À la veille de la commémoration du 29 mars 1947, Denis Alexandre Lahiniriko, docteur en histoire et enseignant-chercheur à l’université d’Antananarivo, revient sur cet épisode fondateur de l’histoire contemporaine malgache. Soixante-dix-huit ans après les faits, les recherches historiques livrent un éclairage renouvelé sur les dynamiques de l’insurrection, ses principaux acteurs et les revendications qui ont animé les insurgés.
L’Express de Madagascar. Plusieurs choses ont été dites et sont dites autour de l’insurrection de 1947. À l’ère des réseaux sociaux, les voix des profanes sont plus entendues que celles des universitaires. Que s’est-il réellement passé ?
Denis Alexandre Lahiniriko. Les recherches historiennes sont également impactées par les réseaux sociaux, notamment en ce qui concerne la production de savoir. Les réseaux sociaux ont permis une ouverture du champ de l’expression, permettant aux « sans voix » de s’exprimer et de donner leur avis sur n’importe quel sujet. L’insurrection de 1947-48 n’échappe pas à ce phénomène.
On assiste actuellement à une véritable exposition des pages traitant des sujets d’histoire, et surtout sur les thématiques jugées « polémiques », notamment les différentes formes de violences coloniales, y compris donc 1947. N’étant pas des spécialistes, ces publications sur les réseaux ne traitent pas toujours les sujets dans leur contexte, mais plutôt sous l’angle de la mémoire. Or, la mémoire, c’est le passé au présent.
La multiplication des interventions sur les réseaux au sujet de l’histoire permet justement de nourrir cette mémoire du passé malgache, en l’instrumentalisant. Ce qui me permet d’affirmer qu’aujourd’hui, le travail des historiens est beaucoup plus difficile. D’autant plus que les publications des thématiques historiques sur les réseaux sociaux ne respectent pas toujours la méthode scientifique. Or, elles sont beaucoup plus accessibles à la population, et notamment aux jeunes. Il en résulte un renforcement de la méconnaissance de l’histoire de Madagascar, et en particulier de celle de l’insurrection de 1947-48.
Qui ont été les principaux acteurs de cette insurrection d’indépendance, puisque dans certains écrits, il est dit que le MDRM ne voulait pas d’une lutte armée ?
Les recherches historiennes permettent maintenant d’affirmer avec certitude que les principaux acteurs de l’insurrection sont les paysans de l’Est, ceux qui ont le plus souffert de l’oppression coloniale. En général, ils ont revendiqué la liberté face à l’oppression du système colonial. Dans ce cadre, liberté ne veut pas toujours dire indépendance. Pour eux, l’important est de se libérer de ce joug trop lourd de la colonisation. Ils étaient contre les exactions et les abus des colons et de l’administration coloniale.
Or, d’autres acteurs existent aussi dans la lutte politique à Madagascar à cette époque : les nationalistes, dont une grande partie habitait en ville, et en particulier à Antananarivo. Pour eux, ils représentent l’élite, et à ce titre, ils se comportent comme n’importe quels hommes politiques. Leur objectif est d’avoir le pouvoir. Leur lutte, à travers les partis politiques comme le MDRM ou le PDM, est d’avoir l’indépendance du pays. L’indépendance signifie, dans ce cas, le départ des Français, qu’ils vont remplacer pour diriger l’État.
En tant qu’hommes politiques, leurs moyens de lutte sont ceux définis par le cadre de l’État colonial, comme les élections, par exemple. Ils préfèrent ainsi la non-violence, car ils n’ont pas réellement souffert des injustices coloniales dans leur chair. C’est la raison pour laquelle ils ont condamné la lutte armée entreprise par les paysans de l’Est au nom de la liberté.
Soixante-dix-huit ans après le 29 mars 1947, et soixante-cinq ans après l’indépendance, vous, chercheurs malgaches, avez-vous eu accès aux dossiers classifiés des archives françaises ?
Depuis le cinquantenaire des événements, les chercheurs malgaches ont pu accéder à la plupart des archives, et notamment les archives administratives, y compris en France (aux Archives nationales de Paris ou aux Archives de la France d’outre-mer à Aix-en-Provence). Néanmoins, certaines pièces beaucoup plus personnelles nécessitent encore des autorisations. Des archives sensibles, comme celles des archives militaires du Château de Vincennes, sont dans le même cas.
Ces archives ont-elles apporté des faits nouveaux ou des révélations? Quelles sont ces révélations ?
L’ouverture des archives a permis d’aller loin dans la recherche. Cela a permis d’avoir maintenant une vision très claire du terrain, et surtout des combats dans les différentes régions touchées par l’insurrection. Une vision d’en bas, en quelque sorte. L’ouverture des archives a permis également de savoir que l’insurrection, au lieu d’un mouvement coordonné, était composée de mouvements localisés qui se sont étendus en tache d’huile. Oui, une certaine tentative d’organisation a été mise en place, notamment par les sociétés secrètes, mais elle n’a pas été décisive. Aujourd’hui, on sait que le mouvement d’insurrection n’a réellement débuté le 29 mars qu’à Moramanga et Manakara. Ailleurs, comme à Ambohimanga du Sud, à Ifanadina, ou encore à Andrarangovola, il a commencé très tôt, vers la fin de l’année 1946.
Pour en revenir aux événements de 1947, quelle est la posture idéologique fédératrice ayant permis la mobilisation pour engager cette insurrection d’indépendance ?
Pour les événements de 1947, l’idée, et non pas l’idéologie, qui a fédéré les insurgés, était la lutte contre les injustices coloniales et la liberté. Rien de plus, rien de moins.
Les événements de 1947 ont-ils déclenché un processus de décolonisation menant à l’indépendance en 1960 ou bien étaient-ce juste un coup de force tué dans l’œuf ?
Le processus de décolonisation était déjà en marche après la Seconde Guerre mondiale dans le monde. Donc, les événements de 1947 n’étaient qu’un élément parmi tant d’autres, un peu partout dans les colonies européennes. À Madagascar, oui, 1947 a contribué au processus menant le pays vers l’indépendance, mais dans ce cas, indépendance veut dire liberté et fin des injustices. Les paysans insurgés de l’Est ne pensaient pas réellement prendre le pouvoir, contrairement aux hommes politiques qualifiés de nationalistes.
" Aujourd’hui, le 29 mars devient le symbole de l’unité nationale."
Quel héritage le mouvement d’indépendance de 1947 a-t-il laissé pour le pays, notamment sur le plan politique et sur le concept de nation malgache ?
L’impact de l’insurrection est important. Les recherches historiennes et anthropologiques l’ont clairement indiqué. L’insurrection explique, par exemple, la méfiance de la population rurale de cette région envers les questions politiques, aujourd’hui encore. Elle a également creusé une certaine méfiance entre les populations issues des Hautes-Terres centrales et celles des régions rurales de la partie orientale de l’île.
En matière d’héritages, on peut affirmer aussi qu’ils sont nombreux. Le plus important est sans doute cette culture de contestation contre les régimes injustes et liberticides. En quelque sorte, 1947 constitue la matrice des différentes crises politiques que le pays a connues en 1971, 1972, 1991, 2001-2002 ou encore 2009. Bien sûr, ces différentes crises ont leurs spécificités. En ce qui concerne le processus de construction nationale, 1947 est considéré aujourd’hui par une partie importante de la population malgache comme un moment fort de l’union des Malgaches contre la domination coloniale.
Néanmoins, si l’on tient compte du contexte de l’époque, l’insurrection a plutôt exacerbé des divisions anciennes, souvent précoloniales. Certains combattants de 1947 ont notamment exprimé leur méfiance envers les hommes politiques urbanisés, coupables de les avoir laissés tomber, ou encore de les avoir condamnés dans leurs luttes. Une des conséquences est cette méfiance du monde rural envers les élites tananariviennes, dont une bonne partie est d’origine merina. Cela a fragilisé le vivre-ensemble.
Sur ce point, on peut dire que les questions politiques divisent et, en ce qui concerne 1947, elles ont fragilisé la cohabitation entre les différents groupes de la population malgache. Avec la décision de la Première République de consacrer le 29 mars comme une journée de commémoration des luttes nationalistes à partir de 1967, une tentative plus ou moins réussie de “nationaliser” la lutte a été entreprise. Aujourd’hui, le 29 mars devient le symbole de l’unité nationale, même si, pendant des années, l’insurrection a plutôt divisé le corps social.
Que reste-t-il de cet héritage aujourd’hui ?
Avec l’évolution contemporaine du pays, et surtout l’échec de quasiment tous les projets de développement, les héritages de 1947 s’essoufflent. Pour beaucoup, 1947 a été une lutte pour des revendications dont ils ne connaissent pas toujours l’importance. Pour eux, le 29 mars est un jour chômé pendant lequel ils peuvent s’adonner à d’autres activités. Cela est aussi le cas pour les jeunes. La transmission, aussi bien des connaissances que de la mémoire de l’insurrection, s’est estompée avec la faillite du système scolaire, incapable d’impulser le nationalisme, et avec l’aggravation de la pauvreté.
Certains pensent que, vu la situation dans laquelle se trouve le pays, la lutte des combattants de 1947 est vaine. Elle n’a pas pu apporter un mieux-être et, dans ce cas, paraît presque inutile. C’est la raison pour laquelle la Mention Histoire de l’université d’Antananarivo a décidé d’organiser une journée scientifique sur les violences coloniales. Il est du devoir des historiens de vulgariser les connaissances sur le système colonial, et en particulier sur ses aspects oppressifs et répressifs. Cela permet de replacer l’insurrection dans son contexte.
D’ailleurs, les historiens pensent qu’il est temps de faire le bilan de la colonisation, afin de bâtir une nouvelle relation entre Madagascar et la France, en tant qu’ancienne puissance colonisatrice. Cela a été le cas en Algérie ou au Cameroun. La mise en place d’une commission mixte franco-malgache sur la colonisation permettrait de dépasser ce “passé qui ne passe pas”, et de tourner la page d’une période douloureuse de l’histoire récente de Madagascar.
Garry Fabrice Ranaivoson
où il apparait que la révolte de 1947 a été tres localisée et pas nationale. curieusement la révolte éclata un an apres que l'administration coloniale eut aboli le travail forcé '( 1946)
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