Le Chef de l’État aborde un point sensible dans le débat national, celui des origines ethniques. Il demande à ce que cessent les discours clivants et les contentieux sur ce sujet.
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| Le président de la Refondation de la République, à Antanetibe Ilafy, samedi. |
Nous sommes tous des Malgaches». C’est ce qu’a déclaré le colonel Michaël Randrianirina, Chef de l’État, en marge d’une remise d’équipements sur le site de la Jirama à Antanetibe Ilafy, samedi. Des mots avec lesquels il a demandé que cessent les polémiques sur les origines.
« J’en profite, puisque nous sommes en train de parler ici, pour adresser une véritable demande à nous tous, les Malgaches. Je vous le demande instamment. Cessons de parler d’origines », a déclaré le locataire d’Iavoloha, en ajoutant : « Dieu nous a réunis sur une seule île. (...) Il faut vraiment en finir avec cela. Nos enfants, vous le savez, sont déjà mariés entre eux. Alors pourquoi continuer à entretenir ce discours sur les origines ? Laissons cela derrière nous. Si nous voulons réellement changer, ce genre de mentalité fait partie des choses dont nous devons nous débarrasser. Cela ne devrait plus exister ».
En faisant cette déclaration, le colonel Randrianirina crève l’abcès sur un sujet sensible dans le débat national. Il s’agit de la question des origines ethniques. Depuis quelque temps, cette question déchaîne les passions, notamment sur Facebook et même dans certains médias traditionnels. Certains acteurs tiennent des discours clivants. Il y a ceux qui martèlent cet argument pour convaincre l’opinion publique de l’opportunité de mettre en place un État fédéral.
Les débats sur la forme de l’État doivent pourtant être basés sur une approche holistique et non seulement ethnique ou géographique. D’autres mettent en avant la question de « l’équilibre ethnique », pour critiquer des nominations ou faire pression sur les nominations à des postes à haute responsabilité politiques ou administratifs. Souvent, justement, le souci de respecter un certain équilibre régional ou ethnique prend le dessus sur les critères de compétence ou de technicité dans le casting.
Application de la loi
Cette question des origines, qui tend à devenir une problématique, est une des raisons qui font que la nomination des nouveaux chefs de région prend du temps. Déjà qu’il faut faire le tri entre le nombre pléthorique des prétendants. L’élection pourrait être une solution pour solutionner la problématique que pose la question des origines.
Par ailleurs, la diversité est une richesse si elle est capitalisée de façon positive. Toutefois, comme la déclaration du Chef de l’État le laisse entendre, les discours et les polémiques de ces derniers temps tendent à exacerber les clivages. Ce qui représente un risque pour l’unité nationale, mais aussi pour la paix sociale et pourrait mettre en péril le vivre-ensemble. Certains qui se disent nationalistes vont même jusqu’à proférer des discours qui tendent à stigmatiser une communauté.
Le colonel Randrianirina a également profité du micro tendu par la presse, samedi, pour appeler au respect de la loi, mais aussi du sens éthique et moral, du respect mutuel dans l’utilisation des réseaux sociaux. Facebook, le réseau social le plus prisé à Madagascar, a été cité. Le respect de la loi facilite un mieux-vivre ensemble, affirme-t-il. L’officier supérieur met l’accent sur le nécessaire respect de la loi tout en soulignant, néanmoins, que son administration « garantit la liberté dans tous les domaines ».
Toutefois, peu ont conscience que la liberté démocratique implique aussi des responsabilités. Une liberté exercée de façon anarchique nuit à la liberté elle-même. À Madagascar, Facebook est le théâtre d’une liberté débridée où la majorité des utilisateurs exercent une liberté débridée, faisant abstraction de tout sens moral et éthique. Injures, invectives, diffamations, lynchages numériques et même des incitations à la haine y sont légion. Dans les circonstances actuelles où le respect de la liberté d’expression et d’opinion est tambouriné, il semble pourtant difficile de sévir contre ceux qui dépassent les bornes.
