Appétit démocratique et famine populaire

Cette Chronique date du 19 janvier 2009. Une semaine avant les pillages, destructions et incendies du «lundi noir» 26 janvier 2009. Les bonnes questions de l’époque, et de bien avant, avaient reçu de mauvaises réponses de la part du régime issu du coup d’État de mars 2009. Seize ans plus tard, ces mêmes questions demeurent d’actualité, avec une pointe d’urgence, sinon un soupçon de panique.

Samedi 17 janvier 2009, au rond-point d’Anosikely hub de plusieurs lignes de bus, une petite fille de cinq ans fait l’aumône à la porte d’un des derniers taxibe du jour, portant un autre enfant sur son dos. Il est 20 heures 38.

À l’heure où nos enfants sont envoyés au lit, cette petite sans domicile n’en finit plus avec sa journée de misère. Où sont les parents ? Comment peuvent-ils continuer à faire des gosses dans leur dénuement total ? Pourquoi l’État ne fait-il rien pour juguler autoritairement une procréation qui envoie des enfants à l’abattoir de la jungle urbaine ?

L’ouverture prochaine des hôtels cinq étoiles apportera-t-elle un toit à ceux qui se réfugient sous les tunnels ou les ponts d’Antananarivo ? Le reflux du cours de pétrole profitera-t-il un tout petit peu à ceux qui tendent un kapoaka désespérément vide ? Un avion présidentiel de 60 millions de dollars, c’est combien de « mofo gasy » quotidien, à 50 ariary l’unité, en guise de « soupe populaire » ? Il y a cinquante ans encore, la France d’après-guerre distribuait chaque matin, et gratuitement, à tous ses écoliers, du lait pour tenir chaud au ventre….

Voyez-vous, plutôt que les gesticulations médiatiques et les arrière-pensées politiques d’une « place de la démocratie », à Ambohijatovo, j’aurais préféré que le « robin-woodisme » ambiant se concrétise par un téléthon des « enfoirés ». C’est que, la démocratie, ça ne se mange pas. Au moins, pas directement, et certainement pas tout de suite.

C’était justement la question que le CEDS (Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques) avait soumise au professeur Jean Du Bois de Gaudusson : la démocratie précède-t-elle le développement ou le développement prépare-t-il à la démocratie ? Un essai de typologie distingue une période de « dictature du développement » et une autre de « démocratie autoritaire ». La question reste ouverte même si « un espoir de développement semble nécessaire à la viabilité de la démocratie ».

Il y a trente ans encore, le tiers-monde désignait également la Corée du Sud ou la Malaisie dont le développement économique soutenu ne s’est pas entre-temps embarrassé de scrupules démocratiques. Mais, une boulimie démocratique aurait-elle été cohérente parmi une population affamée et éreintée par la guerre ? Je ne sais pas : la fillette d’Anosikely aurait-elle aimé vivre dans un pays comme Singapour, dont le régime est qualifié de « parlementaire autoritaire » (L’État du Monde aux éditions La Découverte), mais dont l’économie florissante autorise quelque espoir de miettes plus conséquentes, même pour les plus démunis ?

Nasolo-Valiavo Andriamihaja