SECTEUR PRIMAIRE - Madagascar au défi de la résilience agricole

Dans un contexte marqué par l’intensification des crises climatiques, la fluctuation des prix des intrants et la fragilité des systèmes alimentaires, la résilience agricole apparaît comme une priorité stratégique pour Madagascar. Si les défis sont nombreux, les dynamiques de transformation en cours laissent entrevoir des perspectives d’adaptation encourageantes.

La résilience agricole  se place  progressivement au cœur du dispositif de développement du pays.(Src photo : MINAE)

Selon les spécialistes, la résilience agricole désigne la capacité des systèmes agricoles – incluant les agriculteurs, les communautés rurales, les cultures et les ressources naturelles – à faire face aux chocs et aux stress, qu’ils soient climatiques, économiques, sanitaires ou sociopolitiques, tout en maintenant ou en améliorant leur fonctionnement, leur productivité et leur durabilité. Elle implique non seulement la capacité de résistance aux perturbations (sécheresse, inondations, hausses des prix, épidémies), mais aussi la faculté de s’adapter, d’innover et de se transformer de manière durable pour répondre aux défis futurs.

Madagascar, où plus de 70 % de la population active dépend de l’agriculture, est particulièrement concerné par les enjeux liés à la résilience agricole. Le riz constitue la culture de base du pays, suivi par le manioc, le maïs, les fruits et légumes, et certains produits de rente. Cette agriculture reste largement traditionnelle, à faible productivité, peu mécanisée et dépendante des aléas climatiques. D’où l’importance stratégique d’accorder la priorité aux initiatives permettant à l’écosystème agricole d’être plus résilient. « Le dérèglement climatique est l’un des principaux facteurs de stress pour l’agriculture malgache. Sécheresses prolongées dans le sud du pays, inondations dans les zones côtières, cyclones de plus en plus violents, salinisation des sols, perte de biodiversité : les manifestations du changement climatique sont multiples et souvent dévastatrices », explique Fanja Rakotoarisoa, ingénieure agricole et consultante en matière de sécurité alimentaire.

Face aux risques accrus, la diversification des cultures devient un axe central de résilience. Il est constaté que plusieurs projets encouragent les cultures résistantes à la sécheresse (sorgho, niébé, patate douce), ainsi que l’agroforesterie et les systèmes agroécologiques. Le programme Fihariana, mis sur pied par l’État, pousse les jeunes à se lancer dans l’agriculture diversifiée, plus rentable et moins vulnérable. Dans les régions du Sud, les techniques de demi-lune, les cultures en andains ou encore la collecte d’eau de pluie deviennent des pratiques de plus en plus courantes. On cherche aussi à miser davantage sur l’agriculture bio, tandis que certains expérimentent des solutions d’aquaponie.

De nombreux Partenaires techniques et financiers (PTF) se sont mobilisés ces dernières années pour renforcer la résilience agricole à Madagascar. Le Programme alimentaire mondial (PAM) intervient avec des distributions de semences résilientes, la mise en place de banques agricoles ou encore des projets de reboisement communautaire. Le FIDA finance notamment le Programme de développement agricole inclusif et résilient (PDAIR), mettant l’accent sur la gestion durable de l’eau, l’accès au crédit rural et les chaînes de valeur inclusives. L’Union européenne soutient plusieurs initiatives agroécologiques, notamment dans les Hautes Terres et l’Est de l’île. Le Green Climate Fund et la FAO appuient un vaste programme régional de gestion des risques climatiques agricoles. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) sont aussi actives dans l’appui à la résilience agricole de la Grande Île.

La nécessaire sécurisation foncière

L’émergence de start-ups agri-tech contribue également à améliorer la résilience du secteur. Des plateformes comme AgriNega ou SoaFeno permettent aux agriculteurs d’accéder à des prévisions météorologiques, des conseils techniques ou des débouchés commerciaux via mobile. Dans la région, le Rwanda et le Kenya sont présentés comme des pays en avance dans la digitalisation des services agricoles (paiement mobile, assurance climatique, traçabilité), mais l’élan commence à se diffuser vers d’autres pays comme Madagascar, avec l’appui des institutions financières et des incubateurs régionaux.

Mais les observateurs rappellent aussi que la résilience ne peut se construire durablement sans sécurisation foncière. À Madagascar, moins de 10 % des terres agricoles sont officiellement titrées. Cela freine l’investissement, l’adoption de nouvelles technologies et l’accès au crédit. Le morcellement des exploitations, souvent inférieur à un hectare, limite aussi les possibilités de mécanisation responsable ou d’irrigation collective. Une réforme foncière est en cours, mais il faut encore attendre pour qu’elle puisse se généraliser sur le territoire. Le mauvais état des pistes rurales, l’insuffisance de centres de collecte, de marchés de gros ou de chambres froides accentuent la vulnérabilité des producteurs aux chocs.

Il est à remarquer, en outre, que les pertes post-récolte atteignent parfois 40 %, notamment pour les cultures maraîchères ou fruitières. Dans la région, des pays comme la Tanzanie ou l’Afrique du Sud ont davantage investi dans les infrastructures agricoles. Et nombre de spécialistes du développement agricole durable incitent la Grande Île à s’inspirer des initiatives de ces pays. On note également que le ratio d’ingénieurs agricoles par exploitant est très faible à Madagascar (1 pour 10 000 dans certaines zones). L’accompagnement technique, les coopératives fonctionnelles et les dispositifs de vulgarisation restent insuffisants. Côté financement, l’agriculture n’absorbe que 3 à 5 % des crédits bancaires, souvent à des taux inadaptés. Les fonds de garantie et les assurances climatiques restent embryonnaires, bien que des projets pilotes soient en cours.

Les PTF estiment qu’une résilience agricole renforcée permet aux producteurs de mieux gérer les risques, d’anticiper les crises et de rebondir après les chocs. Et les partenaires d’ajouter que la diversification des cultures, l’agroécologie, l’irrigation maîtrisée, les assurances agricoles ou l’utilisation de semences résistantes sont autant de pratiques favorisant cette résilience. À l’échelle des territoires, elle suppose aussi des politiques publiques inclusives, une gouvernance des ressources équitable et un accès renforcé à l’information, au financement et à la formation.

On soutient, en outre, que l’une des clés de la résilience durable réside dans l’inclusion des savoirs traditionnels et des communautés locales. À Madagascar, certaines pratiques ancestrales (comme le tavy maîtrisé ou les fady interdisant certaines cultures dans des zones à risque) peuvent être valorisées si encadrées intelligemment. De même, les structures communautaires comme les fokonolona, les coopératives agricoles ou les comités villageois jouent un rôle essentiel dans la diffusion des innovations et la gestion des ressources naturelles.

Plus de 70% de la population active malgache dépend de l’agriculture.(Src photo : MINAE)

Des inégalités à corriger

Le gouvernement malgache a intégré la notion de résilience dans plusieurs plans stratégiques sectoriels, dont ceux de l’agriculture. Des fonds spécifiques, comme le Fonds National d’Adaptation aux Changements Climatiques, sont en cours de consolidation. La réforme du secteur semencier, la révision des lois relatives à l’agriculture et la relance des centres de formation agricole sont également à l’étude. Et le pays dispose d’atouts de taille pour progresser : diversité agroécologique, richesse en ressources génétiques locales, potentiel de filières à haute valeur ajoutée (épices, huiles essentielles, produits labellisés), jeunesse rurale nombreuse. La transition agroécologique et l’agriculture intelligente face au climat pourraient s’appuyer sur ces leviers, à condition d’un investissement cohérent à long terme.

La résilience agricole doit aussi corriger les inégalités. Les femmes représentent la majorité de la main-d’œuvre agricole, mais ont moins accès aux terres, aux intrants ou à la formation. Des programmes comme Rindra ou Mihary, qui ciblent les femmes rurales, montrent des résultats encourageants. La prise en compte des jeunes, souvent découragés par l’agriculture traditionnelle, est également cruciale pour pérenniser les acquis. Des formations agricoles modernes, des incubateurs ruraux et des financements adaptés à leurs projets pourraient créer un écosystème entrepreneurial agricole plus attractif.

Dans un pays où la population continue de croître rapidement et où les effets du changement climatique s’intensifient, la résilience agricole, qui priorise une approche égalitaire, est considérée comme un outil stratégique pour assurer un développement durable. « Elle ne se limite pas à une réaction aux crises, mais s’inscrit dans une dynamique d’innovation, de transformation structurelle et de justice sociale », explique la FAO. En renforçant la résilience des agricultures, le pays peut non seulement protéger les moyens de subsistance des populations rurales, mais aussi construire des systèmes alimentaires plus sûrs, plus équitables et plus autonomes face aux chocs mondiaux.

Mais il est tout aussi important de préciser que la résilience agricole ne peut se décréter : elle se construit progressivement, à l’intersection des politiques publiques, des initiatives communautaires, des innovations techniques et des dynamiques régionales. Si les défis sont immenses — foncier, climat, infrastructures, financement —, les signaux positifs tendent à se multiplier, portés par des organisations de plus en plus actives, même dans les zones reculées, des partenaires mobilisés et une prise de conscience croissante des autorités. La route reste longue, mais des bases sont posées pour une transition agricole plus résiliente, inclusive et durable.

COOPÉRATION RÉGIONALE -Une carte à jouer pour la résilience agricole

L’agriculture durable misant sur les innovations gagne du terrain.(Src photo : MINAE)

Il est souvent mis en avant que la résilience agricole ne peut s’envisager à l’échelle nationale uniquement. Le changement climatique, la volatilité des marchés ou les crises sanitaires (comme la peste porcine africaine) traversent les frontières. Or, les mécanismes de coordination régionale, bien qu’existants, sont encore peu opérationnels sur le terrain. On peut citer parmi ceux-ci le Programme Régional de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle de la SADC, qui vise à harmoniser les politiques de stockage, d’alerte précoce, de semences résilientes et de mécanismes de réponse aux catastrophes.

Rappelons aussi qu’au mois d’avril dernier, Madagascar a accueilli le 5e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la COI. Cette rencontre au sommet s’est tenue pour, notamment, donner une impulsion politique à l’action régionale avec comme priorité la sécurité alimentaire. Le thème du Sommet d’Antananarivo était : « Sécurité et souveraineté alimentaires pour le développement du marché de l’Indianocéanie ». Les chefs d’État et de gouvernement ont tous confirmé l’importance d’investir davantage dans la résilience agricole et la sécurité alimentaire régionale. Et pour cause, le secteur de l’agriculture constitue l’un des puissants leviers de développement durable. De fait, les effets de liaison concernent la santé nutritionnelle, l’emploi, la croissance économique, l’industrialisation, les infrastructures de production et de distribution, le commerce. Et aussi la résilience climatique, la biodiversité et la recherche scientifique, entre autres.

Le Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI), Edgard Razafindravahy, a souligné à cette occasion qu’il ne s’agit pas seulement d’agriculture, de commerce ou de connectivité. Il s’agit aussi de santé, de nutrition, de résilience climatique, de protection des écosystèmes, de valorisation de notre patrimoine culturel, de modes de vie durables. « En impulsant, au plus haut niveau, la dynamique de sécurité alimentaire et de commerce régional, nous traçons un cap ambitieux pour notre avenir commun. C’est dans cet esprit que nous avons proposé la création d’un espace agricole régional, fondé sur la confiance et des ambitions partagées », a-t-il partagé.

L’enjeu est en effet essentiel pour le devenir de l’Indianocéanie. À ce jour, les besoins alimentaires de la région sont couverts à près de 80 % par des importations au-delà de l’Indianocéanie. Riz, grains secs, oignons, ail, provendes… les importations sont nombreuses et coûteuses, financièrement et écologiquement. À cette dépendance aux importations s’ajoutent une connectivité intra-régionale limitée et non compétitive, une productivité à l’hectare inférieure à celle des pays fournisseurs, des coûts de production et d’acheminement onéreux, sans oublier la vulnérabilité aux effets du changement climatique.

VERBATIM

Max Andonirina Fontaine, ministre de l’Environnement et du Développement durable

« Le Fonds Vert pour le Climat a alloué un financement de l’ordre de 53,8 millions USD, dont plus de 41 millions USD à titre de dons, pour la mise en œuvre du projet visant à aider Madagascar à renforcer la résilience de ses systèmes de production face notamment aux chocs climatiques. Un tel projet devrait avoir des impacts directs sur les paysans ».

Sara Mbago-Bhunu,  directrice régionale pour l’Afrique orientale et australe au FIDA

« DEFIS+ est la suite logique de nos réalisations et de notre volonté de renforcer la résilience agricole et de consolider la sécurité alimentaire à Madagascar. Ces ressources financières additionnelles permettront au programme d’étendre ses interventions, de répondre aux difficultés des petits agriculteurs de manière globale et de leur fournir des solutions innovantes pour une résilience durable ».

L’ÉCOSYSTÈME  AGRICOLE EN CHIFFRES

L'Express de Madagascar

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