La tradition du « famadihana » revêt une forme de tontine moderne. |
Selon A. Deliège, les rituels cérémoniaux permettent aux Malgaches de mieux insérer les innovations et la modernité. En effet, toute situation nouvelle doit être réglée par les coutumes. C’est la seule manière de donner du « hasina », à la nouveauté (lire précédente Note).
Ramisandrazana Rakotoariseheno, directeur de Recherches associée au CNRE, historienne, membre titulaire de l’Académie Malgache, dans son analyse sur Le Malgache est-il homo-oeconomicus dans son histoire et sa culture, explique que les changements subis ou voulus requièrent, de façon incessante, l’invocation des ancêtres garants des dérèglements sociaux. Mais si certains ethnologues économistes considèrent ces cérémonies comme une « véritable toxicomanie psychologique », dit-elle, la tendance est néanmoins à la restriction des dépenses pour l’accomplissement des rites.
L’historienne fait remarquer que de riches éleveurs ne prélèvent que, de manière parcimonieuse, leur cheptel et « anticipent l’éventuelle colère des ancêtres» en faisant des sacrifices périodiques pour conjurer le malheur, diminuer une hécatombe possible et gérer biologiquement leurs troupeaux (Enquêtes du CNRE, lire précédente Note).
L’auteure de l’analyse évoque d’autres exemples d’épargne. « Des agriculteurs enrichis par l’aubaine du maïs jouent sur trois modèles d’investissement. » Une partie est toujours investie dans le troupeau pour gérer le surnaturel et ne pas se faire critiquer : c’est l’investissement traditionnel par excellence. Un autre est converti dans l’immobilier en dur, alors même qu’il leur est interdit traditionnellement de bâtir en dur. Enfin, la dernière part est investie dans le charbonnage qui est leur véritable fonds de roulement quotidien. Les sociétés du Sud dites « traditionnelles » sont, en fait, en pleine mutation et défient même les tabous. « Il y a donc une nouvelle économie en cours malgré la soi-disant emprise des traditions. »
Deux faits demeurent et transcendent les dynamiques, précise l’académicienne. Primo, les Malgaches manipulent le secteur moderne pour mieux renforcer le circuit traditionnel, garant de la stabilité et de l’idéal communautaire (Fieloux, Jacques Lombard, Élevage et Société, Étude des transformations socio-économiques dans le Sud-Ouest malgache, l’exemple du couloir d’Antseva, Aombe 1, MRSTD-Orstom). Une logique nouvelle est toujours construite par l’intégration du nouveau dans l’ancien et non sur leur opposition, soulignent les deux anthropologues, car les traditions ne sont ni monolithiques ni des obstacles absolus, mais demeurent une composante essentielle de leur décision.
Le vrai problème est celui de l’économie de subsistance, adaptée à leur pauvreté, qui ne leur permet d’accumuler ni d’aller au-delà d’un rythme biologique -« à chaque jour suffit sa peine »-, fait remarquer l’historienne. « Ce qui expliquerait la prolifération de l’informel de nos jours. » Mais, ajoute-t-elle, ce dernier aspect est une autre histoire du monde moderne, mais qui semble être un héritage de cette mentalité ancienne. Cette fois-ci, il est plus un frein qu’un levier, car malgré l’existence d’un esprit de compétition, cela n’est pas capitalisé dans un système d’émulation plus conséquent ou systématisé.
L’académicienne donne d’autres exemples. Dans certaines régions de Madagascar, comme le Vakinankaratra, la tradition des deuxièmes funérailles ou famadihana revêt une forme de tontine moderne de nos jours. Les dépenses sont supportées finalement par le système de dons et contre-dons enregistrés dans un cahier pour que la famille qui organise le rituel puisse, par la suite, « rendre » le don avec un petit intérêt à la famille qui a été récemment invitée. « La tradition a permis une circulation de capital, un prêt déguisé, et un remboursement où tout le monde y trouve son compte. Le capitalisme est bien intégré et il est autorisé en étant dans le circuit des traditions et donc toujours revêtu de la notion de hasina qu’on s’offre mutuellement. »
Dans le Sud-Est, il y a une cérémonie d’adoubement des personnages devenus très influents dans la société dite moderne d’aujourd’hui. Cette cérémonie s’appelle « fibezana» (littéralement, moyen de devenir grand). La personne devenue « riche » ou ayant acquis une ascension sociale, est tenue de faire des « fêtes dispendieuses » pour remercier sa communauté. C’est également un échange réciproque d’honneurs, de « hasina », de respect mutuel. « Elle est donc tenue d’une certaine manière à distribuer même symboliquement un peu de sa richesse. Car l’enrichi-ssement individuel est assez mal vu. Il faut qu’il soit d’essence communautaire. »
Pela Ravalitera