Le Rova de Ratrimo se trouve aussi sur l’un des Collines sacrées de l’Imerina. |
Mises à part les migrations vers Madagascar et l’importation des esclaves (lire précédente Note), la conquête de l’hinterland malgache a été une autre trame de migrations intérieures (Ramisandrazana Rakotoariseheno, membre titulaire de l’Académie Malgache (Section II), « Notions de Tanindrazana en Imerina à travers l’histoire »). En suivant les cours des grands fleuves, les migrants ont sillonné l’ile en long (du Nord au Sud-Est et au Sud-Ouest, du Sud vers le Centre) et en large (de l’Ouest vers le Sud-Est et du Centre vers l’Ouest).
Ces mouvements de populations sont largement évoqués dans les traditions orales Les soi-disant regroupements «ethniques » des temps modernes depuis la colonisation, n’ont pas toujours été des images statiques. « Il y a cinq siècles, les Sakalava étaient en Imerina, et les Merina ou Hova étaient dans le Menabe, dont l’ancien nom était Antsakoambe, pour ne parler que de ces deux groupes » (Rakotoariseheno, Ranaivoson, 2015). « Ce détour historique semble essentiel pour comprendre les tendances actuelles qui sont les reflets des pesanteurs historiques en matière de migrations intérieures », précise l’auteure de l’étude.
Concernant l’histoire des Merina, elle s’est faite de lents déplacements de « harana en harana », sommets qui sont alors autant de capitales et donc, d’emprise territoriale par le biais des tombes royales. « Harana » signifie également ossements. Car « chaque souverain était enseveli seul, sans son ascendance ni sa descendance, au sommet des collines assurant ainsi une continuité territoriale et ces sommets étaient autant de places fortes que de zones fortifiées ».
En fait, les tombes royales du VIIIe au XIIIe siècle sont ainsi des « bornes » et des fixations de frontières. La lignée d’Andriantsaratahiry du VIIIe siècle a donc, par définition, plusieurs « tanindrazana » pour cette époque du VIIIe au XIVe siècle. L’auteure cite ainsi Fanongoavana, Ambohipaniry, Ambatondrakoriaka, Beravina, Ampandrana. Ces capitales sont les Tanindrazana des « pères fondateurs », et certaines sont ravies à la dynastie Vazimba (R. Rakotoariseheno, « Testaments politiques et modes de gouvernance des anciens souverain de l’Imerina », communication à l’Académie Malgache, 2019). Tandis que celle de Rapeto qui remonte l’Ikopa en partant de l’Imamo, matérialise leur emprise territoriale par des toponymes incluant le nom Trimo, d’Ambohitrinitrimo sommet surplombant Mahitsy, jusqu’à Anosibe Trimoloharano au pied du réservoir de Tsiazompaniry dans l’Amoronkay, en passant par Ambohidratrimo, Ambatodratrimo du côté d’Ambohimamory, Ambohi-drapeto, les Trimoanosy des environs d’Ampitatafika et Tangaina, et les Trimoanala d’Alasora et d’Ambohijanaka.
La prise de possession des hauteurs est continuelle pour la dynastie régnante « merina ». Les enfants princiers sont toujours « partagés » par les parents entre ceux qui seront ensevelis dans les Tanindrazana du père et ceux qui rejoindront les apanages de leurs mères, de manière à ce que le groupe continue son maillage territorial. « L’espace de la mort contribue également à augmenter la charge sacrée du lieu, le concept de Tany Masina dont l’évocation est systématique dans les prières traditionnelles, est enrichi en ajoutant le corps du roi à la terre et particulièrement au monde minéral. »
D’après l’académicienne, les soi-disant ruptures véhiculées par les traditions orales, entre la lignée des Rafandrana (XIVe-XVe siècles, huit souverains), ancêtres de Rangitatrimovavimanjaka, et sa propre lignée établie à Alasora, sont des « versions idéologiques de l’accélération de l’histoire ». Elles recouvrent en fait des guerres de conquêtes territoriales pour l’exploitation systématique des possibilités offertes par les grandes plaines de l’Imerina, en verrouillant le fleuve Ikopa, ce qui permettrait par la suite de regrouper un très grand nombre de sujets. Les instrumentalisations idéologiques ne dataient pas d’aujourd’hui. À ce titre, les séries de Douze collines sacrées étaient nombreuses… En réalité, le chiffre 12 est également « un symbolique célestiel de plénitude » (Jean-Pierre Domenichini, écrivain, ethnologue).
Elles sont Tanindrazana des rois, mais également biens communs du peuple en tant que lieux sacrés de la religion traditionnelle, jadis et aujourd’hui. Tanindrazana est d’abord l’évocation à la fois de la terre et des morts de tout individu quel que soit sa place dans la hiérarchie sociale lui donnant une identité certaine. Ce mot est donc identificatoire, par lequel la parenté retrouve à la fois son ancestralité et son patrimoine foncier, mais aussi, le statut, dont le maintien est une obsession, que les lignages transmettent à leur descendance (P. Ottino, « Les champs de l’ancestralité à Madagascar, Parenté, Alliance, Patrimoine » 1998).
Pela Ravalitera