Karl Marx devrait se retourner dans sa tombe. Trente-quatre ans après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, synonyme de la disparition du bloc de l’Est, ses idées ne sont pas complètement ensevelies. On en a eu une nouvelle preuve la semaine passée. Les cyclistes qui font office de taxi ont manifesté vendredi à Anosibe pour contester la décision des autorités municipales de les “parquer” sur la piste cyclable. Quoi de plus naturel que de les mettre là où ils doivent être pour ne pas gêner la circulation ? Eux, ils refusent catégoriquement de se soumettre à cette mesure sous prétexte que la rue en pavé abîme à la longue leur engin, de l’homme comme le vélo. Ce qui n’est pas faux dans un sens, sauf que depuis 1896, il existe une compétition cycliste dénommée Paris-Roubaix, longue de plus de 250 km entièrement sur pavé, sans que les participants s’en plaignent.
Ce n’est pas le plus grave. Là où cela inquiète sérieusement, c’est que ce genre de manifestation fait tâche d’huile ces derniers temps. Les administrés de la ville tiennent tête aux autorités municipales et contestent toutes mesures d’assainissement de la capitale. Les marchands de rue ne veulent pas être casés, les tireurs de charrettes renient les horaires de passage autorisés, les camionneurs sont contre toute idée de réglementation de leur entrée au centre-ville, les taxis ne font qu’à leur tête quant au respect des cahiers des charges… Toute cette population fait justement partie de ce que Karl Marx a défini comme prolétariat, autrement dit la classe sociale des travailleurs qui ne possèdent pour vivre que leur force de travail. En d’autres termes, à une certaine époque, les masses laborieuses, les masses populaires, les ouvriers, le peuple, les travailleurs…
La pauvreté étant, conjoncture électorale aidant, les autorités ont souvent cédé face à ces levées de boucliers. Après des velléités d’intransigeance, on finit par s’accommoder de cette dictature des prolétariats. Et on ne voit pas comment on pourrait voir le bout du tunnel face à l’opiniâtreté des “opprimés” et le laxisme des responsables. Car il faut résoudre les problèmes dans un ensemble et non un à un. On ne peut pas sévir contre les vélos-taxis alors qu’on laisse les marchands occuper les rues, les véhicules squatter les trottoirs, les pousse-pousse et les charrettes circuler impunément…
Le plus dur pour le prochain maire n’est pas de tenir la ville propre, de réhabiliter les rues, de maintenir la sécurité, mais de réussir à remettre toutes ces masses laborieuses dans le sens de la marche. Un pari compliqué depuis que les crises politiques successives ont appris à la population la désobéissance civile, la mutinerie, l’insubordination… À qui profite le crime ?
Sylvain Ranjalahy