Cette Chronique date du 30 septembre 2022. Son titre originel était «127 ans de destructions au Rova d’Antananarivo». Entretemps, j’ai découvert Josef Schumpeter (1883-1950) et sa théorie de la «destruction créatrice» : «un processus économique continu par lequel de nouvelles innovations remplacent et rendent obsolètes des innovations plus anciennes». Énorme différence en ce qui concerne le patrimoine culturel, comme l’est le Rova d’Antananarivo : ici, l’ancienneté acquiert majesté ; et le temps, par ailleurs tellement impitoyable avec son usure, confère patine. Entre les destructions des années 1895 (Kelisoa) et 1897 (Tsarahafatra), les restaurations approximatives des années cinquante, l’incendie de 1995, cette verrue sacrilège depuis 2020, les administrations successives ont laissé se commettre une destruction à l’âme.
30 septembre 1895 : il y a 130 ans, un bombardement français, depuis la colline d’Ambohidempona, détruisait le palais de Kelisoa au Rova d’Antananarivo. Après quelque flottement, et avant un deuxième coup de semonce, la Reine Ranavalona III et le Premier Ministre Rainilaiarivony firent hisser le drapeau blanc au sommet du palais de Manjakamiadana. Ainsi se termina la deuxième guerre franco-merina, débutée quelque huit mois plus tôt, par le débarquement à Majunga d’un corps expéditionnaire qui comptait dans ses rangs les généraux Duchesne, Metzinger et Voyron.
La destruction de Kelisoa inaugura une série d’atteintes à l’intégrité du Rova d’Antananarivo. Le 14 mars 1897, après l’abolition de la royauté et l’envoi en exil de la Reine Ranavalona III, Gallieni entreprit de désacraliser l’institution monarchique. Contrevenant à un «fady» qui interdit le «famadihana» (deuxièmes funérailles) des souverains, le Gouverneur Général fit ouvrir les tombes royales des Rova d’Ambohimanga, d’Ilafy et d’Antananarivo : au Rova d’Ambohimanga, furent «enlevés» Andrianampoinimerina, Ranavalona 1ère et Ranavalona II ; du Rova d’Ilafy, on «réveilla» Radama II ; les quatres dépouilles royales furent acheminées au Rova d’Antananarivo, où les Fitomiandalana (sept-tombes-alignées) avaient été violées et vidées avant d’être déplacées à un autre emplacement, plus au Nord dans le Rova.
Quelque 98 ans plus tard, le 6 novembre 1995, un incendie criminel détruisit entièrement le Rova d’Antananarivo. Les Lapa en bois tombèrent en cendres. Seuls demeurèrent debout la pierre dont Ranavalona II fit recouvrir Manjakamiadana, l’ossature minérale du temple du Palais, et la pierre «labordienne» des tombes royales.
En matière de restauration d’un monument historique, l’inaction fait pour ainsi dire, de facto, office de mesures conservatoires. Elle laisse la poussière s’installer et recouvrir, pour ne pas dire protéger, de ses molécules inertes les choses en l’état. En attendant une opération dans les règles de l’art, précédée d’une archéologie préventive.
Par l’absurde, cette fortune par défaut se vérifiera quand l’opinion publique tananarivienne découvrit la construction d’un «colisée» dans la cour du Rova d’Antananarivo, sur l’emplacement prévu pour le palais Masoandro dont on ignore ce qu’il est advenu des fondations mises en terre par Ranavalona III. Scandale, indignation, conciliabules. Les choses devaient en rester là : l’objet du scandale occulté derrière un voile hypocrite, et les seuls travaux à Besakana et dans Manjakamiadana mis en avant. C’était le 6 novembre 2020.
Entretemps, la bête logique d’un processus d’appel d’offres n’ayant pas rencontré l’interpellation suspensive d’un bon sens au fait du contexte et tenant compte des circonstances, l’opinion publique tananarivienne se réveilla un matin de septembre 2022 avec des images incroyables mais vraies : les palais de Tranovola (édifié pour Radama 1er, qui régna de 1810 à 1828) et de Manampisoa (commandé par Rasoherina, qui régna de 1863 à 1868) en cours de reconstruction, mais avec de vulgaires parpaings. Re-scandale, re-indignation.
Dans un pays comme Madagascar, où la fibre culturelle, la fibre éducationnelle, la fibre patrimoniale, la fibre architecturale, la fibre livresque, la fibre esthétique, se corrompent, se délitent et se désagrègent, irrémédiablement face à un génocide qui a longtemps pris les seuls traits de la misère économique, il faudrait une veille de tous les instants. Et partout.
Comme il existe un Observatoire pour le riz, qu’on exportait fièrement jadis et que désormais on importe massivement ; comme il existe un Observatoire pour le territoire et le foncier sans qu’on sache pour autant, au hasard, la situation du foncier entre Iavoloha et Ankadimbahoaka jusqu’à Ivato-Ambohidratrimo ; comme il existe un Observatoire de la décentralisation pour tenter de comprendre pourquoi ce mot reste un slogan creux depuis soixante ans ; il va devoir se créer un Observatoire de la Culture et du Patrimoine.
Mais, aussi, dans quel pays normal, les citoyens devraient monter la garde devant chaque monument historique afin de les protéger de délinquants culturels inédits : les autorités elles-mêmes, desquelles on attendrait loyauté à l’histoire et certainement pas révisionnisme et réécriture.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja