Depuis plusieurs années, la Chine s’est investie dans le marché des véhicules électriques. Elle a atteint une position de leader en matière de technologies et d’innovation. Un succès qui se répercute sur les marchés en Europe, aux États-Unis, mais aussi en Afrique. À Madagascar, les véhicules électriques amorcent une percée. Un marché encore de niche, mais qui reste prometteur.
Moustapha Hiridjee, PDG du groupe Viseo, est l’un des spécialistes les plus reconnus de Madagascar, aussi bien dans le domaine des technologies traditionnelles que des innovations modernes. Dans cette interview, il nous parle des avancées en matière de véhicules électriques, de l’écosystème existant à Madagascar, et surtout des perspectives d’une mobilité durable dans la Grande Île.
Quel est le rôle de l’Afrique dans une transition vers la mobilité durable ?
Pour remettre les choses en contexte avec quelques chiffres : le gros du marché se situe actuellement en Chine. En dix ans, elle est passée de 5 % à plus de 50 % de véhicules neufs vendus en “véhicules à énergies nouvelles”. Cela signifie qu’aujourd’hui, il se vend plus de véhicules électriques en Chine qu’il ne se vend de véhicules à essence ou diesel.
C’est une évolution rapide : en une décennie, plusieurs générations de véhicules électriques ont vu le jour, avec des améliorations notables en matière de performances. Au départ, l’autonomie n’était que de 100 à 150 kilomètres, ce qui représentait une vraie limite pour les utilisateurs. Aujourd’hui, grâce aux progrès sur les batteries, on atteint plus de 700 kilomètres d’autonomie — soit davantage que ce que permet un plein d’essence.
Comment la Chine a-t-elle réussi à démocratiser cette technologie ? En la rendant aussi performante, voire supérieure, à ce qui existait auparavant.
L’adoption d’une technologie passe par plusieurs phases : d’abord l’expérimentation, puis la démocratisation. La Chine a opéré un véritable saut technologique. Le monde, dans son ensemble, a été spectateur — l’Afrique également. Puis elle a commencé à se fragmenter. Par exemple, en Éthiopie, il est désormais interdit d’importer autre chose que des véhicules électriques. Ce n’est plus de l’encouragement, c’est de l’adoption.
Les Européens et les Américains commencent aujourd’hui à se rendre compte de leur retard. Pour nous, en Afrique, la question est de savoir si nous allons encore une fois rester spectateurs ou bien monter à bord de ce train vers une mobilité durable.
Avons-nous compris les bénéfices économiques et structurels que cette technologie peut nous apporter ?Deviendrons-nous acteurs de ce changement ?Cela dépend à la fois des consommateurs — devons-nous nous informer davantage sur ces nouvelles énergies ? — et des gouvernements, qui doivent mettre en place des infrastructures, notamment pour la production d’énergie, afin d’accompagner cette transition.
Quelle est la position de Madagascar dans ce paysage en évolution ?
Aujourd’hui, Madagascar a un marché automobile d’environ 20 000 unités par an. Mais malheureusement, les véhicules neufs ne représentent que 20 % de ce volume ; la majorité est constituée de véhicules d’occasion provenant d’Europe, de Belgique, de La Réunion ou de Corée.
Chez nous, le marché des véhicules électriques est encore embryonnaire. C’est encore une vision ; rares sont les entreprises ayant adopté cette technologie. Nous avons commencé en 2023 et, aujourd’hui, en 2025, nous sommes passés à 100 % de véhicules électriques au sein du groupe. Les gens s’interrogent, s’informent, testent l’utilité, commencent à remplacer certains véhicules dans leurs entreprises. Mais nous ne sommes qu’au tout début.
Pour l’instant, cela reste une niche. À Madagascar, nous n’avons pas les moyens d’être efficaces, mais nous devons être efficients. L’éducation et la compréhension doivent précéder l’adoption. En Chine, les véhicules électriques sont aujourd’hui comparables, en termes de performances et de prix, aux véhicules thermiques. Autrefois deux fois plus chers, ils ne le sont plus aujourd’hui que de 10 % en moyenne.
En termes d’investissement, ce n’est plus un surcoût drastique. Et à l’usage, sur 4 ou 5 ans, les économies sont énormes :
1. Le carburant est importé et donc cher.
2. L’entretien est réduit, car le nombre de pièces détachées dans une voiture électrique est bien plus faible.
Comment la relation actuelle entre la Chine et Madagascar influence-t-elle le secteur ?
La relation entre la Chine et l’Afrique est globalement bonne. La Chine a compris que son relais de croissance viendrait d’Afrique. Madagascar entretient de bonnes relations avec la Chine.
Cependant, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis (et, dans une moindre mesure, avec l’Europe) ont poussé ces derniers à imposer des droits de douane pour freiner la progression des constructeurs chinois. Face à cela, l’Afrique devient une alternative stratégique pour la Chine.
Il y a donc un intérêt mutuel :
• Pour l’Afrique, profiter d’une mobilité plus économique, responsable et moderne.
• Pour la Chine, trouver de nouveaux débouchés pour ses exportations et compenser ses pertes de volumes sur les marchés occidentaux.
Quelles sont les infrastructures à mettre en place pour faciliter cette transition ?
Ce que l’État doit faire et ce que les citoyens doivent faire sont deux choses différentes.
D’abord, il faut augmenter la production d’énergie. Cette production coûte moins cher que l’importation de carburant. C’est un investissement indispensable, car toute économie vient d’un investissement initial.
Ensuite, il faut mettre en place des infrastructures de recharge. Aujourd’hui, certaines entreprises proposent déjà des solutions de bornes en 16 ou 32 ampères, ce qui est suffisant pour commencer. Le véritable problème reste la disponibilité du courant.
Quelles mesures politiques le gouvernement doit-il prendre ?
L’État a déjà franchi un grand pas en incitant à la consommation de véhicules électriques, notamment par la suppression des droits de douane et des droits d’accise.
Ces allègements fiscaux permettent aux véhicules électriques d’avoir des prix comparables aux véhicules thermiques. Cette première mesure a facilité l’émergence de cette technologie, qui aurait mis plus de temps à s’imposer sans cela.
Tout changement commence par une impulsion politique, et celle-ci est à saluer.
À quoi ressemblera la transition vers les véhicules électriques ?
Elle sera progressive. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Le moteur à essence a encore 15 à 20 ans devant lui.
Comme pour l’arrivée des boîtes automatiques, il faudra du temps — peut-être 20 à 30 ans — pour que les véhicules thermiques deviennent des objets de musée.
Le renouvellement de génération jouera un rôle clé : les jeunes sont plus ouverts aux nouveautés que les anciens, habitués à leurs pratiques.
Que retenir du Salon de l’auto de Shanghai 2025 ?
Ce que j’ai vu là-bas, c’est un autre monde.On se croirait dans un film de science-fiction. Mais il faut rester raisonnable :nous n’aurons pas cela demain à Madagascar.
J’ai testé une voiture autonome, guidée par LIDAR, satellites et feux synchronisés. C’est impressionnant, mais nécessite des conditions techniques que nous n’avons pas encore.
En revanche, même sans aller jusque-là, les véhicules de nouvelle génération sont silencieux, agréables, confortables, et offrent une meilleure expérience de conduite, notamment en ville.
Peut-on envisager des économies d’échelle et des transports collectifs électriques à Madagascar ?
Oui, mais cela prendra du temps. En Chine, 54 % des véhicules neufs sont électriques. Plus cette proportion augmentera, plus les coûts de production baisseront, tandis que ceux des véhicules thermiques augmenteront.
À partir d’un certain seuil, la question ne sera plus écologique, mais économique.
La mobilité urbaine collective électrique serait une vraie avancée. L’État doit jouer son rôle de facilitateur, notamment à travers les agences et ministères concernés. Il faut une vision partagée, pas seulement quelques initiatives privées. Une collaboration public-privé est indispensable. Si le monde entier se tourne vers cette technologie, c’est qu’il est temps pour nous aussi de nous y engager.
Que peut-on raisonnablement envisager à Madagascar ?
À ce stade, vu l’état de nos infrastructures, une conversion massive est irréaliste. La Jirama ne pourrait pas faire face à la demande accrue d’électricité.
Nous avons aussi d’autres priorités, comme l’industrialisation, qui nécessite elle aussi de l’énergie.
Le point de départ reste donc la multiplication de notre capacité de production énergétique. La demande est là. Il ne manque plus que l’offre.
L'Express de Madagascar