Le livre «Lova» est l’album-photos des quatre-vingt-dix-neuf clichés saisis par François-Xavier Gbré, artiste franco-ivoirien invité par la «Fondation H» à arpenter Antananarivo. Réalité grimaçante et oeil facétieux: de prime abord, quand les photos me parvinrent en désordre, j’y vis un fatras qui ne pouvait être l’Antananarivo que j’aime. Et pourtant, c’était juste un miroir sans concession d’une misère qu’on aurait voulu cacher puisqu’on ne saurait la voir. Une réalité sans grand souci esthétique, recourant sans scrupule architectural à des matériaux tout-venant : «Le visage du tiers-monde affiche divers profils, mais toujours à squelette de matériaux les plus disparates : rideau synthétique effiloché, grillage fatigué, rideau de fer rouillé. Et l’omniprésente tôle ondulée».
Capter l’instant et tant qui reste à saisir. Gageure que de tout embrasser en un seul jour. À l’impossible, surtout un étranger, le «Vahiny» de passage, n’est tenu. Néanmoins, son oeil neuf apporte un regard inattendu. Là où d’aucuns dénonceraient une vision misérabiliste, l’objectivité des photos impose une seule vérité : la réalité.
Aux aguets, l’oeil chanceux détecte un tableau naturel dont la profondeur est soulignée par la nuance d’ocre «tany gasy», sépia encre de Chine, marron de boue (figure 45 dans le livre). Selon le degré de cuisson, l’exposition à la lumière ou le laminage des éléments, le pigment de céans, la terre du «tanindrazana», emprunte tous les tons sur la palette des peintres en bâtiment. Ici, le rouge est mis ; là, au hasard des stocks, on a badigeonné un mur en violet, peint la moitié d’un autre en pourpre, enduit une façade en mortier bâtard cramoisi, approximatif rappel du «rouge missionnaire» du 19ème siècle. Ailleurs, une inspiration artistique semble avoir avorté faute de teinture : loin de la monochromie, une bigarrure pas toujours du meilleur effet, comme les parasols des marchés qui ne sont plus blancs uniformes. Mitoyens, très mitoyens, il arrive que ce soit un code couleur qui délimite une frontière entre les occupants du dessus et ceux de plain-pied sur la rue, voire les locataires de part et d’autre «vaky lalantsara» (figures 19, 20, 30).
Il ne fallait pas un regard trop familier pour placer en vis-à-vis la vue plongeante sur cet escalier tournant du lycée Gallieni, et ce vantail orné de sa marqueterie circumambulatoire. Ce cadre d’un on-dirait-tabernacle (figure 40), à l’ornementation indéchiffrable, trouve lui-même écho dans la perspective, presque en illusion d’optique, d’un bête couloir universitaire (figure 52). Quel autochtone blasé aurait remarqué la forêt de bois ronds nécessaire au mikado des échafaudages (figures 70 et 71) alors que c’est véritablement un art à part pour les funambules du fil à plomb, de la truelle ou du crépissoir.
Pourtant, cette architecture avait pu être statutaire comme en témoignent les ornements ciselés en méandres ou en denticules. Assaillie de toutes parts, entre tôle, planches ou contreplaqué, une ancienne varangue affiche encore la finesse de ses balustres moulurés et laisse entrevoir les lambrequins sur ses planches de rives. Las, planches de récupération, châssis alu et panneaux de Plexiglas, achèvent de dénaturer l’ancienne «Trano Gasy» de belles briques apparentes.
Antananarivo est une ville blessée, aux mille points de suture. Son archéologie sera celle de ses cicatrices urbaines : profonde égratignure à l’ego architectural, nombreuses pièces rapportées à la poursuite d’une démographie familiale galopante, balafre de bricolages bon marché sur le bel agencement bourgeois originel. Une chirurgie cosmétique ne serait que ravalement de façades, le mal se situe à l’échelle d’une Capitale-province, d’une Ville-pays, dans un contexte de tiers-monde.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja