Bernard Clavel, Lons-le-Saunier, 1923

Bernard Clavel aurait eu 100 ans en 2023. J’ai plusieurs fois écrit sur Marcel Pagnol, oubliant l’autre «écrivain du terroir» que contenait également la bibliothèque familiale. Et que j’aurai prolongée à mon compte, tant il est vrai qu’on ne s’échappe jamais indemne des 

premières contaminations de l’enfance. Mais, de contamination comme celle de la lecture, et de l’amour des livres, il faudrait faire de véritables épidémies.  

Chez Albin Michel, voilà comment ils décrivent Bernard Clavel : 

«Enfant rêveur et peu studieux, il quitte l’école à quatorze ans pour     entrer en apprentissage chez un pâtissier de Dole. (...) Du fournil à l’usine de lunettes, du vignoble à la forêt, de la baraque de lutte à l’atelier de reliure, de la sécurité sociale à la presse écrite et parlée, il connaîtra bien des métiers qui constituent «ses universités». (...) Sans aide, sans conseiller, sans véritable maître, dès l’adolescence, il peint et écrit, songeant en secret au jour où il pourra se consacrer totalement à l’art. Personne ne prend au sérieux cet autodidacte qui se croit artiste. Il détruit plusieurs romans et de nombreux poèmes et nouvelles avant que René Julliard ne se décide à publier «L’ouvrier de la nuit», en 1956. Cette publication lui permettra de rencontrer Jacques Peuchmaurd qui 

deviendra, au sens plein du terme, son directeur littéraire (...) En 

quarante ans, il publie près de quatre-vingt-dix livres qui seront traduits dans une vingtaine de pays».

«La maison des autres», achevé le 7-7-61 ; «Celui qui voulait voir la mer» (Saint-Genis-l’Argentière, 21 août 1962) ; «Le coeur des vivants» (Lyon-Castres-Saint-Genis-l’Argentière, 1963-1964) ; «Les fruits de l’hiver» (Chelles, 17 novembre 1967) : «La Grande patience» a pour décor des terres que Bernard Clavel a, pour ainsi dire, labourées d’une affectation à un voyage, de l’exode à une fugue, de la forêt au maquis de la Résistance face à l’occupant allemand. Je me suis toujours demandé si je serais capable d’imaginer un livre sur fond d’Antananarivo et de l’Imerina, mes domaines géographiques de moindre ignorance. J’ai pu lire, et vraiment sans aimer, «Dérive sur Tananarive» (Josette Bruce, 1973), dont déjà la photo de couverture aux «Presses de la Cité» est cliché anachronique. Les évocations de quartiers familiers, les allusions à un paysage connu, ne suffisent pas. Au contraire, elles rendent plus sévère la traque du détail à l’affut de l’approximation grossière d’à beau mentir qui vient de loin. Pire, elles instillent le doute quant à l’authenticité de la description d’un quartier ou d’un autre pays où soi-même n’aura jamais mis les pieds. Ce devait être ainsi, déjà, au retour de Marco Polo qui invente le mot «Madeigascar» mais associe le nom à des descriptions fantaisistes. 

Si les quatre volumes autobiographiques de «La Grande patience» s’avalent rapidement, les cinq pavés des «Colonnes du ciel» demandent grande...patience et persévérance. Transporté et baladé dans cette Franche-Comté, «entre le Royaume (de France) et l’Empire (le Saint empire romain germanique)». Pays sans attaches : «Comtois, rends-toi ! Nenni ma foi», fière devise que Bernard Clavel mit dans la bouche du capitaine, organisateur et complice de la fausse évasion du jeune Julien Dubois. 

Les cours d’eau le hantent, confie-t-il : la Vallière et le Solvan, minuscules ruisseaux de son enfance ; le Doubs de son adolescence ; le Rhône et la Saône de ses vingt ans. De cette «géographie sentimentale», au fil de l’eau, celle qui coule vers le Sud jusqu’à la Méditerranée, la trouvaille d’un mot : «vorgine» : que ne reconnaît pas le correcteur de mon ordinateur, que ne recensait déjà pas le Larousse de 1935, et dont le dictionnaire CNRTL donne comme définition «lieu humide au bord d’une rivière où poussent ivraie, osiers et saules» tout en précisant qu’il est spécifique au Rhône et à la Saône.

Son écriture, si elle est captivante, hésite à devenir joyeuse. 

Bernard Clavel parle de son enfance, et de son filon épuisé, comme de sa patrie. Tandis que sa province d’élection, «celle qui gonfle mon coeur à le faire éclater», c’est le temps disparu. Une petite musique sérieuse jusqu’à la tristesse, mais bigrement attachante.   

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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