 |
| Les PTF sont de plus en plus actifs dans le domaine de l’appui au secteur de l’engrais. |
Pas d'émergence agricole sans un secteur des engrais dynamique. C'est le constat fait par les autorités et les partenaires techniques et financiers. D'où la volonté des responsables d’accélérer la cadence et d’impliquer davantage le secteur privé.
L'engrais est l’un des éléments essentiels dans l’amélioration de la production agricole. Il améliore le rendement, augmente la qualité des produits en leur offrant des nutriments, et accroît la fertilité des sols. Et les observateurs sont unanimes sur le fait que l’économie agricole de la Grande île a un fort potentiel d’expansion si l'industrie des engrais se développe. Jusqu'ici, l’utilisation des engrais à Madagascar reste marginale, et conditionnée par divers facteurs tels que la rentabilité, la disponibilité physique en quantité, qualité et coût acceptable, l’accessibilité des sources de financement, l’importance ou non des aléas climatiques et la maîtrise de l’eau.
Sur les dix dernières années, le niveau d’importation d’engrais se situe à une moyenne de 21 000 tonnes annuelles sauf en cas d’opérations spécifiques. On sait en outre que dans le pays, le niveau d’utilisation d’engrais chimique par hectare est l’un des plus faibles du continent avec 8,8 kg, soit un volume trois fois inférieur à la moyenne africaine (26,4 kg). Mais les responsables publics soutiennent que l’heure est aux actions pour renverser la tendance. "La stratégie adoptée par le gouvernement consiste à faciliter considérablement l’accès aux engrais pour améliorer la production. D’où le renforcement de la coopération avec le secteur privé", a-t-on fait savoir du côté du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. Ce département qui a aussi rappelé la signature récente d'accords avec les entreprises Manarivo et STOI, qui vont intervenir dans la région Analamanga, Zina dans l'Amoron’i Mania, Fama dans l'Alaotra-Mangoro, BSF et Biozen dans la région Atsinanana et IRM dans le Boeny.
Pour le ministre en charge de l'Agriculture, Suzelin Ratohiarijaona, "cette collaboration permettra aux agriculteurs d’accéder plus facilement aux engrais à moindre prix. C’est l’un des principaux objectifs poursuivis dans le cadre de la mise en œuvre du deuxième grand pilier de la Politique Générale de l’État : l’industrialisation et la transformation économique". Les opérateurs agricoles saluent les initiatives menées. Jean Rivo Rabesa, agriculteur, souligne, par exemple, l'apport de l’usine d’engrais, fruit d’un partenariat avec ETG Inputs Madagascar. Inaugurée au mois d'octobre dernier à Analamalotra (Toamasina II), "cette unité industrielle donne un coup de pouce salutaire à l'économie rurale de la région". Et notre interlocuteur de poursuivre que malgré ses ressources naturelles abondantes, Madagascar a toujours été confrontée à d’importants défis en matière de sécurité alimentaire. "Aujourd’hui, grâce à l’ouverture de cette usine d’engrais, une étape cruciale vers la réalisation de cet objectif ambitieux est franchie".
Quant à la société ETG, elle se dit persuadée que cette usine d’engrais est un exemple remarquable de partenariat public-privé réussi. "Le gouvernement a créé un environnement favorable à l’investissement dans le secteur agricole, démontrant ainsi comment la coopération entre le secteur privé et le gouvernement peut catalyser le développement économique et améliorer la qualité de vie des citoyens. Désormais, avec l’usine pleinement opérationnelle, un appel est lancé à l’engagement continu de tous les acteurs impliqués pour atteindre l’objectif de production annuelle de 36 000 tonnes d’engrais, conformément à l’accord initial".
L’engrais en mode bio
À savoir que Toamasina abrite également la première unité industrielle spécialisée dans la production d’engrais biologique implantée par la société Faly Hordea, avec l’appui technique de l’Agence de développement inclusif et durable (Adid). Selon ses initiateurs, ce projet industriel a pour but de fournir des types d’engrais biologiques adaptés à chaque type de parcelle de terrain des producteurs, après analyse pédologique des sols, en vue d’augmenter la productivité, et ce, sans aucune intervention de produits chimiques.
L’usine d’Ambalamanasy va aussi aider à étendre les surfaces agricoles exploitables à travers la restauration des parcelles de terrain dénudées en raison de l’utilisation permanente de produits chimiques ainsi qu’à l’exploitation des parcelles arables appartenant aux producteurs. Selon Faly Rasamimanana, le fondateur de l’entreprise, il est indispensable d’augmenter significativement la production dans un contexte où Madagascar a besoin d’atteindre son objectif d’autosuffisance alimentaire et de se protéger contre les conséquences du changement climatique. Sans oublier les autres chocs comme la guerre en Ukraine.
L’usine a une capacité de production journalière de 15 à 20 tonnes et a effectué sa phase d’essai technique. L’entreprise travaille avec plusieurs producteurs locaux pour se fournir en matières premières comme la consoude et le "voandelaka". Elle a aussi noué un partenariat avec le SAF/FJKM et peut miser sur le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage pour la vulgarisation de la plantation de ces matières premières qui vont accroître les revenus des paysans de cette partie de l’île.
On sait en outre qu’une parcelle d’expérimentation étalée sur une superficie de 3 500 m² est en même temps exploitée pour développer des cultures maraîchères utilisant des engrais bio et des bio-insecticides produits par cette unité industrielle. Faly Rasamimanana estime que l’heure est aux initiatives à impact. Il souhaite aussi davantage de synergie d’actions et d’analyse des risques, une meilleure valorisation du capital humain, surtout des producteurs et des chercheurs, afin d’accélérer le développement du secteur agricole du pays et de privilégier les bonnes pratiques comme l’agro-écologie qui permet l’équilibre de la biodiversité. L’Adid a fait savoir de son côté qu’elle a effectué des études sur la situation sociale des communautés locales, notamment leur mode de vie et leur état de santé dans l’objectif d’augmenter leur productivité.
 |
| Accord entre l’État et les entreprises pour booster la production locale d’engrais. |
Les partenaires jouent le jeu
À Madagascar, où plus de 70 % de la population active travaille dans le secteur agricole, le renforcement de l’accès des producteurs aux intrants revêt une importance capitale. Les partenaires techniques et financiers de Madagascar ont de nombreuses fois rappelé ce constat. Pour la Banque africaine de développement (Bad), la faible utilisation d'engrais est due à l'incapacité du pays à mettre en place une chaîne de valeur des engrais solide et dynamique pour répondre aux besoins du secteur agricole. Et cette institution d'ajouter qu'une population en forte croissance exige une production d'engrais à grande échelle pour assurer une meilleure productivité.
À travers la mission du Mécanisme Africain de Financement des Engrais, la stratégie de la Bad vise à développer la chaîne de valeur des engrais, qui dépend encore largement des matières premières importées pour la fabrication locale des engrais. Le manque de matières premières à bas prix pour la production d'engrais, la faible demande intérieure, la faible utilisation des capacités et les besoins élevés en capitaux pour les investissements dans les installations de production sont vus comme les causes principales de cette situation.
Un soutien spécifique aux petites et moyennes entreprises (PME) dans la production d'engrais s'avère également indispensable. Celles-ci sont limitées par le manque de financement abordable pour l'achat de matières premières pour les mélanges. L'industrie des mélanges d'engrais doit être ainsi développée pour garantir que les engrais mélangés ou composés nécessaires soient produits et rapprochés des agriculteurs. Plusieurs bailleurs de fonds appuient les initiatives allant dans ce sens à l'instar de la Banque mondiale. Pour sa part, la Food and agriculture organization (FAO) mise sur les partenariats pour être plus efficace. D'où sa collaboration avec l'Association internationale de l’industrie des engrais (IFA). Ce partenariat, a-t-on expliqué, vise à promouvoir une alimentation et une agriculture durables et à traiter des questions ayant notamment trait à l’évaluation de la fertilité des sols ou à l’utilisation durable des engrais.
Signalons, enfin, que deux cent vingt-cinq mille paysans agriculteurs à travers onze régions de la Grande île ont bénéficié du Programme de distribution d'engrais amélioré au sulfate d’ammonium (PDSA). Ce programme réalisé en collaboration avec la société Ambatovy et le gouvernement du Japon contribue à relever le défi de l'État d'augmenter le rendement rizicole jusqu'à 5 tonnes/Ha contre les 2 tonnes à l'hectare actuellement.
