Eau trahie

L’eau reste une illustration du paradoxe malgache où la disette s’incruste au milieu de l’abondance. Alors qu’elle se fait encore désirer dans beaucoup de foyers, elle manifeste une présence dans notre quotidien où elle est plus redoutée que désirée par ceux qui affrontent, tous les jours, les différents pièges d’Antananarivo. Et les récentes précipitations ont décuplé leurs forces: la ville se remplit de zones hostiles où toute l’insalubrité attend ceux qui n’ont d’autre choix que de l’affronter, de passer par ces endroits où la ville vomit ce que l’indiscipline lui fait ingurgiter. L’eau, contaminée par les différentes saletés que déverse un incivisme maladif.

L’eau, l’or bleu d’une valeur inestimable, est ainsi infectée par les différents poisons qui intoxiquent la ville et dont les graines sont semées par certains de ceux-là mêmes qui paient cher les conséquences de leurs actions néfastes. Les ordures et déchets envahissent l’espace urbain et doivent leur présence massive aux actions humaines qui ont aussi érigé les constructions qui obstruent les systèmes d’évacuation d’eau, qui sont incapables de vaincre la tentation du remblai. Et récemment, on subit les conséquences de ces actes qui ne cessent de défigurer la ville. L’eau est ainsi pervertie et est devenue le support des produits de la folie humaine.

Pour Gaston Bachelard, l’eau évoque la pureté et la vie. Le contact avec ce que l’humain a offert au monde l’a aussi rendue impure. Et la célèbre citation de Rousseau est aussi valable pour l’eau : elle n’est pas mauvaise en soi, mais elle est souillée par l’homme. Ce qu’on a fait et ce qu’on fait ont rendu l’eau encore plus hostile à l’homme. Nous sommes les principales causes de ce que l’eau nous fait subir durant les saisons de pluie. La nature a manifesté sa générosité en nous offrant les jours de pluie, mais quand on l’accueille mal, en l’infectant avec ce que nos actes ont laissé, elle nous met face à nos fautes.

Antananarivo traverse une phase critique, une forme grave d’une pathologie qui rend l’eau plus agressive alors que, selon Antoine de Saint-Exupéry, « L’eau n’est pas nécessaire à la vie, elle est la vie. » Mais la vie, qui est représentée par l’eau, est donc pourrie par les œuvres humaines, encore une autre image de notre rapport avec l’existence, qui est traitée comme la ville reçoit l’eau qui tombe et qui la parcourt en absorbant les immondices qui reflètent l’irresponsabilité humaine, intensifiant ainsi le mal qui nous ronge. La guérison doit donc d’abord passer par un changement radical de notre rapport à la nature.

Fenitra Ratefiarivony 

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