Il y a quelques années, le magazine en ligne The Cut a publié un article qui a su attirer la curiosité grâce à la question que l’auteur se posait : pourquoi ne rêvons-nous pas de nos smartphones ? Peut-être n’avons-nous pas constaté cette absence de cet objet indispensable du quotidien dans nos escapades oniriques. Mais si maintenant nous en sommes conscients, il faut donc comprendre que la nomophobie n’a pas l’emprise qu’elle exerce dans la vie réelle. Sinon, nos rêves seraient tous sous le signe de ce stress que connaissent ceux qui ont déjà vécu la douloureuse expérience, la souffrance causée par le manque d’un smartphone oublié ou hors de portée.
Ceux qui veulent éclaircir le halo de mystère qui entoure cette exclusion du téléphone portable dans nos rêves ont le choix entre différentes réponses, données par la psychologie, pour laquelle le smartphone n’a pas ce que James J. Gibson appelle une “affordance”, c’est-à-dire des propriétés sensibles à travers lesquelles on perçoit les fonctions. Les différentes offres du smartphone ne sont, en effet, pas évidentes dans son aspect extérieur. Et les rêves ne reprennent que ces fonctions que l’on sollicite à longueur de journée, sans l’objet. Ce dernier n’a donc pas la même emprise qu’il exerce sur nous dans la vie diurne, où la nomophobie peut toujours sévir.
Être privé de son smartphone est aujourd’hui comme avoir son fil d’Ariane coupé et vivre des heures pénibles d’égarement dans ce monde devenu hyperconnecté. La raison prend un coup, comme lorsque Harpagon a perdu sa cassette dans L’Avare (Molière, 1668). C’est aussi ce que pourrait subir Narcisse si on le privait de son reflet. Le smartphone est plus consulté que le miroir pour se connaître à travers les selfies qui ont faim d’approbation, de likes...
Ainsi, le génie créatif et technologique humain, le même que celui qui a été à l’origine des objets imaginés dans la série Black Mirror, a créé de nouveaux besoins qui se sont imposés comme étant des “désirs non naturels” mais pourtant “nécessaires” pour naviguer dans l’énorme océan du virtuel. Un phénomène qui est absent de la typologie d’Épicure qui, rappelons-le, affirmait que seuls les “désirs naturels et nécessaires” doivent être pleinement satisfaits.
Si tout cela semble encore ne pas être présent dans les contenus manifestes de nos rêves, la nomophobie a bien atteint un nombre important d’acteurs humains du monde réel. Nos journées sont alors comme le supplice de Sisyphe, consistant en un cycle sans fin tournant autour du smartphone, qui est le rocher que nos doigts manipulent dans des mouvements bien souvent dépourvus de sens. Un peu comme ce que semble être la forme immédiate de nos rêves.
Fenitra Ratefiarivony