DONNÉES NUMÉRIQUES - De grands enjeux sur la table

Journées consacrées à la data les 11 et 12 juillet 2024 à Antananarivo.

À l’heure du Big Data, la connaissance, la maîtrise et la bonne exploitation des données sont devenues essentielles. Madagascar a un retard à rattraper dans ce domaine, malgré les progrès récents. Le potentiel du secteur est important et les spécialistes ne cessent de rappeler les grands enjeux liés aux données dans la Grande Île.

La gouvernance de la donnée numérique n’est plus un sujet nouveau, puisqu’elle est liée à l’émergence du numérique elle-même. Mais elle a pris une dimension particulière ces dernières années, quand les données et leur exploitation stratégique et commerciale sont devenues un actif majeur au cœur du modèle économique du secteur du numérique. Et force est de constater qu’à Madagascar, de plus en plus d’entreprises sont conscientes de la place que tiennent les données dans leur stratégie de développement, tout comme les responsables publics sont persuadés de la nécessité d’accélérer et de se renforcer dans ce domaine. 

La semaine passée, l’événement de deux jours sur le thème « Maîtriser la Data pour transformer Madagascar », organisé à Antananarivo, a permis de se convaincre que les lignes bougent au profit de ce secteur qui représentera plus de 1 000 milliards d’ariary d’ici 2030. À noter que c’est le ministère du Développement numérique, des Postes et des Télécommunications (MNDPT), avec la collaboration du cabinet Onepoint et de Global Business Network International, qui a organisé la rencontre marquée par des échanges avec des acteurs clés du secteur public et privé, des experts nationaux et internationaux, pour discuter ensemble des opportunités offertes par la maîtrise des données. À cette occasion, le ministre Tahina Razafindramalo a mis en lumière plusieurs points clés pour l’avenir du pays et a également souligné l’importance de la data pour la gouvernance et le développement de Madagascar. 

Disposer d’une base fiable

« Un des objectifs clés est l’interopérabilité des données, permettant une collaboration efficace grâce à des bases de données communes (démographiques, sociales, économiques), ce qui permettra de lutter contre le secteur informel », a-t-il notamment souligné. Lors de la deuxième journée, un atelier interactif a été organisé, avec la présence de tous les acteurs opérationnels des différents ministères. Ce fut l’occasion de faire en sorte que tous les participants aient une compréhension commune des enjeux autour de la data et de l’intelligence artificielle. Objectif selon les organisateurs : « créer des services publics utiles et performants pour les citoyens malgaches ».

Selon Laurent Dubois, ingénieur spécialiste de l’analyse des données et qui connaît bien l’écosystème numérique de la Grande Île, il est important de rappeler que la data est traditionnellement une composante importante de l’économiste ou du statisticien, qui s’est ouverte au Data Scientist dans le monde du digital. Cette analyse répond à plusieurs objectifs. Notamment économiques et financiers quand il s’agit de mesurer les performances d’une entreprise ou d’un État. Marketing pour connaître les comportements des clients et leur fournir les services et produits idoines, opérationnel pour la supervision de l’activité ou la maintenance du matériel, réglementaire pour appréhender le risque inhérent à l’activité des entités supervisées. 

Pour notre interlocuteur, une analyse efficace des données implique de disposer d’une base importante et fiable, et de sources de bonne qualité. L’évaluation statistique étant basée sur le passé, l’historique comportemental des acteurs étudiés servant souvent de base pour prédire le futur. Auparavant, ce sont les institutions d’envergure (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement, etc.) qui fournissaient les données sur les économies des pays comme Madagascar, à partir des déclarations des administrations. Plus récemment, ces partenaires ont procédé à des enquêtes qui apportent une granularité plus fine dans les informations collectées, aux côtés de nouveaux acteurs qui engagent diverses études. 

De plus en plus de jeunes s’intéressent aux métiers de la data.

Engagement renforcé

Tiana Harison, consultante spécialiste dans les systèmes d’information, rappelle pour sa part que la révolution du Big Data consiste à collecter des informations individuelles comportementales, entre autres, grâce à la numérisation et au mobile : transport, opérations de paiement, utilisation des réseaux sociaux, etc. Ainsi, ce n’est plus l’État et les « PTF » seulement qui collectent et diffusent ces données, mais les acteurs du secteur privé et de la société civile qui sont mieux outillés. Ces données sont, pour certaines d’entre elles, mises à disposition gratuitement une fois anonymisées (Open data), tandis que d’autres sont commercialisées pour être utilisées pour mieux comprendre le comportement et les aspirations des segments de marché ou d’un client en particulier. Dans ce contexte, il est indispensable d’en finir avec le manque cruel de données, du fait notamment du retard pris par le pays en matière d’infrastructures (financières, télécoms, etc.). « Les données numériques sont encore peu nombreuses pour alimenter des outils d’analyse. Capter des données existantes n’est pas suffisant pour constituer des bases de données exploitables. Or, ces données sont essentielles pour soutenir le développement de l’activité économique et la demande de dataset de taille ne cesse de croître », remarque-t-elle.

Notons que dans son rapport, la World Wide Web Fondation a dressé un constat sévère sur les données en général. «  On dispose de peu de données ouvertes dans la région en raison de l’absence d’une culture ouverte, d’une législation insuffisante et de processus qui ne sont pas sensibles à des volets stratégiques comme le genre », peut-on lire dans le document. Aussi, les réalités culturelles et sociales ne doivent plus empêcher l’utilisation des données ouvertes disponibles. Les ensembles de données clés pour soutenir les entreprises et les objectifs de plaidoyer ne doivent plus souffrir d’absence en tant que données ouvertes. Autre remarque : le pays ne dispose pas de base solide de recherche sur l’accès et l’utilisation des données ouvertes, en grande partie en raison d’un manque de financement. Il faut donc mobiliser plus de ressources si tout le monde est déjà persuadé que le Big Data est devenu un outil stratégique incontournable pour les entreprises.

Stratégies de terrain

 Une exploitation des données massives est essentielle pour gagner en compétitivité, améliorer la prise de décision. Ces différentes difficultés à surmonter ont été discutées lors des journées consacrées à la data. Parmi les participants, le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage (MINAE), représenté par Clara Raherijaona, directeur de la Communication, du Système d'Information et de la Digitalisation, a démontré l’importance d’un engagement fort envers la modernisation des services par l’intégration des données et des technologies numériques. Selon cette responsable, « la digitalisation des cartes des producteurs est un projet phare du ministère, visant à améliorer la gestion des dotations en intrants agricoles ». Cette responsable a aussi noté l’importance de l’approche numérique pour une gestion optimisée et transparente des ressources agricoles. « L’introduction prochaine du système e-voucher représente une avancée significative dans notre démarche de digitalisation, permettant une traçabilité accrue et une allocation plus efficace des intrants », a-t-elle ajouté.

Du côté des développeurs de startups, on milite aussi pour que les lignes bougent plus vite. « Les données nécessaires pour mener des études de marché, analyser la concurrence ou comprendre les habitudes des consommateurs sont souvent difficiles à obtenir. Chez nous, la collecte des données passe par des méthodes plus traditionnelles comme les questionnaires ou les interviews. Ces procédés peuvent être moins efficaces que les méthodes numériques utilisées ailleurs », explique Vonjy Randria, jeune entrepreneur dans le digital. Pour le MNDPT, des efforts sont déployés pour ouvrir l’accès aux données. Ce département qui souligne également que les startups peuvent exploiter des outils locaux et des stratégies de terrain pour optimiser leur acquisition d’informations. Par exemple, utiliser des enquêteurs locaux pour mener des études de marché, permettant une collecte de données plus précise et adaptée aux réalités du terrain. Par ailleurs, le ministère souligne qu’il ne suffit pas d’obtenir des données. Leur interprétation est tout aussi cruciale pour distinguer les informations stratégiques des données inutiles, facilitant ainsi une prise de décision éclairée. La collaboration avec des experts en data et des organisations publiques peut également jouer un rôle crucial selon le MNDPT. Des initiatives telles que la publication de rapports détaillés par des cabinets d’études sont ainsi encouragées afin d’obtenir d’informations précieuses pour les startups qui souhaitent que le soutien du gouvernement dans la création de data centers et l’amélioration des infrastructures puissent faciliter davantage l’accès aux données.

Protection des données 
Du Code des 305 articles à la Loi de 2014

Le nombre de data centers est appelé à se multiplier dans la Grande île.

Tahina Fabrice Rakotoarison, docteur en droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rappelle que très tôt le droit coutumier malgache s’est soucié de la protection de la vie privée. L’article 157 du Code des 305 articles disposait en effet que « celui qui lira un écrit appartenant à un particulier, alors que l’intéressé n’aurait pas sollicité cette lecture, sera puni ». Du reste, ce souci de protection du secret des correspondances a été repris dans le droit moderne en l’occurrence par l’article 187 alinéa 2 du Code pénal. La vie privée était donc abordée mais de manière parcellaire et surtout répressive. De fait, la notion n’a guère suscité d’intérêt dans les vastes entreprises de codification au moment où la Grande Île a recouvré son indépendance. Il faut toutefois nuancer. La vie privée n’en est pas pour autant dépourvue de protection. L’article 204 de la Loi sur la Théorie générale des Obligations (LTGO) permet, au plan civil, d’en sanctionner les atteintes. Si par la suite la notion a pu être invoquée dans certains textes, il faudra attendre la loi 2016-029 portant code de la communication médiatisée pour voir apparaître une définition de la vie privée. Mais elle n’y est abordée que par rapport à ses éventuels conflits avec la communication et plus exactement avec la liberté d’expression et d’information. Sur le plan social et institutionnel, Tahina Fabrice Rakotoarison estime que la Grande Île n’a pas échappé au phénomène de numérisation. Il note ainsi qu’il existe un réel engouement du grand public pour les réseaux sociaux et Internet. 

Sur le plan institutionnel, l’administration manifeste sa volonté de s’engager dans l’ère du numérique, d’où l’existence du programme pour la digitalisation de l’administration. La numérisation de certains documents administratifs tels que le passeport biométrique ou encore le permis de conduire biométrique s’inscrit également dans ce mouvement. Enfin, sur le plan économique, dans le contexte intérieur, notre juriste constate que de manière générale, le commerce électronique commence à se développer. C’est la raison pour laquelle le législateur a pris soin d’adapter le corpus législatif. 

De manière plus particulière, il note le fulgurant développement des services via le téléphone mobile. Spécialement, le « mobile banking » qui offre des solutions concrètes et à moindre coût dans un pays où le taux de bancarisation de la population est encore faible. « Ainsi, on voit bien que la question des données à caractère personnel se niche au cœur de ces situations diverses. La problématique de leur protection ne pouvait donc que se poser : comment assurer la protection des données à caractère personnel à Madagascar dans ce contexte susmentionné ? », ajoute-t-il avant de souligner que la loi : 2014-038 sur la protection des données à caractère personnel constitue l’épine dorsale de la protection ainsi voulue. Il se demande toutefois si au-delà de cette loi, la protection des données à caractère personnel n’appelle pas des moyens complémentaires...

VERBATIM

Ernest Zafivanona Lainkana, directeur général des Douanes

« Le recours à un Data Warehouse permet désormais à la Douane de centraliser et consolider ses données dans un même endroit, avec une importante capacité de stockage. Par ailleurs, les données sont organisées de façon transversale afin que la Douane puisse disposer des informations utiles sur un sujet souvent transversal aux structures fonctionnelles ».

Clara Raherijaona, directeur de la Communication, du Système d'Information et de la Digitalisation au MINAE

« Dans le domaine agricole, promouvoir l’utilisation des technologies numériques et des données revêt un enjeu de premier plan. D’où l’engagement du ministère de tutelle envers la digitalisation des cartes des producteurs, mettant en avant leur utilisation pour une gestion optimisée des dotations en intrants agricoles. Lors du séminaire sur la maîtrise de la data, nous avons souligné le potentiel des données pour améliorer la gouvernance du secteur et renforcer l’accès aux services publics ».

LE SECTEUR DE LA DATA EN CHIFFRES


L'Express de Madagascar

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