celle-ci peut être sujette à des dérapages, mais ses excès sont toujours compensés par un retour de balancier».
Alain Minc qualifiait «le mythe de la parité» de «cinéma idéologique». En quoi la féminisation du vocabulaire, s’offusque-t-il, fait-elle progresser la condition des femmes dans les usines, en quoi met-elle fin à la condition des femmes battues ? «Non à la parité, oui à l’égalité» !
Alors que le nouveau Premier Ministre français évoque son homosexualité dans son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, vingt ans auparavant Alain Minc plaidait pour le droit à l’indifférence allant jusqu’à ne pas s’opposer à leur droit au mariage ou à l’adoption. Ce droit à l’indifférence est censé balayer tout droit à la différence. En tennis, il n’y a pas de tournois pour les gauchers et un tournoi pour les droitiers.
Le «Lider Maximo» d’il y a vingt ans s’appelait José Bové. Un irréductible Gaulois moustachu destructeur de MacDo. Alain Minc dénonçait les génuflexions devant José Bové auxquelles se seraient livrés Jospin et Chirac, en lutte pour la présidentielle d’avril 2002. L’héritier de Bové dans l’outrance serait aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon auquel une complaisance «politiquement correcte» s’interdit de lui dire son fait. Hier, José Bové refusait de condamner les attentats suicides au Proche-Orient ; aujourd’hui «La France insoumise» se rend au chevet du Hamas à Gaza, tout en relativisant ses crimes du 7 octobre contre des civils israéliens.
Ce 11 février 2024, le Ministre français de l’Intérieur annonçait la suppression du droit du sol à Mayotte (73% des Français y seraient favorables selon un sondage CSA pour Europe 1, CNews et JDD). Il y a vingt ans, Alain Minc évoquait déjà cette conception à la française de «l’intégration fondée sur le droit du sol et la transmission d’une culture universaliste». La France, disait-il, a «abdiqué la plus noble de ses traditions, la machine à intégrer, suite au déclin de ses structures d’encadrement : école, armée, partis politiques, syndicats, églises». Il se disait «épouvanté» à l’idée que la machine à intégrer ne fonctionne plus : «Si les excès communautaristes du type gays (qui «ne doivent pas former une communauté structurée»), féministes («le féminisme atteint parfois des sommets dans le ridicule et la caricature»), s’effaceront avec le temps, les communautarismes ethniques, religieux ou tribaux ne sont pas près de disparaître».
Alain Minc s’en prenait également aux «sacro-saintes ONG», auxquelles il dénie le droit de donner des leçons de gouvernance : «Les hommes politiques remettent régulièrement leur mandat en question par le biais du suffrage universel ; les chefs d’entreprise sont contrôlés par des assemblées d’actionnaires ; les syndicalistes sont élus par leur congrès ; mais on ignore tout du fonctionnement des organes de pouvoir et du système financier de la plupart de ces ONG qui font la morale à la terre entière».
Dans «Épîtres à nos nouveaux maîtres», Alain Minc interpellait les «maîtres du moment» : féministes, gays, communautaristes, apôtres du populisme. Est devenue dominante l’idéologie de ceux qui ont l’intelligence de se présenter encore comme les dominés. Mais, pourquoi les «nouveaux maîtres» échapperaient-ils à toute interpellation ? Pourquoi, exhibant, tels des quartiers de noblesse, leurs souffrances passées ou leur marginalité d’hier, seraient-ils à l’abri de la critique ?»
L’entretien avec le Figaro s’était conclu par une interpellation des élites : «La première forme d’abdication des élites est de ne pas oser s’affirmer. C’est pourquoi j’abhorre le culte bonasse et patelin de la «France d’en bas», version douce de l’anti-élitisme. Parler de la «France d’en bas» revient à attribuer tous les torts à «ceux d’en haut». C’est une chose de penser que la société doit être assez mobile pour que ceux d’en haut ne soient pas toujours les mêmes, mais c’en est une autre de considérer que la raison appartient toujours à ceux d’en bas et les torts à ceux d’en haut. L’enjeu, pour les élites, n’est ni de plaider coupable ni de battre leur coulpe, encore moins d’étaler leurs vertus, mais de tenir au mieux le rôle qui leur a été dévolu par la société : assumer».
Nasolo-Valiavo Andriamihaja