EXTERNALISATION - L’outsourcing entre progression et adaptation

Les autorités soutiennent que de nombreux appuis ont été apportés au secteur du BPO.

Le secteur de l’outsourcing à Madagascar a connu une croissance notable depuis plusieurs années. Ce qui a permis de placer le pays parmi les destinations les plus en vue pour les services d’externalisation. Mais le secteur doit désormais faire rimer croissance et adaptation surtout avec la montée en puissance de l’Intelligence Artificielle (IA).

L’industrie du Business Process Outsourcing (BPO) a connu un essor impressionnant dans la Grande île. Elle représente aujourd’hui plus de quarante mille emplois directs et indirects et selon les prévisionnistes, cette croissance devrait rester forte malgré une rude concurrence entre les pays. Le BPO, défini comme l’externalisation des processus d’affaires, implique de déléguer des fonctions à des prestataires de services externes. Ce qui donne aux entreprises la possibilité de se concentrer sur l’essentiel de leurs activités. Le secteur comprend un large éventail de services tels que l’assistance à la clientèle, l’assistance technique, la saisie de données et la modération de contenu, et bien d’autres. 

Pour un meilleur éclairage, notons à titre d’exemple qu’une structure de BPO spécialisée dans le contact-client prend en charge l’externalisation des processus métier. Elle assure divers processus opérationnels pour le compte d’autres entreprises. Concrètement, l’entreprise gère les interactions entre une entreprise et ses clients, généralement par le biais de canaux de communication tels que les appels téléphoniques, les courriels, les chats en ligne et les médias sociaux. Elle utilise les technologies les plus récentes et dispose d’une équipe formée pour répondre aux besoins des clients de manière professionnelle.

Devenue une destination de premier plan pour le BPO, la Grande île doit surtout son succès à une main d’œuvre qualifiée de rentable car à des coûts compétitifs. « C’est un atout indéniable pour maîtriser les coûts opérationnels tout en maintenant la qualité», soutient Rija Harison, responsable administratif et financier d’une plateforme opérant notamment dans l’assistance à la clientèle. Mais il y a aussi d’autres avantages comme la maîtrise des langues étrangères et de certaines affinités culturelles avec les principaux marchés émetteurs de commandes. Et notre interlocuteur d’ajouter que les atouts intrinsèques et les expériences acquises ces dernières années permettent «un support client de qualité et des relations solides avec les clients internationaux». 

Dans les documents marketing présentant le secteur du BPO du pays, il est souvent souligné : «Madagascar offre des tarifs compétitifs et des économies significatives grâce à une main-d’œuvre rentable et compétitive, ainsi que des taux de change favorables. Vous réduisez vos coûts opérationnels, libérant des ressources pour d’autres besoins critiques». De son côté, le gouvernement affirme avoir soutenu autant que faire se peut le secteur de l’outsourcing, notamment avec des avantages fiscaux, des facilités pour l’installation d’infrastructures répondant aux attentes du marché international ou encore des projets de développement des compétences souvent appuyés par les partenaires techniques et financiers (PTF). 

Un secteur porteur selon les PTF 

Les institutions qui financent le développement du pays (PTF) font aussi remarquer que la Grande île offre une qualité de service élevée tout en restant compétitive dans le domaine de l’outsourcing. Elles notent également que les entreprises de BPO sont reconnues pour leur excellence et leur conformité aux normes internationales, et qu’une formation continue garantit une prestation de service efficace. L’autre avantage mis en avant est que Madagascar se trouve dans un fuseau horaire compatible avec les marchés européens et américains. Cela garantit une assistance ininterrompue et une réactivité rapide pour les entreprises.  Cela facilite la collaboration en temps réel et la communication fluide avec les partenaires d’externalisation.

D’après un rapport de la Société Financière Internationale (SFI), les investissements conséquents réalisés ont contribué significativement à booster les activités dans le domaine de l’externalisation des processus d’entreprise et de connaissances (BPO/EPC). Cette institution qui a aussi indiqué que le secteur du BPO génère des revenus estimés à 115 millions de dollars et a créé environ quarante-cinq mille emplois à ce jour, qui pourraient passer à cent mille d’ici 2030. La SFI a aussi constaté que le pays a su miser sur les atouts de son secteur des TICs, notamment les connexions Internet qui sont présentées comme parmi les plus performantes d’Afrique subsaharienne.

Et pour inscrire cette dynamique dans la durée, la SFI recommande que des efforts plus importants soient consentis en matière d’accès à l’électricité et à Internet. Elle juge également essentiel de disposer d’une main-d’œuvre suffisante et suffisamment qualifiée pour gérer avec succès la période de transformation digitale du pays. Plus concrètement, elle souhaite que les politiques numériques se concentrent sur l’augmentation de la bande passante, la gestion de l’encombrement pour éviter les ruptures de connexion Internet et le renforcement de la technologie financière pour soutenir les entreprises. Elle soutient en outre le développement de programmes de compétences numériques à l’échelle par le biais de partenariats public-privé pour créer des milliers de nouveaux emplois, et permettre la mise à niveau et la requalification des employés.

Les clients français en pole position

Par ailleurs, les bons connaisseurs du secteur de l’outsourcing et les PTF estiment que le pays doit diversifier davantage ses clients. Selon les données disponibles, plus de 80 % des clients sont jusqu’ici des entreprises françaises. Les secteurs les plus concernés sont l’informatique et l’ingénierie. La construction arrive en seconde place, suivie de l’assurance et du commerce. On sait en outre que le Maroc est en tête des destinations préférées des entreprises de la communauté francophone pour externaliser avec une part de marché de 37 %. Viennent ensuite la Tunisie (23 %), Maurice (18 %) et Madagascar (10 %). Une étude montre en outre que le choix du lieu d’externalisation priorise le prix et la performance de la connexion internet et la qualité des ressources humaines.

Outsourcia, Webhelp, Outremer Telecom, Vivetic, Téléperformance, Comdata ou encore ADM Values, les sociétés évoluant à Madagascar sur ce créneau sont de plus en plus connues du grand public. Certaines entreprises du secteur emploient jusqu’à deux mille personnes. Le portefeuille de clients tend aussi à se diversifier, allant de l’informatique à la finance, en passant par les assurances ou encore l’e-commerce. On remarque également que les entreprises accordent de plus en plus d’intérêt à l’aménagement de leurs lieux de production afin d’offrir à leurs collaborateurs un meilleur cadre de travail. Certains ont aménagé des salles de jeux et de sport et les primes et les récompenses pour les employés les plus méritants se multiplient.

Madagascar enregistre aujourd’hui plus de deux cent trente entreprises exerçant dans l’outsourcing alors qu’elles n’étaient qu’une dizaine il y a 15 ans. Le secteur, représenté par divers groupements comme le Groupement des entreprises franches et partenaires (GEFP), le Groupement des opérateurs des Technologies de l’Information et de la Communication (Goticom) ou le Groupement des Professionnels de la relation client (GPRC) continue de recruter activement. «Les jeunes sont assidus et ont une réelle envie de renforcer leurs connaissances. Ils ont aussi une certaine empathie naturelle qui, combinée à une formation adéquate, les rend parfaitement aptes à gérer les clients les plus exigeants», constate Hanitriniaina, responsable de production d’une entreprise de BPO qui mise sur l’e-commerce.

Le volet formation tient un rôle clé dans l’essor de l’outsourcing.

S’adapter aux changements 

Des entreprises tournées vers le marché de l’outsourcing ont aussi leurs propres programmes de formation. Un moyen de pouvoir fonctionner à des niveaux de productivité similaires à ceux des pays de référence. «Si les centres de contact de nombreuses entreprises étrangères sont externalisés à Madagascar, c’est qu’il y a un choix avantageux aussi bien pour les donneurs d’ordres que pour les prestataires», rappelle-t-on souvent. Par ailleurs, le régime fiscal dont bénéficient les entreprises est relativement attrayant. Durant leurs premières années de lancement, elles sont exonérées d’impôts sur le revenu. Puis, pour les années suivantes, ce sera une imposition de 10 % qui leur sera fixée. 

Mais pour rester dans la course, les entreprises doivent suivre l’évolution de la demande et des technologies. Les entreprises que nous avons approchées soutiennent qu’elles développent activement leur capacité pour apporter «plus de de valeur au business», notamment au niveau de l’expérience client. D’après un sondage effectué en Europe, les principales raisons pour lesquelles les entreprises de ce continent externalisent sont la réduction des coûts (40%), le core business (15 %), le gain de flexibilité (15 %), le manque de compétences (14 %), l’innovation du métier (8 %) et l’amélioration de la qualité de service (8 %)

En outre, le passage dans le cloud, l’automatisation des processus via l’utilisation de robots et, surtout, l’essor impressionnant de l’Intelligence Artificielle sont devenus des éléments centraux de la plupart des nouvelles stratégies d’externalisation. «Les écosystèmes des entreprises sont de plus en plus complexes, avec des exigences accrues en matière de conformité réglementaire, de sécurité, de gestion des risques et de protection des données par exemple. Les entreprises attendent également de plus en plus des fournisseurs de services qu’ils soient force de proposition sur les sujets d’innovation», constate-t-on.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE - Une menace pour les uns, une opportunité pour les autres
La concurrence entre les pays est rude dans le secteur de l’outsourcing.

Plus de 40% des tâches assurées actuellement par les humains dans le secteur de l’externalisation des processus métiers et des services fondés sur les TICs sont automatisables. Ce qui constitue un risque de destruction des emplois concernés. Un rapport régional publié dernièrement précise que le secteur de l’outsourcing continue d’enregistrer une croissance rapide et gagne en importance dans le paysage économique. Un marché (segments nationaux et internationaux combinés) qui devrait atteindre une valeur de 35 milliards de dollars en Afrique d’ici 2028, soit un taux de croissance annuel moyen de 14,2 %.

Mais le rapport indique aussi que les parties prenantes doivent tenir compte des risques de destruction d’emplois générés par les nouvelles technologies, particulièrement l’Intelligence Artificielle. L’essor de cette dernière présente en effet une réalité à double tranchant. Si elle offre des possibilités de productivité et d’expansion des services, cette technologie menace également les emplois et modifie fondamentalement le paysage du travail. L’IA est déjà intégrée dans le secteur de l’outsourcing dans les pays de la région comme à Madagascar, favorisant l’efficacité et l’innovation. Les employés utilisent déjà des outils tels que ChatGPT, Microsoft Copilot et des chatbots internes pour améliorer la productivité, la créativité et la précision. 

Mais en se basant sur des modélisations intégrant l’identification complète des tâches, leur catégorisation et l’évaluation du potentiel de leur automatisation sur un horizon de cinq ans, le rapport révèle que plus de 40% des tâches actuelles dans le secteur risquent d’être automatisées avant 2030. Les segments les plus concernés par l’automatisation sont la finance et la comptabilité (44% des tâches actuelles), l’expérience client (40%), les services fondés sur les technologies de l’information (40%) et les services de données de l’IA (35%).

Cependant, l’IA offre aussi de nouvelles opportunités. Une autre étude révèle le rôle crucial des tâches humaines dans son développement. Car peu de gens savent que les systèmes d’IA nécessitent une importante intervention humaine pour leur entraînement. Ces tâches comprennent la génération de données, la vérification des prédictions et surtout l’annotation de textes et d’images. Même les IA génératives comme ChatGPT requièrent un travail humain considérable pour définir ce qui constitue une réponse acceptable. À Madagascar, des entreprises sont déjà sur ce créneau et leur potentiel de développement est très important.

VERBATIM


Josielle Rafidy, directrice générale de l’Economic development board of Madagascar (EDBM)  

« Madagascar compte exploiter davantage ses atouts. Des prospections ainsi que des campagnes de promotion seront menées en vue de convaincre et d’attirer les investisseurs nationaux et internationaux dans le secteur de l’externalisation des processus métiers (BPO) à Madagascar. C’est une stratégie avancée dans la Politique générale de l’État (PGE) qui va engager les ministères concernés en collaboration avec l’EDBM ».


Walid Kéfi, journaliste spécialiste des transformations en Afrique   

« Malgré le risque de destruction massive d’emplois qu’elle présente dans le secteur de l’outsourcing, l’IA pourrait générer une demande pour de nouvelles compétences et de nouveaux rôles axés sur la gestion et la supervision de cette technologie disruptive, créant ainsi de nouvelles voies pour permettre aux travailleurs d’accéder à des postes plus qualifiés et mieux rémunérés. D’où la nécessité de soutenir l’amélioration des compétences ».

LE SECTEUR DU BPO EN CHIFFRES


L'Express de Madagascar

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