Les mots font sens. Celui de «génocide», particulièrement, véhicule une surcharge émotionnelle depuis ses nombreuses occurrences au XIXème siècle : Arménie, Allemagne, Cambodge, Yougoslavie, Rwanda. Il n’était donc pas innocent que l’Afrique du Sud, évoque, invoque et convoque ce mot de «génocide» dans sa mise à l’Index d’Israël devant la Cour internationale de Justice (requête introductive d’instance en date du 29 décembre 2023).
Le 9 novembre 2023, lors d’un entretien avec l’ambassadeur d’Israël auprès de l’Afrique du Sud, le chef de cabinet du ministère sud-africain des relations internationales et de la coopération déclarait que même si l’Afrique du Sud condamnait les attaques menées par le Hamas contre des civils, elle considérait que la réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre 2023 était illicite.
Ladite CIJ a rendu, ce 26 janvier 2024, une ordonnance au titre de «l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza». Les juges de la CIJ ont majoritairement voté en faveur de «mesures conservatoires» pour «prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de la convention sur le génocide. Notons, pour les six votes distincts, l’opinion dissidente de Mme Sebutinde, citoyenne ougandaise, aussitôt désavouée par le gouvernement de son pays.
Personne ne souhaite les souffrances qu’on imagine endurées par la population civile de Gaza, et largement détaillées par les différents rapports cités par la CIJ (93% de la population atteint des taux de famine critique, selon l’OMS ; 360.000 logements détruits selon OCHA ; abris surpeuplés et insalubres selon UNRWA). Néanmoins, on peut s’étonner que le reste du monde ne trouve aucun mot de sympathie équivalent au «retour dans leurs foyers, en toute sécurité et dans la dignité, des Palestiniens déplacés de force ou enlevés» en faveur de la centaine d’otages israéliens, dont des nouveaux-nés, enlevés par le Hamas dans l’attaque terroriste du 7 octobre 2023.
Heureusement, en introduction, la CIJ commença par «rappeler le contexte récent dans lequel la présente affaire a été portée devant elle. Le 7 octobre 2023, le Hamas et d’autres groupes armés présents dans la bande de Gaza ont mené une attaque en Israël, tuant plus de 1200 personnes, en blessant des milliers d’autres et emmenant quelque 240 otages, dont beaucoup sont encore retenus captifs».
Et heureusement encore, en dernier point de ses conclusions, la CIJ a estimé «nécessaire de souligner que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire», que la CIJ est gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas, et qu’elle appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages.
Les mots ont un sens. Le ministère israélien des affaires étrangères, dans un document du 6 décembre 2023, s’est ému de ces mots : «l’accusation de génocide dont Israël fait l’objet est non seulement dépourvue de tout fondement, en fait comme en droit, mais aussi moralement abjecte» ; comme dans un autre du 15 décembre 2023 : «l’accusation de génocide était non seulement incohérente sur le plan juridique et sur le plan factuel, elle était aussi obscène, il n’existe aucune base valable, en fait ou en droit, pour le chef infamant de génocide». «Infamant» en marketing-pays quand ledit mot revient inlassablement tout au long des quatre-vingt six (86) points de l’ordonnance.
«L’intention spécifique requise de détruire, en tout ou en partie, le peuple palestinien comme tel, n’a pas été établie» se défend le gouvernement israélien. Malheureusement pour la «supériorité morale» d’Israël, les propos extrêmes de certains de ses dirigeants ne plaident pas en sa faveur.
S’agissant des «mesures conservatoires» face au risque de «préjudice irréparable», la CIJ estime qu’il y a urgence. Cette ordonnance, qui n’est pas une décision définitive, s’abstient néanmoins d’exiger l’arrêt des opérations militaires israéliennes.
«La population palestinienne de la bande de Gaza compte plus de 2 millions de personnes. Les Palestiniens de la bande de Gaza forment une partie substantielle du groupe national, ethnique, racial ou religieux, protégé», selon la CIJ. Cette population de Gaza est doublement victime d’un dialogue de sourds entre des dirigeants, qu’elle n’a pas élus, et les autorités - cependant démocratiquement élues - d’un État-nation qui lutte pour son existence et qui serait en droit de revendiquer une protection contre son éradication, son génocide.
Ce que le gouvernement israélien reproche à la population civile de Gaza dans sa relation avec le Hamas, on pourrait le renvoyer aux citoyens israéliens qui ont choisi de voter pour les «faucons» malgré l’alternative possible de «colombes» à un moment de la vie démocratique israélienne : je songe notamment à ce gouvernement de coalition que pouvait conduire Mme Tzipi Livni, début 2009. Quinze ans déjà, quinze ans de gâchis des deux côtés. La communauté internationale, par l’intermédiaire de ceux qui se sont proclamés «gendarmes du monde», ne peut non plus s’exonérer de l’impasse dans le dossier Israël-Palestine. Trente ans de trop nombreuses promesses non tenues depuis la poignée de main «historique» entre Rabin et Arafat en 1993.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja