Madagascar est reconnu pour sa biodiversité et ses produits agricoles à haute valeur ajoutée. Parmi ces produits, les épices occupent une place de choix, tant sur le plan économique que social. Et selon les spécialistes, la filière épices a encore une marge de développement non négligeable.
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La filière épices doit désormais rimer avec développement durable. |
Le pays regorge d’épices prisées sur le marché international. Ces produits vont de la vanille aux poivres, en passant par le clou de girofle, la cannelle, le gingembre, le curcuma et d’autres plantes aromatiques qui poussent dans des conditions agroécologiques idéales. La vanille bourbon de la Grande île représente environ 80 % de la production mondiale. Elle est principalement cultivée dans la région Sava. Quant au clou de girofle, il est aujourd’hui le deuxième produit d’exportation après la vanille. Il est cultivé principalement sur la côte est. Les poivres (noir, vert ou blanc) sont pour leur part cultivés dans l’est (Alaotra-Mangoro), dans le nord (Diana, Sava) et dans une moindre mesure dans le sud. Le gingembre et le curcuma, qualifiés de cultures de rente en expansion, sont produits sur les Hautes-Terres centrales et la côte est. Citons aussi la cannelle, la cardamome, l’anis étoilé, moins répandues mais en progression.
Selon les spécialistes, cette filière prospère à Madagascar grâce à un climat tropical varié, avec des zones humides, semi-humides et montagneuses, permettant la culture d’une grande diversité d’épices. La combinaison de pluviométrie élevée, de sols riches et d’une bonne disponibilité de terres permet une culture biologique ou semi-biologique sans intrants chimiques dans de nombreuses zones. Les épices représentent une source majeure de devises étrangères pour le pays. Depuis 2023, les exportations d’épices ont généré plus de 2 milliards de dollars de recettes selon les données disponibles, sans oublier que ces cultures mobilisent des centaines de milliers de petits producteurs.
Toutefois, en dépit de son importance économique, la filière épices est impactée par l’instabilité des prix. La vanille est particulièrement sujette à une forte volatilité : son prix à l’export a oscillé entre 50 et 600 dollars le kilo sur les vingt dernières années. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : spéculations, catastrophes naturelles (cyclones, sécheresses), vols, fraudes et faiblesse du système de régulation, pratiques non recommandables de certains collecteurs ou exportateurs... On rappelle en outre que la majorité des producteurs d’épices utilisent des pratiques empiriques souvent peu durables : faible rotation des cultures, absence de fertilisation raisonnée ou encore pression accrue sur la forêt pour gagner des terres agricoles. Et la filière reste très atomisée : les producteurs sont surtout de petits exploitants, souvent isolés, avec un accès limité à l’information, à la formation et au crédit. Les coopératives existent, mais elles sont encore peu structurées et manquent de moyens. Le déséquilibre entre producteurs et exportateurs est aussi souvent pointé du doigt. Ce sont souvent les collecteurs et les intermédiaires qui fixent les prix, captant la majeure partie de la valeur ajoutée. Malgré une renommée mondiale, le fort potentiel des épices de Madagascar n’est donc pas encore pleinement exploité et la filière reste confrontée à de nombreux défis structurels, économiques et sociaux.
Des perspectives porteuses
Notons aussi le réchauffement climatique et les modifications des régimes de pluie qui perturbent les rendements, les floraisons et les récoltes. On fait également remarquer que les rendements culturaux restent faibles : 10 à 20 t/ha pour le gingembre, un rendement moyen de 185 kg/ha pour le giroflier et 320-470 kg/ha pour le poivre noir. Pour ne citer que ces trois cultures. Pour que la filière épices puisse progresser, les spécialistes soutiennent qu’il est indispensable d’apporter des solutions durables à ces différents problèmes structurels. Et le jeu en vaut la chandelle car la demande mondiale, particulièrement pour les épices naturelles, biologiques, équitables et traçables, est en pleine croissance. Les marchés européens, nord-américains et asiatiques sont friands de produits aromatiques, notamment pour l’agroalimentaire, la parfumerie, la cosmétique et la phytothérapie.
«Madagascar peut capter une valeur ajoutée significative en améliorant la qualité, la certification et la transformation locale», soutient un opérateur de la filière qui note aussi que les initiatives positives émergent. «Les partenaires au développement, les ONG, les coopératives et les acteurs du secteur privé s’activent pour contribuer à la transformation de la filière». Les actions vont de la promotion de labels bio à la traçabilité numérique, en passant par le microfinancement, les formations sur l’agroécologie et la post-récolte, la création de chaînes de valeur plus justes et inclusives. Rappelons par ailleurs que Madagascar exporte encore l’essentiel de ses épices à l’état brut. Pourtant, la transformation locale (huiles essentielles, poudres, extraits, encapsulation) constitue la clé pour booster les recettes et les revenus. D’après le ministère en charge de l’Industrialisation, le pays est appelé à miser davantage sur la vanille transformée, le curcuma moulu ou les mélanges d’épices artisanaux qui sont en plein essor, portés par des entrepreneurs innovants. Et la formation des producteurs à l’agroécologie, à la gestion coopérative et aux techniques de transformation est primordiale.
Certains observateurs militent pour la mise en place d’un fonds de stabilisation des prix. Ils recommandent aussi une nouvelle politique de lutte contre la fraude et la corruption et le renforcement des contrôles qualité. Parallèlement à ces mesures, l’État est invité à améliorer les infrastructures. «L’amélioration des équipements ruraux (routes, stockage, séchage, énergie) est indispensable pour faciliter la collecte, la transformation et l’exportation dans de bonnes conditions», soutient Tantely Rakotomanga, consultante en développement durable des filières émergentes. Elle ajoute que des investissements conséquents dans les laboratoires de contrôle qualité et les centres de transformation locale sont indispensables car permettraient de mieux valoriser les produits.
Le gouvernement reconnaît que la filière épices possède une importante marge de progrès, tant pour les revenus qu’elle génère que pour son rôle dans la protection des écosystèmes et le développement des communautés rurales. Mais ce potentiel ne pourra se réaliser que si des réformes sont engagées. L’heure est ainsi à la stabilisation des prix, au renforcement des capacités des producteurs, à la structuration des chaînes de valeur, au développement de la transformation locale et à la «verdisation» de la filière. «Avec une demande mondiale qui ne cesse de monter pour les produits naturels et éthiques, Madagascar a toutes les cartes en main pour devenir un leader mondial de l’agriculture aromatique et épicée… à condition d’investir dans l’humain, l’environnement et l’innovation locale», fait remarquer pour sa part Anna Robert, responsable achat du groupe de négoce MGK Europe.
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Madagascar regorge d’épices prisées sur le marché international. |
Face aux défis environnementaux
Du côté du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), on soutient que l’amélioration des capacités d’adaptation et de résilience des communautés rurales productrices d’épices, face au changement climatique, passe par plusieurs possibilités dont la diversification des cultures, le réaménagement des calendriers culturaux et, surtout, par la mise en place de technologies agricoles durables qui favorisent l’adaptation au changement climatique. En collaboration avec le ministère de l’Environnement et du Développement Durable et avec l’appui technique du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, cet organisme onusien affirme s’assurer à ce que ces technologies agricoles incluant les variétés améliorées ou résistantes bénéficient aux communautés dans les régions cibles.
Face aux défis environnementaux et socio-économiques, divers projets sont déjà mis en œuvre à Madagascar. Ces programmes visent à promouvoir la gestion durable des terres, la conservation de la biodiversité et l’amélioration des conditions de vie des communautés. De plus, des initiatives de certification biologique et équitable sont développées pour garantir des pratiques de production responsables et éthiques. Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à prendre conscience que la production d’épices a un impact significatif sur l’environnement et les communautés locales. Les différents projets d’accompagnement et d’explication permettent de convaincre progressivement que les méthodes agricoles traditionnelles, bien que riches en culture et en techniques ancestrales, peuvent épuiser les sols, contribuer à la déforestation ou nuire à la biodiversité.
Aussi, les pratiques nouvelles émergent-elles peu à peu. Ces méthodes durables visent à préserver les écosystèmes, à améliorer les conditions de vie des cultivateurs et à garantir des produits de qualité. Plusieurs coopératives adoptent des processus écologiques, comme l’agroforesterie ou l’utilisation de techniques naturelles pour enrichir les sols sans recours aux produits chimiques. «Ces initiatives revalorisent également la culture des épices en lui redonnant un sens profond. Chaque épice ainsi produite devient plus qu’un simple ingrédient : elle raconte l’histoire d’un équilibre retrouvé entre l’homme et la nature, et sublime nos plats tout en faisant un pas vers un avenir plus durable», a-t-on aussi expliqué.
MARCHÉ DES ÉPICES - Sur une bonne tendance de croissance
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Des épices de Madagascar de toutes sortes vendues au marché. |
La taille du marché des épices et des assaisonnements est estimée à 19,89 milliards USD en 2024 et devrait atteindre 25,60 milliards USD d’ici à la fin de la décennie, avec une croissance de 5,18 % au cours de cette période. Une croissance constante du marché est constatée au cours des dernières décennies en raison de la demande croissante d’aliments fonctionnels à travers le monde.
Certaines épices sélectionnées sont destinées à conférer une immunité, comme le curcuma, le gingembre et l’ail. Elles ont reçu d’énormes réponses de la part des consommateurs du monde entier. De plus, la demande des consommateurs pour des ingrédients alimentaires sains de haute qualité, ainsi que la préférence accrue pour l’essai de nouvelles saveurs dans le secteur de la restauration et des produits alimentaires transformés, soutiennent la croissance globale du marché des épices et des assaisonnements à l’échelle mondiale.
Les épices et les herbes sont davantage axées sur la santé et le bien-être. Parallèlement, les fabricants de produits alimentaires au détail ont accru l’utilisation d’épices et d’assaisonnements pour s’adapter aux goûts et aux préférences des différentes ethnies des consommateurs à travers le monde. Les produits tels que le gingembre, le poivre non broyé, le curcuma, la cannelle et les clous de girofle ont le plus grand potentiel de croissance sur le marché. Les bienfaits nutritionnels de diverses épices sont souvent mis en avant.
À remarquer en outre que la demande croissante d’un mélange diversifié d’herbes et d’épices devrait être satisfaite par des mélanges d’épices ethniques, principalement liés à la popularité croissante des aliments ethniques emballés, des aliments sains et à la consommation croissante de produits pratiques, transformés et prêts à l’emploi.
Selon les spécialistes de la filière, la croissance de l’industrie des aliments transformés alimente la demande d’épices. De plus, les dépenses de consommation ont augmenté en raison de l’évolution des modes de vie, de l’augmentation de la population féminine qui travaille, de l’augmentation de l’offre de produits et de la pénétration des canaux de vente au détail dans les snacks salés, les soupes, les nouilles, les boissons et les aliments prêts à manger. Par conséquent, des secteurs tels que les sauces, les salades et les vinaigrettes achètent davantage d’épices, ce qui, à son tour, stimule considérablement la croissance du marché.
VERBATIM
Heriniaina Ramboatiana, président du Syndicat malgache de l’agriculture biologique (Symabio)
« Les produits phares de l’exportation bio malgache, dont la vanille, les épices et les huiles essentielles, sont aujourd’hui très recherchés sur les marchés internationaux, notamment en Europe, aux États-Unis et au Japon. À cela s’ajoute une offre diversifiée en produits transformés : huiles alimentaires ou encore produits cosmétiques naturels. Cette réussite repose, entre autres, sur l’adoption d’une loi spécifique sur l’agriculture biologique ainsi qu’une stratégie nationale visant à encadrer et promouvoir la filière ».
Faly Rasamimanana, directeur général de Faly Export
« Nous, les opérateurs économiques et les chercheurs, nous engageons à améliorer d’une manière continue le référentiel «Sustainable Madagascar» en vue d’atteindre un objectif commun qu’est le développement durable. Pour l’heure, les filières concernées sont notamment les épices dans la région Atsinanana et les grains secs dans la région Atsimo Andrefana. Nous promouvons aussi la digitalisation pour constituer une base de données agricoles fiable ».
La filière épices en chiffres
L'Express de Madagascar