Comme le rappelle le locataire d’Iavoloha, il y a des lois qui régissent le monde digital. Des lois qui permettent à ceux qui s’estiment lésés de réclamer réparation devant la justice. Des lois qui sanctionnent les déviants. Toutefois, l’exemple récent d’un « influenceur » ayant fait l’objet d’une plainte pour diffamation et dont le dossier aurait été « classé sans suite », au nom de la liberté d’expression, risque de créer un précédent fâcheux pour une application impartiale de la loi.
Garry Fabrice Ranaivoson

1. Clientélisme ethnique et régionalisme politique:
RépondreSupprimerDepuis l’indépendance (1960), le pouvoir politique à Madagascar est très souvent perçu comme étant monopolisé par les élites des Hauts-Plateaux (principalement Merina et Betsileo), puis, en réaction, par les élites côtières lors des alternances (Ratsiraka, Ravalomanana, Rajoelina, Hery Rajaonarimampianina, Andry Rajoelina à nouveau).
→ Chaque président favorise systématiquement sa région et son groupe ethnique dans les nominations (hautes fonctions de l’État, armée, entreprises publiques) et dans les investissements publics.
Conséquence : les infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, électricité) sont très inégalement réparties.
2. Confiance sociale faible et « syndrome de la trahison ethnique »
Les Malgaches ont tendance à se méfier des membres des autres groupes ethniques au pouvoir.
Crise de 2009 : beaucoup de Côtiers ont soutenu le coup de force de Rajoelina contre Ravalomanana en partie parce qu’ils voyaient en lui « un des leurs » (côtiers).
Boycott ou sabotage passif des projets venant d’un président perçu comme « étranger » à la région.
Résultat : difficulté à mettre en œuvre une politique nationale cohérente sur le long terme. Chaque changement de régime entraîne purges, annulations de projets, renégociations de contrats, etc.
3. Fracture économique Nord-Sud / Hauts-Plateaux – Côtes:
Les Merina et Betsileo (environ 26-30 % de la population) sont historiquement sur-représentés dans :
l’administration,, le commerce, l’enseignement supérieur et la diaspora (source importante de transferts d’argent).
À l’inverse, plusieurs groupes côtiers (Sakalava, Antandroy, Mahafaly, etc.) sont sous-représentés et vivent dans les zones les plus pauvres et les plus touchées par l’insécurité (dahalo) et les catastrophes climatiques.
4. Insécurité et guerres interethniques localisées:
Dans certaines régions (notamment Anôsy, Atsimo-Andrefana), les vols de zébus (dahalo) ont pris une coloration ethnique (Antandroy/Mahafaly perçus comme agresseurs par les autres groupes).
L’État, souvent perçu comme partial (armée majoritairement merina ou betsileo), peine à rétablir l’ordre, ce qui décourage les investissements dans ces zones.
5. Diaspora et réseaux ethniques à l’étranger
Les transferts d’argent et les investissements privés viennent majoritairement de la diaspora merina/betsileo (France, Canada, États-Unis). Ces fonds sont très souvent réinvestis dans les Hauts-Plateaux plutôt que dans le reste du pays, accentuant les inégalités régionales.
À Madagascar, le problème n’est pas l’existence de 18 groupes ethniques (la diversité en soi n’est pas un frein), mais l’instrumentalisation politique permanente de ces identités. Tant que l’accès au pouvoir et aux ressources sera perçu comme un jeu à somme nulle entre « Hauts-Plateaux » et « Côtiers », le pays continuera à tourner en rond : alternance de régimes, corruption ciblée, investissements concentrés, et pauvreté persistante dans les régions « perdantes » du moment.
C’est l’un des principaux blocages structurels (avec la corruption et la mauvaise gouvernance globale) qui explique pourquoi Madagascar, malgré ses ressources exceptionnelles, reste l’un des pays les plus pauvres du monde 65 ans après l’indépendance.