Avez-vous jamais observé le riz qui bout. Un petit concentré de volcan. Ce ranombary-là, si elle n’atteint pas l’échelle thermique de la lave, n’en causerait pas moins une vive brûlure. Les bulles laiteuses se disputent la surface, accompagnées de ce murmure caractéristique dont les Anciens ont fait un ohabolana : «mitsaha-mimenomenona tahaka ny sosoa voatapo-drano» (le riz en ébullition arrête de se faire entendre quand on lui rajoute de l’eau). L’analogie avec une éruption se confirme avec les écoulements pyroclastiques qui débordent et soulèvent le couvercle de la marmite avant de se figer en larmes croustillantes sous l’effet du feu. Penché sur mon «cratère» domestique, j’imagine tout le chemin que prit ce riz avant de passer à la casserole.
Qui fut le premier humain à avoir domestiqué cuit ? Comment avait-il pu deviner que le riz se cuisait ainsi ? Disposant d’eau et équipé d’une marmite, c’était à n’en pas douter un sédentaire. Les anthropologues ont révélé que les âmes du riz ont un caractère féminin : à l’épiaison, la céréale est dite enceinte ; à maturité, elle accouche.
L’agriculture pré-céréalière faisait la part belle aux tubercules, ignames et taros. Le riz n’est venu que plus tard (XIe siècle à Mahilaka dans le Nord-Ouest, XIIIe-XIVe siècles à Fanongoavana et XVe siècle à Lohavohitra en Imerina). Planté en essart ou cultivé dans les «faria» aménagés par les «rois hydrauliciens», le riz est magnifié par un mythe : ses premiers grains auraient été volés au Ciel par un stratagème de la fille de Zanahary qui en a fait picorer son coq avant de ramener le cher gallinacé sur Terre pour lui ouvrir le jabot et en extraire le paddy.
Mais, qui songerait à philosopher sur un vocabulaire et des techniques d’essartage austronésiens ou des rituels du riz sur brûlis en rapport avec des groupes de Kalimantan, avant de «mihinam-bary», manger du riz étant le générique pour tout repas.
Laisser le «ranomason-takotra» (les larmes du couvercle) s’égoutter sur le riz cuit et sentir la bonne odeur du riz «manitra» (légèrement grillé) dont on fera plus tard le «ranon’ampango» (eau de la croûte de riz collée à la marmite). Détails anodins, vocabulaire méconnu, symbolisme oublié : je vois une certaine grandeur dans cette banalité.
Nasolo-Valiavo Andriamihaja