Le secteur privé est appelé à profiter des opportunités offertes par la Zlecaf. |
La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui promet l'accès à un marché de 1,2 milliard de personnes et l’établissement d’un marché unique pour les biens et services fabriqués du continent, s’ancre au centre des enjeux liés à l’intégration économique et commerciale. C’est dans ce contexte que Madagascar se prépare à entrer dans la danse.
Le 22 février dernier, Rafaravavitafika Rasata, ministre des Affaires étrangères, a participé à une réunion virtuelle portant sur « Les impacts commerciaux de la Zlecaf à Madagascar : une analyse du commerce des biens et services». Organisée par le Programme de soutien à l’investissement et au commerce en Afrique (SITA), une initiative financée par le gouvernement britannique pour soutenir les négociations et la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine, cette réunion visait à mener une analyse poussée et à favoriser le dialogue entre les principales parties prenantes sur les opportunités et difficultés présentées par la Zlecaf.
Quatre grands points ont été soulignés lors de cette séance de partage, à savoir les modèles actuels du commerce des biens et services, l’évaluation des impacts commerciaux générés par la Zlecaf, l’impact potentiel sur les démunis, les femmes et les jeunes, le climat et l’environnement. Quelques jours après cette réunion virtuelle, Madagascar lance son Programme d’Appui à la Zlecaf pour accélérer son adhésion à cette zone de libre-échange continentale. Selon les responsables, la Grande île est actuellement en plein «dans les préparatifs pour rejoindre la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine».
Avec le lancement officiel de ce programme soutenu par la Banque Africaine de Développement (BAD), le pays se fixe pour objectif de se doter d’une trajectoire d’adhésion conforme aux attentes des différentes parties. Le programme comporte des études approfondies pour évaluer les retombées potentielles de l'intégration à la Zlecaf.
Le secteur privé se positionne
De son côté, le secteur privé multiplie les échanges pour bien cerner les tenants et aboutissants, ainsi que les risques et avantages liés à la Zlecaf. Au mois d’octobre dernier, les chefs d’entreprise ont reconnu que le pays «se tient à un croisement décisif en ce qui concerne la Zlecaf». Et les mêmes opérateurs économiques d’ajouter que l'Afrique offre une opportunité de marché exceptionnelle, mais cela exige une stabilité de la gouvernance, l’élaboration d’une stratégie d’exportation bien pensée, et la création d’un comité de pilotage dans lequel le secteur privé guidera les réformes.
Le Groupement des Entreprises de Madagascar (GEM), en présence de son président, Thierry-Marie Rajaona, et par l’intermédiaire de sa Commission Commerce, a déjà donné des éclairages sur la position du secteur privé du pays concernant ce projet de création d’un marché unique africain. Le groupement patronal a ainsi souligné sa volonté d’aller de l’avant tout en réclamant des mesures pour protéger les entreprises. C’était aussi, d’ailleurs, l’occasion de passer en revue les faiblesses de la Grande île qui doivent être éliminées pour pouvoir profiter des avantages offerts par la Zlecaf.
Les différentes interventions ont aussi permis de mieux évaluer certaines opportunités. On sait ainsi que le Kenya offre à Madagascar un potentiel d'exportation de 15 millions USD, pour le secteur des huiles essentielles, du sucre de canne et des haricots. Le Maroc présente un potentiel d'exportation supplémentaire de 18 millions USD, avec des produits tels que les crevettes, le girofle et le poivre. À remarquer que le secteur privé a été régulièrement invité à participer aux ateliers, notamment ceux organisés sous l’égide du ministère de l’Industrialisation et du Commerce (MIC) pour apporter leurs avis concernant la meilleure manière pour Madagascar d’aborder ce dossier.
Pour sa part, le Syndicat des Industries de Madagascar, recevant la visite de Tsowou Komi, Conseiller Régional Programme Zlecaf et de Simone Assah Kuete à son siège pour une séance de communication et de sensibilisation, a aussi souligné que les entreprises du pays opérant dans le secteur de la transformation sont bien conscientes qu’elles doivent se préparer pour mieux profiter «des opportunités de marchés intra-africains».
« L'Afrique est un grand marché, fragmenté en petits marchés nationaux pour la plupart et une vingtaine de pays africains ont une population inférieure à dix millions d'habitants. Le commerce intra-africain se heurte à plus de cent frontières terrestres/maritimes et plusieurs barrières tarifaires et non-tarifaires. Voilà pourquoi la Zlecaf ambitionne de consolider l'Afrique en un marché unique par la réduction ou l’élimination de barrières tarifaires et non-tarifaires », a-t-on aussi expliqué.
Dans son allocution, le président du SIM, Tiana Rasamimanana a invité les entreprises à « étudier les possibilités de développer leurs affaires et d’exploiter ce nouvel Accord africain » et a émis le souhait que l’État malgache mette en place les conditions favorables «permettant au secteur privé de faire une offensive commerciale en saisissant surtout les marchés d’exportation des produits malgaches plutôt que d’être envahis par des produits importés».
La Zlecaf se place au coeur de l’intégration commerciale. |
La BAD en appui
L’heure n’est donc plus aux tergiversations. La semaine dernière, à l'Amphithéâtre de l'Immeuble Plan Anosy, lors du lancement officiel du Projet d'Appui à la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (PA-Zlecaf), le ministère de l’Industrialisation et du Commerce et la Banque Africaine de Développement ont bien noté que le pays est dans la phase de développement d'une stratégie nationale «visant à accélérer la mise en œuvre de la Zlecaf, afin d'exploiter les avantages du marché continental».
« Madagascar se lance dans les préparatifs pour rejoindre la Zlecaf. Avec le lancement officiel du programme d’appui soutenu par la BAD, le pays se fixe pour objectif d'élaborer une stratégie nationale à même de maximiser les avantages de cette adhésion », a-t-on souligné. Le programme se concentre sur l’évaluation des retombées potentielles de l'intégration à la Zlecaf, avec une approche collaborative impliquant le secteur privé. À savoir que Madagascar, bien que n'ayant pas encore ratifié l'accord de libre-échange, bénéficie déjà de l'assistance technique de la BAD pour des projets d'infrastructures et de transformation agro-industrielle. L'objectif ultime est d'accroître les exportations vers un vaste marché tout en attirant les investisseurs du continent.
La Banque Africaine de Développement a également fait savoir qu’elle avait approuvé un accord de participation aux risques non financé de 150 millions de dollars avec Trade and Development Bank (TDB) pour financer le commerce régional. Cet accord vise à stimuler le commerce intra-africain, promouvoir l’intégration régionale et contribuer à la réduction du déficit de financement du commerce en Afrique.
« Soutenir le commerce en Afrique est une priorité essentielle pour la BAD. Le financement du commerce est un moteur important de la croissance économique, il est essentiel pour le commerce transfrontalier, en particulier dans les marchés émergents », a déclaré Nwabufo Nnenna, la directrice générale de la Banque Africaine de Développement pour l’Afrique de l’Est. « Nous sommes ravis de travailler avec TDB, un partenaire solide qui possède une connaissance approfondie et un vaste réseau en Afrique, avec l’ambition commune de soutenir le commerce de la région », a-t-elle ajouté. La BAD offre également aux banques locales une facilité de garantie des transactions de financement du commerce d’une durée de trois ans pour soutenir la confirmation de leurs transactions de financement du commerce.
Le président et directeur général de Trade and Development Bank, Admassu Tadesse, a affirmé pour sa part que le groupe TDB était «très heureux de continuer à s’appuyer sur son partenariat stratégique et sur des facilités de partage des risques adaptées avec le Groupe de la Banque Africaine de Développement afin de développer le financement du commerce et d’autres offres, dans une région où de grosses lacunes persistent en matière d’accès au financement du commerce, entre autres, et où les grandes banques internationales se désengagent et réduisent leur appétence pour le risque».
Textile
Un commerce intra-africain à développer
Lancement du Programme d’Appui à la Zlecaf à Madagascar, le 27 février. |
Nombre de pays africains, dont Madagascar, ont un grand potentiel d’exportation dans le domaine du textile et des produits dérivés du coton. L’Institut international de recherche IFPRI estime qu'un commerce intra-africain plus libre aidera les pays de la région dans la réalisation de ce potentiel.
Pour l’IFPRI, la Zone de libre-échange continentale africaine peut stimuler la croissance des exportations africaines de vêtements et contribuer à restreindre les importations extracontinentales. Intitulé "Africa Agriculture Trade Monitor 2023", son rapport précise que l’industrie africaine du textile pourrait réaliser 15% de ses recettes d’exportations en Afrique d’ici 2026. Ce pourcentage était évalué à 5% en 2020, d’après d’autres sources concordantes, dont Law Centre (Tralac), une organisation d’utilité publique basée en Afrique du Sud.
La concrétisation de ce potentiel devrait passer par une optimisation de l'application de mesures non tarifaires, en particulier en ce qui concerne les règles d’origine du produit. Il s’agit des critères utilisés pour définir le lieu de fabrication d'un produit ou sa nationalité économique. Les accords de libre-échange et les accords commerciaux régionaux utilisent des règles d'origine pour déterminer l'origine nationale des produits et fixer les seuils de contenu local ou de valeur ajoutée avant la réexportation des produits.
Dans son analyse, l’IFPRI note que depuis l'opérationnalisation de la Zlecaf en 2021, il n'y a toujours pas d'accord entre les pays en ce qui concerne les règles d'origine dans l'industrie du textile et de l'habillement. « Ceci s’explique en partie parce que l'assouplissement des règles d'origine pour les industries existantes en Afrique pourraient encourager les importations de produits intermédiaires (fibres, textiles) moins chers en provenance de pays tiers et ainsi compromettre le développement d’une chaîne de valeur régionale visant à soutenir le développement industriel et économique », peut-on aussi lire dans le rapport.
Ainsi, pour les négociations de la Zlecaf, il est préconisé de trouver un équilibre entre les règles d’origine qui stimulent l'utilisation d'intrants intermédiaires intrarégionaux par rapport aux intrants non africains et les règles d’origine qui imposent des coûts excessifs aux exportateurs et qui, par conséquent, ne stimulent pas le commerce régional. Notons enfin que Madagascar est devenu l’un des premiers exportateurs africains de vêtements vers les États-Unis et l’Europe. En revanche, la Grande île doit encore fournir d’importants efforts pour s’imposer sur le marché africain.
VERBATIM
Issa Sanogo, coordonnateur du Système des Nations Unies à Madagascar
« Madagascar, qui a montré une certaine prudence quant à son adhésion à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), est encouragé à avancer. Ce ne pourrait qu’être aux avantages du pays qui possède un fort potentiel en termes de produits qui peuvent être exportés vers le continent africain et inversement par les opportunités d’affaires que le continent peut générer pour soutenir le développement de Madagascar ».
Heriniaina Ramananarivo, coordinateur du PA-Zlecaf à Madagascar
« Madagascar se prépare à rejoindre la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine et entame les préparatifs nécessaires pour cette adhésion. Dans le cadre de ce processus, il est utile de souligner l’importance d’une approche collaborative avec le secteur privé pour identifier les préparations nécessaires, renforcer les secteurs clés et maximiser les retombées de l’intégration de Madagascar à la Zlecaf ».
LA ZLECAF EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar