De temps à autre, tout le monde affronte ses questions existentielles. Après trente-deux ans à tenir la plume, je m’octroie le droit d’ignorer ce qui se commet aux marges de l’essentiel. J’ai longtemps cru que la politique en faisait partie, de l’essentiel, mais cette chaleur infernale au-dessus de ma tête me ramène à une réalité plus immédiate : vanité, et rien que vanité, si ce soleil continuait à darder aussi impitoyablement, si les nuages venaient à s’évaporer, si la pluie ne tombait plus, si les sources et les rivières, jusqu’à la nappe phréatique, tarissaient.
Pouvoir, puissance, gloire, seraient absurdement inutiles si l’eau, ingrédient de la vie, et donc la vie elle-même, nous abandonnait. Madagascar, ce pays de lacs remblayés en «zone de développement mixte», ce «grenier agricole» de rizières transformées en parkings, cette modernité minérale toute de béton, cette planète Mars en devenir. Sauf que les autres races du genre humain envoient des sondes sur Mars justement dans l’espoir d’y trouver de l’eau.
Que l’île verte devienne chaque jour une île toujours plus rouge de terre ferralitique lessivée, et il faudra compter l’humain malgache, officiellement en voie de disparition, au même titre que la faune endémique qu’il aura décimée et que la flore qui avait trouvé son sanctuaire sur cette terre longtemps à la périphérie de l’anthropocène. Un gâchis incommensurable, inversement proportionnelle à la minuscule échelle des deux syllabes Ga-sy, qui alimentera une abondante littérature d’incrédulité planétaire.
Malgaches, nous aurions occupé un alinéa dans le grand Livre de l’histoire du monde. Réfugiés climatiques sur quelque contrée, sans doute hospitalière mais définitivement à nous étrangère, nous aurons droit à des tomes s’évertuant à comprendre comment une poignée de locuteurs partis du Sud-Est de Bornéo, plus tard agrégés d’autres voyageurs indiens, persans, sémites, africains, auront réussi à faire table rase d’une «Nature Cinq Étoiles», et à réduire en cendres la forêt primaire d’une des plus extraordinaires biodiversité de la planète Terre.
Ces locuteurs austronésiens avaient oublié de laisser en Asie du Sud-Est cette destructrice coutume très ancestrale de la culture sur brûlis. Qui eût cru que, deux mille ans plus tard, délestage et bidons jaunes seraient le lot quotidien de leurs lointains descendants qui continuent pourtant de les idéaliser en Ntaolo sages, raisonnables et spartiates, presque écolos.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja