Les us et coutumes de certaines communautés Mahafaly envoient encore des adolescentes de douze ou treize ans se marier. D’autres autorisent le « valifofo », une pratique selon laquelle un bébé, encore dans le ventre de sa mère, est déjà promis en mariage.Un ensemble de dispositifs a été mis en place par l’Unicef dans treize communes du district d’Ampanihy Andrefana, dans la région Atsimo Andrefana, afin de soustraire les petites filles au mariage d’enfants.
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| La lutte contre le mariage d’enfants avance dans le district d’Ampanihy-Andrefana. |
Selon les données sociodémographiques clés du pays (MICS - Multiple Indicator Cluster Survey, 2018) pour la région Atsimo-Andrefana, 32 % des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans, et 39 % des adolescentes âgées de 15 à 19 ans sont mariées ou en union.
Le mariage avant 18 ans constitue une violation des droits humains, mais cela demeure une réalité pour de nombreuses jeunes filles dans le district d’Ampanihy-Andrefana, situé à 293 km de Toliara, vers le Sud.
La tradition Mahafaly autorise le mariage d’enfants dès l’âge de 11, 12 ou 13 ans, dans le but de « préserver les liens du sang » entre des familles appartenant à la même ethnie ou liées par une parenté étroite.Le « valifofo » est une forme de mariage forcé spécifique au Sud de Madagascar. Dans ce district, des bébés, encore dans le ventre de leurs mères, sont déjà promis en mariage.
Pauvreté
Les jeunes filles sont contraintes d’épouser de jeunes hommes, voire des adultes plus âgés, riches ou moyennement aisés.
Cette pratique est largement répandue comme moyen de survie pour les familles vivant dans une pauvreté extrême.
« La vente d’enfants en mariage n’est qu’une solution à court terme pour les parents, mais souvent, ces derniers n’ont pas d’autre choix face à la paupérisation croissante des populations rurales », explique Maurice Rasoavelo, coordonnateur technique de l’association UGDS (Union pour le Développement du Grand Sud), active dans la lutte contre le mariage d’enfants.
« Les filles sont envoyées en mariage pour obtenir des dots, souvent sous forme de zébus : cinq, dix, voire cinquante. Mais ces richesses s’épuisent avec le temps, et les familles retombent dans la pauvreté. »
De nombreuses adolescentes, une fois devenues mères, sont abandonnées par le père de leurs enfants et retournent vivre chez leurs parents, devenant ainsi une charge supplémentaire pour leur famille.
« C’est un cercle vicieux que les parents refusent parfois de reconnaître. Ils marient leurs filles très jeunes pour combler un manque de ressources ou par respect des traditions ethniques ou communautaires », ajoute Maurice Rasoavelo.
Pela, une jeune fille du fokontany de Sakamasay, dans la commune rurale d’Ankilizato du district d’Ampanihy-Ouest, aujourd’hui âgée de 15 ans, a été violée à l’âge de 7 ans. L’auteur du viol était un ami de son père. Malgré le traumatisme, Pela a eu la possibilité de poursuivre ses études. Elle reste, cependant, intravertie marquée par cette violence. « J’ai peur de tout le monde », confie-t-elle.
Aujourd’hui, ses parents souhaitent la marier à un jeune homme d’une commune voisine, dont la famille est proche de la leur. Ils déclarent qu’ils ne peuvent plus assumer les frais de scolarité de leur fille unique au lycée. En échange, sa future belle-famille promet de financer ses études jusqu’au baccalauréat, de couvrir toutes les charges, et même de lui offrir une maison en dur.
« Je suis confuse. Je suis partagée entre le respect envers mes parents et mon refus d’un mariage arrangé. Au lycée, on nous apprend que l’amour, comme le mariage, ne doit pas être forcé», murmure-t-elle timidement.
Comme Pela, de nombreuses jeunes filles sont exposées à l’abandon scolaire, au mariage forcé, aux complications liées à une grossesse précoce et à une vie instable en cas d’abandon par leur mari.
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| Maurice Rasoavelo, coordonnateur technique de l’association (Ugds). |
Système de protection de l’Enfant
Selon la définition de l’Unicef, la protection de l’enfant englobe « la prévention et la réponse à toutes les formes d’abus, de négligence, d’exploitation, de violence et de pratiques néfastes, comme le mariage d’enfants et la mutilation génitale, qui menacent le bien-être et le développement des enfants ».
L’Unicef renforce le système de protection de l’enfant en prenant le district d’Ampanihy-Andrefana comme zone modèle dans la région Atsimo-Andrefana. L’objectif est de prévenir toutes formes de maltraitance infantile : violences, exploitation, châtiments corporels.
Le dispositif comprend un pack d’informations et de sensibilisation destiné aux parents, aux communautés et aux enfants ; la mise en place de comités locaux de protection des droits de l’enfant ; la création d’un réseau de protection de l’enfant ; une prise en charge psychosociale des victimes ; la mise en place de structures répressives.
L’Unicef collabore avec le district, les maires, les chefs de fokontany, les directions régionales de la Population, de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, ainsi qu’avec la Sécurité publique et la Gendarmerie.
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| Le système de protection de l’Enfant est renforcé depuis 2024 dans le district d’Ampanihy. |
De jeunes animateurs sont formés par la Direction régionale de la Jeunesse et des Sports aux compétences de vie (lifeskills) et aux techniques de sensibilisation. « Jusqu’ici, nous sommes intervenus dans une dizaine de fokontany autour de la commune urbaine d’Ampanihy, ainsi que dans les établissements scolaires. Nous faisons connaître aux enfants leurs droits et aux parents leurs responsabilités », explique Philibert Soatameha, président des jeunes animateurs d’Ampanihy.
Les comités de protection de l’enfant ou Komiza (« Komity Miaro ny Zaza ») assurent le relais de ces sensibilisations. Il s’agit d’une structure de proximité, composée d’habitants convaincus par la cause des enfants.« Ils sont les yeux et les oreilles du système de protection de l’enfant. Leur rôle est aussi de faire connaître les droits de l’enfant pendant les fêtes coutumières, levées de drapeaux ou visites à domicile », souligne Maurice Rasoavelo de l’UGDS.
« Ils œuvrent pour le respect des droits de l’enfant en matière de scolarisation, de vaccination, de déclaration de naissance et dans la lutte contre le mariage d’enfants », ajoute-t-il.
Le réseau de protection de l’enfant qui regroupe les représentants de la société civile et les services de l’État (sécurité publique, gendarmerie, etc.), est actuellement en cours de redynamisation.
Vaomena, 47 ans, mère de trois enfants dont une adolescente, vivant à Beraketa (fokontany d’Ampanihy), est l’une des parents convaincus par la lutte contre le mariage d’enfants. Elle fait désormais partie du réseau et sensibilise son entourage.
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| Vaomena, 47 ans, devient une sensibilisatrice motivée. |
Le ministère de l’Éducation nationale renforce la protection des enfants depuis 2022 en créant des clubs d’élèves dans vingt-quatre collèges du district. Six à huit collégiens, sélectionnés pour leur dynamisme, y diffusent les droits de l’enfant à travers une charte de bonne conduite.
« Ces jeunes, préadolescents ou adolescents, sensibilisent leurs camarades à la lutte contre toutes formes de maltraitance, y compris le mariage d’enfants, notamment lors des levées de drapeaux. Les clubs mènent même des visites à domicile avec leurs enseignants encadreurs », explique José Filiastre Razafindramanana, conseiller pédagogique et chef de division de l’Éducation fondamentale et de la Petite Enfance à la DREN Atsimo-Andrefana.
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| Des Komiza en pleine sensibilisation à Manakaralahy. |
Les Komiza ou intervenants sociaux identifient et signalent les cas de maltraitance infantile au district ou aux travailleurs sociaux de la direction régionale de la Population et de la Solidarité. Les enfants identifiés sont souvent victimes de viol ou promis à un mariage.« La prise en charge psychologique est notre priorité. Nous les aidons à se reconstruire », explique Tatamo Razafindraholy, consultante-travailleuse sociale à Ampanihy-Ouest.
En cas de mariage d’enfants, chefs de fokontany, maires, Komiza et représentants du district interviennent pour sensibiliser les parents, voire retirer les filles des mariages précoces.
« En cinq mois, deux cas de mariages d’enfants et deux grossesses précoces ont été signalés. Mais les communautés Mahafaly dénoncent rarement ces situations, préférant régler leurs conflits par le « dina » plutôt que par la justice», précise-t-elle.En deux ans, l’UGDS indique que vingt parents ont accepté de retirer leurs filles de mariages précoces, leur permettant de retourner à l’école.
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| Tatamo Nirina Razafindraholy garde le sourire malgré les défis de la lutte contre le mariage d’enfants. |
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| Les clubs d’élèves sont fonctionnels dans les zones rurales. |
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| Le conseiller pédagogique José Filiastre détaille les activités des clubs d’élèves créés au sein des CEG. |
Rappel des droits de l’enfant selon l’Unicef :
Droit d’avoir une identité
Droit de vivre en famille
Droit à la santé
Droit à l’éducation et aux loisirs
Droit d’être protégé contre toutes formes de violence
Droits à la protection de la vie privée
Droit à une justice adaptée à son âge
Droits d’être protégé contre toutes formes d’exploitation
Droits de s’exprimer et d’être entendu sur les questions qui le concernent
Droits de l’enfant en situation de handicap de vivre avec et comme les autres
Droit d’être protégé en temps de guerre
Mirana Ihariliva







