Encore la plus belle énigme du monde

J’ai à disposition deux ou trois informations capitales dont il ne faudrait pas que nous fassions un usage minuscule. D’abord, et depuis plusieurs décennies, les archéologues avaient échoué à prouver le peuplement de Madagascar par des Austronésiens. Et pourtant, un consensus scientifique admettait que l’île a d’abord été peuplée par des Austronésiens venus de l’autre bout du monde : «single most astonishing fact». Enfin, et malgré les affirmations péremptoires de nos manuels scolaires, Madagascar est la plus grande île du monde.  

Peter Mitchell, justifiant l’emploi de «plus grande île du monde» à propos de Madagascar, explique : «Greenland, New Guinea, and Borneo are all larger than Madagascar. However, Greenland is joined to North America by sea ice during winter, while during the Pleistocene New Guinea repeatedly merged with Australia and Tasmania to form the super-continent of Sahul, just as Borneo dit with Java, Sumatra and the Southeast Asian mainland. Separated from continental Africa by the 3292 m deep Mozambique Channel and covering some 587,000 km2, there is thus ample justification for deeming Madagascar to be the world’s largest (persistent) island» : Le Groenland, la Nouvelle-Guinée et Bornéo sont toutes plus grandes que Madagascar. Cependant, le Groenland peut être relié à l’Amérique du Nord par une mer de glace pendant l’hiver ; tandis qu’au Pléistocène, la Nouvelle-Guinée se fondait régulièrement avec l’Australie et la Tasmanie pour former le supercontinent Sahul ; exactement comme Bornéo faisait avec Java, Sumatra et l’Asie du Sud-Est continentale. Séparée du continent africain par les 3292 mètres de profondeur du Canal de Mozambique, et couvrant quelque 587.000 km2, il y a une ample justification pour considérer Madagascar comme la plus grande île (permanente) du monde. («Settling Madagascar : When Did People First Colonize the World’s Largest Island ?» The Journal of Island Coastal Archaeology, Volume 15, 2020, Issue 4).  

Le grand mystère du peupleme nt de Madagascar en a très longtemps fait «la plus belle énigme du monde», selon une expression de l’historien Hubert Deschamps qui remonte tout de même à 1960. Heureusement, depuis soixante ans, les recherches scientifiques ont réalisé des avancées considérables tandis que les scientifiques de disciplines diverses ont compris l’utilité de croiser les résultats de la génétique avec les conclusions de l’archéologie tout en tenant compte des reconstructions de la linguistique. Un fossile de cannabis dans un lac, des nématodes dans les entrailles d’un suidé autopsié, ou la structure génomique d’une population de lémuriens, sans être aussi spectaculaires que l’analyse révélée ce 12 décembre 2023 des dessins rupestres de Beanka, peuvent désormais corroborer un scénario ou invalider définitivement un antique paradigme.

1960-2023 : les termes de l’énigme ont donc évolué et avant que les scientifiques contemporains ne lèvent définitivement le voile, rendons grâce à cette heureuse formule de «plus belle énigme du monde». Parce que, finalement : «Ancient crops provide first archaeological signature of the westward Austronesian expansion», PNAS, May 31, 2016. 

Alison Crowther, Leilani Lucas, Richard Helm et Nicole L. Bolvin, en prélude de leur trouvaille, écrivent que «The Austronesian settlement of the remote island of Madagascar remains one of the great puzzles of Indo-Pacific prehistory. Although linguistic, ethnographic, and genetic evidence points clearly to a colonization of Madagascar by Austronesian language-speaking people from Island Southeast Asia, decades of archaeological research have failed to locate evidence for a Southeast Asian signature in the island’s early material record. The Austronesian colonization of Madagascar is also one of the major oustanding mysteries of human history. Not only is it not attested to in any written sources, it is also archaeologically elusive». (Le peuplement austronésien de la lointaine île de Madagascar demeure un des plus grands casse-têtes de la préhistoire Indo-Pacifique. Bien que la linguistique, l’ethnographie et les données génétiques indiquent clairement une colonisation de Madagascar par une population de langue austronésienne originaire de l’Asie du Sud-Est insulaire, des décennies de fouilles archéologiques ont échoué à exhumer les preuves d’une signature Sudest-asiatique parmi les plus anciens vestiges collectés sur l’île. La colonisation de Madagascar par les Austronésiens constituait déjà un des plus grands mystères de l’histoire humaine. Introuvable dans les sources écrites, elle devenait également un fantôme archéologique).

Énigme, mystère, «The single most astonishing fact of human geography for the entire world» comme finira par avouer Karl Alexander Adelaar, au bout de plusieurs décennies et de multiples publications sur Madagascar. Formule frappante que j’essaie de rendre par «Le plus invraisemblable déplacement humain de toute la géographie à l’échelle mondiale» (Karl Alexander Adelaar, 2009, «Towards an integrated theory about the Indonesian migrations to Madagascar»). C’était dans un livre qui plaidait pour une approche multi-disciplinaire, la seule démarche qui lèvera les derniers mystères de «la plus énigme du monde». 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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