Moi, francophone

INTRO : L’autre jour, Prof. Ramisandrazana Rakotoarisheno, Hemerson Andrianetrazafy et moi-même avions été invités par la FES (Friedrich Ebert Stiftung) à exposer devant les YLPT. Sur le thème : «Identité et politique dans l’histoire de la gouvernance à Madagascar». Sans nous être préalablement concertés, nous avions tous choisi de nous exprimer dans un malgache qui n’aurait pas fait honte à Rainandriampandry, Rajonah Tselatra ou JJ Rabearivelo. Et c’est le moment paradoxal où j’exhume cette Chronique du 15 mars 2016 sur ma Francophonité. 

Pour le lancement de la semaine de la Francophonie, France Inter a fait une émission en direct, et en public, depuis la salle ovale de la Bibliothèque Nationale de France, à Paris. Parmi les invités, l’ancien ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui regretta «l’agonie du subjonctif et du futur».

Tout de suite, me vint à l’esprit cette complainte célèbre de Charles Baudelaire à une passante : «Ô toi que j’eusse aimée» : «Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !». 

Aux fondamentalistes précieux de l’imparfait du subjonctif, auquel j’ai renoncé par souci d’euphonie plutôt que par paresse de revenir à nos exercices des classes secondaires (conjugaison d’une liste de 100 verbes à tous les temps de tous les modes), j’invite à la lecture de «La pratique du style : 

simplicité, précision, harmonie» par Jean-Pierre Colignon et Pierre-Valentin Berthier (De Boeck et Larcier, éditions Duculot, Bruxelles, 2006) : «Avec le subjonctif, on émet une opinion dont on n’est pas vraiment sûr, on exprime plutôt une impression. Avec l’indicatif présent, on s’engage plus avant dans l’affirmation. Le futur entre aussi en compétition pour traduire des nuances de pensée. L’usage de l’imparfait du subjonctif après le conditionnel présent, non seulement n’est plus obligatoire, mais encore a pris un air désuet (...) Notez que celui-ci demeure préférable au présent dans une subordonnée dont la principale est à l’un quelconque des passés du conditionnel (...) La littérature offre tous les jours des exemples où concordances et discordances voisinent et vont de compagnie» (pp.27-29)

Les auteurs citent également le grammairien Maurice Grevisse, dont le livre «Le Bon Usage» (1936) est appelé «le Grevisse», comme on dit «le Labrousse» d’un dictionnaire «français-indonésien» : «Il faut se garder d’appliquer sans discernement des règles mécaniques qui indiqueraient une correspondance toujours obligatoire entre le temps de la principale et celui de la subordonnée (...) bien souvent aussi, il faut tenir compte de certaines modalités de la pensée, et marquer, selon une syntaxe appropriée, le temps de la subordonnée par rapport au moment où l’on parle : ainsi, par discordances des temps, peuvent être rendues bien des nuances délicates». 

La Francophonie, c’est d’abord cette langue française que ses plus de 250 millions de locuteurs de par le monde, maîtrisent à des degrés divers. Donc, un rappel grammatical. Et une protestation orthographique quand on refuse de renoncer à l’accent circonflexe : quand on en met un à bateau, il coule ; mais, le circonflexe est une cerise sur le gâteau. Au-delà, des innovations lexicales, qu’apporte chaque région du territoire de la langue française, ont abouti à l’invention, en 2011, de la «bataille des 10 mots» dont la première édition eut lieu en Bourgogne. Pour cette saison, 2015-2016 (oeuvres reçues du 20 janvier au 11 mars à minuit, vote du 12 mars au 20 mars 2016), les «Dis-moi dix mots» ont retenu : Poudrerie, Chafouin, Ristrette, Tap-Tap, Vigousse, Fada, Dracher, Lumerotte, Champagné, Dépanneur. 

Poudrerie (Québec, neige fraîche que le vent fait tourbillonner), Chafouin (France : sournois, rusé), Ristrette (Suisse : petit café très fort, fait à la vapeur au percolateur) , Tap-Tap (Haïti : camionnette servant au transport en commun dont la carrosserie d’orne de peintures naïves), Vigousse (Suisse : vigoureux, plein de vie, alerte), Fada (France : la maison du fada est le surnom marseillais de «La Cité radieuse», un manifeste architectural, pour le moins osé et pareillement controversé, de Le Corbusier), Dracher (Belgique, Congo-Kinshasa et Rwanda : verbe impersonnel signifiant pleuvoir à verse), 

Lumerotte (Belgique : betterave, potiron, citrouille, évidé et percé de petites ouvertures, dans lequel on place une source de lumière de faible intensité surtout pendant les activités de Halloween), Champagné (Congo : personne d’influence), Dépanneur (Québec : petit commerce, aux heures d’ouverture étendues, où l’on vend des aliments et une gamme d’articles de consommation courante).

Le «Camion des mots», qui parcourt 120 villes de France, est une autre activité d’animation ludique et pédagogique. Il s’agit de mettre la Francophonie en scène et en images. Pour les classes de CE2 à la 5ème, trois auteurs ont été retenus pour représenter les poèmes de Maurice et de Madagascar : «Port-Louis» d’Édouard J. Maunick ; «La Terre marche depuis la nuit des temps» de Malcom de Chazal ; «Ronde pour mes enfants présents» de Jean-Joseph Rabearivelo. Concernant notre Rabearivelo, les enfants ont-ils été sensibilisés, par exemple à travers le recueil «Presque-Songes/Saiky Nofy», à la dimension quasi-simultanément bilingue du poète Malgache ?

SAKODO HO AN’NY ZANAKO IZAO : Inona no ho entin’i Dada ho antsika, Avy amin’ny diany rahampitso ? / Solofo anie aho ka Solofo, Solofo eo ambodin’ny hazo : maniry solofon’ny volo misy tantely velon-dreny. / Sahondra aho anie, ka Sahondra, Sahondra mihoatra ny ahitra : maniry Sahondra mihondra, hataoko anatin’ny voloko./ Voahangy aho anie, ka Voahangy, Voahangy tsy mandray an-dalana : maniry voahangy toa jaky, hatohy amin’ny radon’anarako./ Ho entin’Idada ho an-tsika, Solofo misahondra voahangy.

RONDE POUR MES ENFANTS PRÉSENTS : Que nous rapportera-t-il, notre père, de son voyage de demain ?/ Solofo je suis, donc une pousse neuve, une pousse neuve au pied de l’arbre : je désire une pousse de roseau, avec du miel épais dedans./ Sahondra je suis, donc une fleur, une fleur qui dépasse l’herbe : je désire des fleurs en grappe, que je mettrai dans mes cheveux./ Voahangy je suis, donc des perles de corail, de grosses perles de corail : je désire des coraux de pourpre, à enfiler au collier de mon nom./ Notre père nous apportera, une pousse enroulée de grappes corallines. 

À la future «Maison de la Francophonie d’Antananarivo», l’embryon de l’indispensable bibliothèque pourrait comporter, outre les classiques Larousse, Robert, Hachette ou le plus rarissime Littré, «le Grevisse» évoqué tantôt, les oeuvres bilingues de Jean-Joseph Rabearivelo, les «Hainteny» bilingues de Paulhan, ainsi que des dictionnaires plus exotiques : «Petit Dictionnaire insolite des mots de la francophonie», par Loïs Depecker, éd. Larousse, 2013 ; «Dictionnaire des belgicismes», par Michel Francard et co., De Boeck-Druculot, 2010 ; «Dictionnaire suise romand», par André Thibault et Pierre Knecht, éd. Zoé, 2012. 

À mon adolescence, je voulais devenir polyglotte, mais je n’avais manifestement pas le don pour l’allemand, l’arabe, l’espagnol, le japonais, l’italien, le japonais, ni l’indonésien. La faute d’une trop grande intimité avec cette langue qui devait être étrangère, qu’est le français ?

«Les fleurs du Mal» (Charles Baudelaire : «Mon enfant, ma soeur, songe à la douceur, d’aller là-bas vivre ensemble ! Là tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté»), comme «Les Contemplations» (Victor Hugo : «Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai»), comme «Les Méditations poétiques» (Aphonse de Lamartine : «Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux 

rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges, Jeter l’ancre un seul jour ? Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours»), comme «Les poésies nouvelles» (Alfred de Musset : «Les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux, et, j’en sais d’immortels, qui sont de purs sanglots»), comme «Mémoires d’outre-tombe» (François René de Chateaubriand : «Vous qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ; couchez-vous y bien ; tâchez d’y faire bonne figure, car vous y resterez») : autant de mots français, qui nous imprègnent, que nous déclamons de mémoire, qui font écho à une histoire partagée. 

Pour les classes de 4e et 3e, «L’histoire des jumeaux de l’île-rouge» (Brigitte Peskine, Bayard Jeunesse, 2014) est au programme du «Camion des mots». Une honte dont la Francophonie politique devrait se saisir. Dans le Madagascar de 2016, une ethnie continue d’être suffisamment superstitieuse pour rejeter les nouveaux-nés jumeaux. 

Bienvenue aux mots francophones, notre première fenêtre sur le monde. Bonne figure à l’altérité et son pendant d’unité dans la diversité (une langue par 274 millions de locuteurs). Fermeté à l’encontre du politiquement correct dont les concepts inopportuns se propagent Nord-Sud avec de bien grands mots. Mais, actualisation de certains de nos «fady» par trop anachroniquement criminels.

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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