Il y a vingt-quatre ans, Ridley Scott a servi au cinéma ce qui est sûrement sa masterpiece: un film qui a illuminé le chapitre culturel de l’an 2000, Gladiator. Et ce mois de novembre voit ses pages cinématographiques remplies par le deuxième volet projeté actuellement dans les salles sombres. Mais alors que l’engouement, que peut provoquer le souvenir du premier, est encore chaud, les gardiens de l’Histoire avec un grand H sont restés fidèles au poste.
Les deux volets, qui semblent vouloir s’appuyer sur ce que l’Histoire nous a appris sur des fragments de l’empire romain, vacillent quand ces bases révèlent ses lacunes, ses défauts qui se dévoilent dans les libertés prises comme celles qui se portent sur l’empereur Marc-Aurèle ou la fin de l’empereur Commode dans l’arène du Colisée. Mais visionner ces films, c’est aussi surtout s’exposer au spectacle offert par la profusion des anachronismes, véritables pollutions visuelles pour les yeux avertis des puristes de l’Histoire.
Le premier film a déjà, pour les fanatiques de l’Histoire, fait un massacre en montrant, entre autres, des étriers ou des projectiles porteurs de feu grégeois plusieurs siècles avant son invention, sans parler des armures qui s’écartent des standards de l’époque où les événements sont censés être placés. Ce second opus a repris cette recette en mettant en scène des gladiateurs qui affrontent des requins, ou le café et le journal qui s’incrustent également dans cette ère qui n’est pas encore la leur. Mais ces entorses ne suffisent pas pour faire trembler les entrailles artistiques, esthétiques ou ludiques, véritables supports vitaux, colonnes vertébrales, de toute production cinématographique.
En 2000, le monde entier savourait la capacité du premier film à provoquer le pathos, ou l’éclosion des émotions du public selon Aristote, en suivant le destin de Maximus Decimus Meridius, porté par une œuvre monumentale d’une force poignante sublimée par la musique de Hans Zimmer. Aujourd’hui, le héros est le fils de Maximus, dont l’interprétation par Paul Mescal, à laquelle s’ajoutent les performances d’autres acteurs comme Denzel Washington, offre deux heures et vingt-huit minutes de divertissement qui a, légitimement, le monopole au détriment de la vérité historique.
« Ce n’est pas l’histoire, mais l’art qui exprime la vraie vie », écrivait Nietzsche. L’art, dont le cinéma, a ce pouvoir de transcender la banalité de ce qui est considéré comme « réel », et quand il parvient à provoquer des éruptions émotionnelles, il s’aventure au-delà de l’Histoire pour atteindre les profondeurs où résident les vérités, trop souvent, occultées de l’expérience humaine. Et si les films réussissent cette mission, ou quand ils sont sources de divertissement, que leur demander de plus ?
Fenitra Ratefiarivony