DÉVELOPPEMENT DES ENGRAIS
Le Canada apporte son soutien
Affaires mondiales Canada vient d'accorder un financement de 7,3 millions de dollars au Mécanisme africain de financement du développement des engrais (MAFDE) pour améliorer la productivité agricole durable et les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles, en particulier les femmes et les jeunes. Madagascar fait partie des pays devant être bénéficiaires de cette initiative.
Ce financement aidera le mécanisme à répliquer ses programmes de garantie de crédit, permettant aux importateurs et aux agrégateurs d’engrais de se procurer le produit à crédit. Il stimulera également les efforts visant à améliorer la santé des sols et à fournir une assistance technique aux agriculteurs. L’accord de financement accorde la priorité au soutien au programme « Favoriser la productivité agricole de l’Afrique grâce au financement de la chaîne de valeur des engrais » (Foster) du
mécanisme.
Administré par le Groupe de la Banque Africaine de Développement, le mécanisme fournit des financements innovants pour accélérer l’utilisation des engrais en Afrique et améliorer la productivité agricole dans l’ensemble des pays membres régionaux de la Banque, dont Madagascar. « Nous remercions le Canada pour son soutien visant à faire progresser la mise en œuvre du Plan stratégique 2022-2028 du Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais, qui vise à élargir l’accès au financement par des investissements en capital et des réformes politiques, entre autres priorités, qui profitent aux petits exploitants agricoles d’Afrique », a déclaré Beth Dunford, vice-présidente chargée de l’Agriculture, du Développement humain et social à la Banque.
Les engrais sont essentiels à la production alimentaire, mais ils sont largement sous-utilisés dans le secteur agricole de la région en raison des ressources financières limitées et du manque de savoir-faire technique des agriculteurs. Le programme Foster cible huit cent mille petits exploitants agricoles, 40 % des bénéficiaires prévus étant des femmes et 10 % des jeunes. Il vise à donner accès à 80 000 tonnes d’engrais organiques et inorganiques et à en améliorer l’utilisation, ce qui devrait permettre d’augmenter les rendements de 30 %.
Pour le ministère canadien du Développement international, soutenir une agriculture résiliente, intelligente face au climat et des systèmes de production alimentaire adaptables est une nécessité. "Nous restons déterminés à promouvoir une croissance inclusive et verte en partenariat avec la Banque Africaine de Développement, notamment par le biais de notre contribution au Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais."
Dans le cadre du programme Foster, le mécanisme accordera des facilités de garantie de crédit à la chaîne d’approvisionnement en intrants. Le programme facilitera également la formulation de politiques et de cadres réglementaires en matière d’engrais afin de favoriser des pratiques de gestion des sols durables et sensibles au genre.
L'initiative ambitionne de transformer l’agriculture africaine en un secteur productif, compétitif et durable grâce aux pactes nationaux de fourniture de denrées alimentaires et de produits agricoles qui ont été élaborés lors du Sommet Dakar 2 sur l’alimentation en Afrique qui s’est tenu en janvier 2023 et qui a été coorganisé par la Bad. L’annonce du financement du Canada intervient quelques semaines seulement avant le Sommet africain sur les engrais et la santé des sols de la Commission de l’Union africaine, prévu du 7 au 9 mai 2024 à Nairobi.
VERBATIM
Suzelin Ratohiarijaona, ministre chargé de l’Agriculture
“Mettre en place des usines à engrais et encourager l’utilisation de cet intrant pour augmenter la production agricole : voilà la stratégie adoptée par l’État, qui travaille de concert avec des entreprises du secteur privé. Le partenariat répond aux ambitions fixées dans la Politique Générale de l’État, en rapport avec l’autosuffisance alimentaire, mais aussi aux attentes des entreprises”.
Beth Dunford, vice-présidente chargée de l’Agriculture de la Bad
“Les engrais sont essentiels mais ils sont largement sous-utilisés dans le secteur agricole de l’Afrique subsaharienne en raison des ressources financières limitées et du manque de savoir-faire technique des agriculteurs. La mise en œuvre du Plan stratégique du Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais vise à élargir l’accès au financement par des investissements en capital et des réformes politiques, entre autres priorités, qui profitent aux petits exploitants agricoles.”
LA FILIÈRE ENGRAIS EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar