Liberté par les mots

L’une des constantes du monde soumis à la marche irréversible de l’histoire est cette pesanteur de l’ordinaire qui aspire les forces que chaque matin peine à nous donner. Une fois écrasé par tout ce poids pénible de la vie quotidienne, marquée par un rythme à la limite du tenable, notre esprit épuisé est disposé à se laisser emporter au-delà des frontières de ce lourd cadre routinier. Certains ont trouvé une clé, qui ouvre les portes de cette dimension surréelle, en suivant différentes voies, et beaucoup peuvent remercier la poésie d’exister. 

Comme chaque année, la poésie est à l’honneur pendant un mois où le vent poétique a bénéficié d’une atmosphère accueillante. Et pour certains d’entre nous, respirer cet air soufflé par la beauté que les mots peuvent générer a été comme inspirer le parfum de la libération. Savourer l’émancipation des mots vis-à-vis des préoccupations oppressantes de chaque seconde peut être ressenti comme de précieux instants de répit, d’exil qui nous éloigne de l’univers impitoyable de la réalité. 

C’est parce qu’être présent au sein de cette réalité n’est pas facile, voire même affligeant, que, pour simplifier, des poètes comme ceux de l’école surréaliste, ont choisi la magie des mots pour défier le monde qui a gagné le qualificatif de réel, engendrant de célèbres vers qui, par leur incompatibilité avec cette réalité, se sont affirmés comme des victoires de la puissance verbale sur la tyrannie du réel. Et jusqu’à aujourd’hui, on peut encore se délecter en lisant ou en entendant le célèbre “La terre est bleue comme une orange” de Paul Éluard. 

Beaucoup de ceux qui ont eu une certaine expérience avec les écrits de Nietzsche partagent la conviction que l’art permet de dépasser la réalité quotidienne et son côté trop ordinaire. Il nous permet de voyager jusqu’à une dimension où la jouissance esthétique peut donner l’accalmie plus que demandée dans les luttes que nous font subir les affres des jours banals. Étant le premier des arts selon la fameuse classification de Hegel, la poésie est donc, parmi ces chemins de l’émancipation, celui qui a les plus beaux joyaux. 

“Le poète est semblable au prince des nuées” écrivait Baudelaire. Comme L’Albatros qui subit les moqueries des marins qui le capturent, le poète peut aussi s’affirmer avec majesté quand il s’envole à des hauteurs sublimes, inaccessibles au commun des mortels, en empruntant la trajectoire d’une folie particulière, la folie poétique, qu’on retient sous le nom de “mania poétique”, une appellation héritée de Platon, une expérience qui peut élever l’âme jusqu’aux cimes des profondeurs spirituelles. On peut alors remercier la poésie d’être encore présente dans nos vies pour nous offrir ces extases qui sont plus que bienvenues.

Fenitra Ratefiarivony

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