C’est «Le Nouvel Observateur» qui attribue à Samuel Maréchal, gendre de Jean-Marie Le Pen et père de Marion Maréchal, le «ni droite, ni gauche, français». C’est que j’ai conservé un vieux numéro du «Nouvel Obs».
Un numéro gueule de bois pour le Parti socialiste français et l’ensemble de la gauche : «leçons d’un désastre», «autopsie d’une catastrophe». Exercice psychanalytique : «première constatation, (Le Pen) obtient de bons résultats dans toutes les classes d’âge ; deuxième constatation, Le Pen recueille des voix dans toutes les catégories socio-professionnelles».
C’est le numéro 1955 du 25 avril au 1er mai 2002, juste à temps pour boucler après le 21 avril, date du premier tour de l’élection présidentielle qui a vu Jean-Marie Le Pen, candidat du Front National, devancer Lionel Jospin et accéder au second tour.
Étrangement, à lire et relire les Françoise Giroud, Jean Daniel et autre Jacques Julliard, c’est la France de 2024, celle des élections européennes remportées par le Rassemblement National et des législatives post-dissolution, qu’on analyse avec vingt-deux ans d’avance. À l’époque aussi, et déjà, il y avait la dissidence Mégret comme on assiste aujourd’hui à l’indépendantisme Zemmour. Il y avait déjà la fille aînée, Marie-Caroline, partie chez les «MNR» comme aujourd’hui la nièce Marion tentée par «Reconquête». En 2002, il y avait des drapeaux palestiniens brandis pour Jénine comme en 2024 l’extrême-gauche se pavoise pour Gaza.
Jacques Julliard, s’interrogeant «sur la nature du phénomène Le Pen», nous livre ce morceau d’objectivité, malgré son militantisme de gauche : «agitateur d’extrême-droite, à tendances autoritaires et xénophobes, doublé d’un politicien habile et talentueux. Est-il fasciste ? (...) sa stratégie n’est pas fasciste au sens classique du mot. Il affiche au contraire un respect scrupuleux de la démocratie, du suffrage universel, de l’institution parlementaire (...) La vraie différence, pourtant, c’est que la stratégie fasciste était d’ordre politique et institutionnel, tandis que celle de Le Pen est principalement sociale. Sa lutte contre l’immigration, contre l’insécurité, pour le rétablissement de la peine de mort, sa défense des «petits», des «sans-grade» contre les gros et les puissants relèvent d’une vision classiquement conservatrice, parfois réactionnaire, de la société (...) Pour beaucoup de petites gens, ne l’oublions pas, le champion de la lutte contre la mondialisation, c’est Le Pen ! Enfin, dans le milieu des artisans et des commerçants, au thème dominant de l’insécurité s’ajoute celui du poids écrasant des impôts et des charges sociales : le succès de Le Pen s’apparente à celui, classique, de la jacquerie antifiscale».
Jean Daniel, celui qui avait discuté marxisme et communisme avec le «Che» Guevara et Fidel Castro, fait le constat de «la France un pays sans âme, de la gauche un rêve dépassé». Il raconte comment on baisse la voix pour affirmer que dans les hôpitaux et les prisons la population des malades et des détenus est en large majorité maghrébine ou noire. Il explique que «chaque région croit avoir sa propre ethnie de malfaiteurs mais, en s’interdisant d’en faire état, elle se prive du même coup de la possibilité de connaître la vérité. Or des peurs diffuses, des rumeurs incontrôlées alimentent ce sentiment de ne plus pouvoir mener la même vie qu’avant, de moins profiter de la France que ses parents. Sentiment vécu dans les quartiers les plus pauvres, les plus déshérités, et dans les villes où les Français d’origine se trouvent minoritaires. Il va jusqu’à s’inquiéter «si, arrivant à refouler la vulgarité extrême de sa xénophobie, (Le Pen) décidait de ne plus donner de mauvaises réponses à ses bonnes questions». Parce qu’alors, «il aurait un avenir pour rétablir la peine de mort, interdire l’avortement, exclure le vote des résidents étrangers et négocier le renvoi dans leur pays des immigrés suspects».
Laurent Joffrin, dont le père fut proche de Le Pen, s’est entretemps encore plus gauchisé en passant du Nouvel Obs à Libé. C’est pourtant lui qui écrivait que «le FN est le premier parti ouvrier de France». Et que «quand on siffle «La Marseillaise», quand on tire sur la police au bazooka, quand on crache sur un président en exercice, quand on attaque des synagogues, Le Pen n’a plus besoin de hausser le ton. Il ramasse».
«Socialement de gauche, économiquement de droite, nationalement de France», «ni droite, ni gauche, français» : dimanche 7 juillet 2024, les Français voteront peut-être pour un de ces rares tournants majeurs dans la vie d’une nation, chantée par Renan, et d’un pays, vieux et tellement cher à de Gaulle. En leur âme et conscience.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja