OLIVER KNOERICH, AMBASSADEUR D’ALLEMAGNE - «Madagascar peut avoir confiance en ses atouts»


En poste à Madagascar depuis août 2024, Oliver Knoerich, ambassadeur d’Allemagne, souligne le potentiel que représente le renforcement de la coopération malgacho-allemande, en mettant l’accent sur les atouts de Madagascar. Une opportunité à saisir face aux défis économiques et commerciaux actuels. Avec l’élection du nouveau chancelier et la formation de son gouvernement, le diplomate affirme, par ailleurs, que l’Allemagne est de retour pour jouer sa partition dans l’échiquier mondial.

L’Express de Madagascar : Depuis votre arrivée à Madagascar, comment définiriez-vous l’état des relations bilatérales entre les deux pays ?

Oliver Knoerich: Je suis ici depuis neuf mois. Madagascar et sa population ont réservé un accueil très chaleureux à moi et à ma famille. Je suis impressionné par ce pays, ses atouts, ses habitants, sa culture, ses paysages, sa cuisine. J’ai vu une relation très profonde et très diversifiée entre Madagascar et l’Allemagne, qui date de 142 ans déjà. Je vois une relation très vivante. C’est tout d’abord la coopération bilatérale, mais aussi les relations économiques et commerciales, le travail de plusieurs ONG, par exemple dans les domaines de l’aide humanitaire et médicale, ou pour la protection de l’environnement. Mais aussi des échanges académiques entre les universités et des relations culturelles. Je vois un grand spectre pour approfondir nos relations.

Vous avez rappelé qu’il y a plus de 140 ans de relation entre Madagascar et l’Allemagne, une coopération diplomatique depuis 1960. Cependant, pour le Malgache lambda, contrairement à d’autres pays, la coopération entre Madagascar et l’Allemagne est peu connue. Concrètement, en quoi consiste-t-elle ?

Nous avons une coopération très importante avec Madagascar. L’Allemagne, et vous avez peut-être raison, ce n’est pas assez connu, est l’un des plus grands donateurs bilatéraux. Le portefeuille actuel pour la totalité des projets s’élève à environ 

460 millions d’euros. Au-delà, il faut encore compter toutes les contributions de l’Allemagne à l’Union européenne et à toutes les organisations des Nations unies. Cette coopération porte essentiellement sur quatre grands axes. Le premier est la protection de l’environnement et de la biodiversité. Un thème important de cet axe de coopération est le soutien aux parcs nationaux. Le second axe est l’énergie renouvelable. Le troisième grand thème est l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et la sécurité alimentaire. Le quatrième axe est la bonne gouvernance, le développement communal et la décentralisation. C’est surtout la GIZ et la banque KfW qui mènent cette coopération.

L’Allemagne vient d’avoir un nouveau chancelier et un nouveau gouvernement. Son élection n’a pas été facile. Avec le nouveau vent politique qui souffle en Allemagne, en Europe, aux États-Unis, la conjoncture politique en Allemagne et dans le monde pourrait-elle impacter les priorités et les financements dans la coopération allemande ?

Avec ce nouveau gouvernement, je crois que le message est très clair : l’Allemagne est de retour. Six mois après la rupture de l’ancien gouvernement, nous avons un nouveau chancelier, un nouveau ministre des Affaires étrangères, une nouvelle ministre de la Coopération économique. Je crois que ce gouvernement est clair sur sa position vis-à-vis d’autres pays en Europe et dans le monde, y compris l’Afrique et l’océan Indien. Il cherche de nouveaux partenariats et cherche à renforcer les partenariats existants.

Surtout, comme vous l’avez mentionné, il y a la situation géopolitique et la politique intérieure. On vit sous une menace à nos frontières, en Europe. Une menace de la Russie, qui a attaqué l’Ukraine et qui menace aussi d’attaquer d’autres pays européens. Une menace d’un pays qui augmente sa puissance militaire rapidement. Malheureusement, nous devons affronter cette réalité.

Aussi, devons-nous faire face à une menace intérieure. On voit dans plusieurs pays en Europe, y compris en Allemagne, une croissance des forces politiques extrêmes. Cependant, avec ce nouveau gouvernement, on a vu que les partis démocratiques en Allemagne sont capables d’agir et de gouverner le pays. Je suis convaincu que ce gouvernement de coalition est stable et prêt à affronter tous les défis.

Quelles garanties pouvez-vous donner à vos partenaires qu’il n’y aura pas de bouleversement dans la politique étrangère allemande, comme sur les quatre axes de la coopération avec Madagascar, par exemple ?

Si on regarde la politique en Allemagne, nous avons construit, après la Seconde Guerre mondiale, notre système politique d’une manière qui nécessite des compromis. Qui nécessite de trouver un consensus des partis démocratiques sur les grands thèmes, qui nécessite des discussions politiques pour avoir les meilleures réponses face aux défis actuels. Cette culture du compromis peut signifier que les discussions durent parfois plus longtemps que dans d’autres pays, mais je crois que ce système a garanti un consensus sur les grands thèmes.

Le nouveau gouvernement pourrait mettre l’accent sur différents thèmes, mais les grands axes de la politique étrangère comme l’aide au développement et la politique sécuritaire ne vont pas changer fondamentalement. Je crois que c’est aussi vrai pour la coopération avec Madagascar, qui est un partenaire important dans la région. Je suis convaincu qu’on peut encore renforcer notre coopération.

Au début, vous avez dit que ce que l’Allemagne fait à Madagascar n’est pas très connu. Mais je peux aussi dire que c’est vrai dans l’autre sens. Tous les atouts, le potentiel, l’importance de Madagascar ne sont pas assez connus en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe. Il y a un grand potentiel pour renforcer la coopération entre l’Allemagne, Madagascar et l’Europe.

Certes, mais quelle garantie les partenaires de l’Allemagne ont-ils que le nouveau gouvernement ne privilégiera pas un consensus pour éviter un blocage politique, au détriment de certains grands axes de sa politique internationale, comme la lutte contre le changement climatique, par exemple ?

Tout d’abord, les partis du nouveau gouvernement ont signé un traité de coalition de plus d’une centaine de pages et on peut y voir non seulement les grands axes des priorités du gouvernement, mais aussi les détails des actions gouvernementales. Je ne dis pas que rien ne changera. Bien sûr, il y aura des changements, dont beaucoup sont dus aux menaces extérieures, notamment la menace contre notre sécurité que je viens de mentionner. Donc, on verra probablement des changements en raison de contraintes budgétaires.

'' Tous les atouts, le potentiel, l’importance 
de Madagascar ne sont pas assez connus "

en Allemagne.En vue de ces contraintes budgétaires, on a compris qu’il faut beaucoup plus coopérer avec le secteur privé, aussi dans les relations avec Madagascar. Le temps où la coopération bilatérale consistait juste à donner des aides au développement est fini. On est beaucoup plus dans une logique de partenariat, d’esprit gagnant-gagnant entre nos pays, et de coopérations avec le secteur privé pour développer nos relations économiques. Notre nouveau ministre des Affaires étrangères a souligné dans son premier discours qu’il veut renforcer des partenariats, aussi avec les pays du Sud, y compris en Afrique.

Qu’attendez-vous de Madagascar dans ce partenariat ?

J’attends un esprit de dialogue. Trouver des coopérations gagnant-gagnant. Une discussion ouverte sur nos positions respectives. On n’attend pas qu’on soit toujours d’accord sur tout, loin de là. Mais je crois qu’on partage des bases fondamentales comme le respect des principes de la Charte des Nations Unies. On vise surtout un dialogue entre égaux. Un dialogue ouvert sur nos priorités économiques et sur notre coopération politique. Que l’on soit des partenaires politiques, économiques, culturels. On veut travailler sur toute la gamme des thèmes de coopération. Je le réaffirme, il y a un énorme potentiel pour renforcer cette coopération.

Qu’est-ce que les deux pays peuvent apporter l’un à l’autre ? Dans quel secteur peut-on renforcer notre coopération bilatérale ?

Je pense que Madagascar peut avoir confiance en ses atouts, en son potentiel, que ce soit dans les secteurs des matières premières, des minéraux critiques ou de l’agriculture, y compris l’agriculture biologique, pour laquelle il y a un grand marché en Europe, dont l’Allemagne. Ou aussi le tourisme, dont les atouts de Madagascar sont peu connus, ou en son potentiel en matière d’énergie renouvelable. Avoir une main-d’œuvre qualifiée et peu chère est aussi un atout pour le pays. Sa position géostratégique, à côté de la route maritime la plus fréquentée au monde. Donc il y a toute une gamme d’atouts et d’opportunités.

Sur ce que l’Allemagne peut apporter, il faut tout d’abord comprendre que l’Allemagne cherche à diversifier ses relations économiques et politiques et à renforcer les partenariats ou à trouver de nouveaux partenaires, par exemple pour trouver des sources de matières premières pour l’industrie allemande. On est aussi prêt à travailler dans ce domaine pour que le maximum de travail et de valeur ajoutée soient créés dans le pays. L’industrie allemande, le savoir-faire allemand dans l’ingénierie peuvent contribuer à développer ce secteur. Il y a aussi le secteur agricole. On peut aussi contribuer avec la technologie allemande dans le développement du “smart farming”, par exemple. De même dans le secteur de l’énergie renouvelable. Je veux aussi mentionner nos banques de développement qui sont prêtes à travailler dans des projets à Madagascar. Le potentiel qu’offre Madagascar dans le domaine du tourisme nous intéresse aussi.


Ce nouveau partenariat, recherché par le gouvernement allemand, porterait-il donc principalement sur le secteur des matières premières ?
Vous avez évoqué les minerais critiques. Un sujet sur lequel l’Union européenne (UE) essaie aussi d’accélérer le dialogue avec les pays africains. L’Allemagne suit-elle cette ligne également ?

Tout d’abord, l’Allemagne fait partie de l’Union européenne. On a bien compris que pour affronter les défis à venir, un pays, même comme l’Allemagne, est trop petit. Donc on coopère dans plusieurs domaines avec nos pays partenaires européens regroupés dans l’UE. Il y a une complémentarité dans les actions de l’UE et des pays membres, dont l’Allemagne. Cela inclut le secteur des matières premières.

J’ai été en contact avec des entreprises allemandes. Ce qu’elles cherchent, c’est de la visibilité et de la transparence sur la manière dont les matières premières sont produites, et sur les standards écologiques et sociaux. Dans les grandes entreprises dans ce secteur qui existent à Madagascar, je crois qu’il y a une visibilité des standards. Et c’est un énorme atout vis-à-vis des entreprises en Europe et en Allemagne de connaître d’où viennent les matières premières et comment elles sont produites.

Vous avez parlé de création de valeur ajoutée par les investissements dans l’exploitation des matières premières, notamment les minerais critiques. Il s’agit justement d’une des principales craintes de l’opinion publique malgache : que les exploitations n’apportent pas de développement social et économique. Que proposent les entreprises allemandes pour créer cette valeur ajoutée et contribuer au développement local et national ?

Je comprends ces craintes. Je crois que, surtout dans ce secteur, il faut faire les choses correctement. L’Allemagne a créé un fonds pour soutenir des projets pour les minéraux critiques à l’étranger afin de donner un soutien du gouvernement allemand à des projets qui respectent des standards écologiques et sociaux, et avec une valeur ajoutée dans le pays. Chaque projet, chaque minerai, chaque matière première est différent, mais nos principes sont clairs dans ce domaine, comme la transparence et l’apport d’une valeur ajoutée dans les pays. Et nos entreprises sont prêtes à coopérer avec d’autres compagnies et elles sont ouvertes aux “joint-ventures”.

Qu’est-ce que l’ambassade peut faire pour mettre en lien, pour faciliter la coopération entre le secteur privé malgache et allemand afin de renforcer cette coopération économique ?

Effectivement, il y a un rôle à jouer pour l’ambassade, et moi personnellement, d’établir des contacts, d’expliquer, ici à Madagascar, les atouts et les forces des entreprises allemandes. Et vice-versa, expliquer aussi à mes compatriotes, à mes contacts en Allemagne, les atouts et les opportunités qu’offre Madagascar. C’est un vrai “matchmaking”. Cela peut se matérialiser par des contacts entre les différentes associations économiques ou des rencontres politiques. C’est une tâche de base des ambassades, qui facilite également les contacts dans les secteurs culturels et académiques : organiser des rencontres, des événements afin que nos deux pays se rapprochent davantage.

Dans un monde de plus en plus concurrentiel, notamment sur le plan économique et commercial, tous les pays cherchent à renforcer les partenariats existants et à les diversifier aussi. Qu’est-ce que l’Allemagne propose pour faire la différence avec les autres pays, même vos voisins européens ?

Tout d’abord, l’Allemagne fait partie de l’Union Européenne, qui représente un marché de plus de quatre cent cinquante millions de consommateurs. Via l’UE, nous avons un accord qui permet à Madagascar d’exporter presque l’entièreté de ses produits sans restriction tarifaire et sans quota. Et le partenariat avec l’Europe est très fiable et durable. Et je crois que l’Allemagne offre aussi ses atouts classiques, comme la technologie, la qualité et la fiabilité de ses produits.

Nous ne sommes pas toujours les plus rapides dans l’établissement d’une nouvelle relation, mais une fois qu’elle est établie, c’est pour le long terme. On travaille aussi en coopération avec d’autres pays, et ce n’est pas une contradiction. Encore une fois, je crois qu’il y a un grand potentiel pour renforcer, améliorer, élargir la coopération entre l’Allemagne et Madagascar.

Peut-on espérer, dans un futur proche, voir des usines allemandes, comme les grandes marques de voitures allemandes, s’implanter à Madagascar, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays ?

Comme je l’ai dit au début, le potentiel est là. Madagascar a énormément de choses à offrir.

Toutefois, il est très important que le climat des affaires soit positif, que les investisseurs potentiels trouvent des conditions favorables. Il est important aussi de travailler sur des accords de libre-échange avec le continent africain, afin que Madagascar puisse fournir aussi les marchés dans ses environs. Je félicite justement le pays pour la ratification de la Zlecaf [Zone de libre-échange africaine]. D’ailleurs, l’Allemagne a soutenu considérablement l’élaboration de la Zlecaf. Nous sommes convaincus que le libre-échange est un grand atout pour développer l’industrie et une société. En somme, il s’agit de créer les conditions favorables aux investissements étrangers.

Parmi la coopération existante entre Madagascar et l’Allemagne, la coopération politique est une des plus visibles. Sur ce point, la fermeture de la FES Madagascar étonne. Serait-ce une conséquence du nouveau vent politique en Allemagne ?

Tout d’abord, je voudrais saluer le travail de la fondation FES dans le domaine de la formation et du dialogue politique. C’est malheureux qu’elle ferme ses portes. La raison est purement budgétaire. Comme évoqué au début, le paysage politique en Allemagne change. Les fondations politiques, qui sont liées à des partis politiques, dépendent, dans leur financement par l’État allemand, du pourcentage obtenu par les partis respectifs au Parlement. La fondation Friedrich Ebert, liée à la SPD / Parti social-démocrate, a dû fermer plusieurs bureaux dans le monde à cause de ces contraintes budgétaires. Encore une fois, le monde change, mais c’est pour des raisons budgétaires, une question interne à la fondation, et il ne s’agit pas d’une décision politique contre Madagascar.

Difficile de ne pas faire le lien entre ce nouveau vent politique et la célébration de la fin de la 2e Guerre mondiale qui a été faite récemment. Comment expliquez-vous la résurgence des idées d’extrême droite et de factions néo-nazies en Allemagne ?

On voit, dans plusieurs pays, y compris l’Allemagne, une résurgence des idéologies extrêmes, effectivement. Je pense qu’on y voit un certain sentiment d’insécurité vis-à-vis de la globalisation, vis-à-vis d’un monde toujours plus interconnecté. La peur de perdre le lien avec la tradition et la culture locale. Une peur devant un monde du travail qui change très rapidement, avec les nouvelles technologies. La peur de devenir inutile. Je crois qu’il s’agit d’une réaction à ces forts changements. Cela pourrait aussi être la conséquence d’un certain mécontentement vis-à-vis des systèmes démocratiques pour trouver des solutions face aux défis politiques avec efficacité et rapidité.

J’ai expliqué que notre système politique est basé sur la recherche de compromis. Parfois, ça prend beaucoup de temps, alors qu’il y a des gens qui pensent qu’il faut trouver des solutions faciles et rapides. Cependant, selon moi, les populistes extrêmes peuvent poser des questions pertinentes, mais ils n’ont pas de réponses, de solutions aux problèmes et aux défis qui sont complexes. Le monde est trop complexe pour trouver des solutions faciles. Trouver des solutions durables prend du temps et est plus compliqué que ce que les populistes extrêmes veulent faire croire.

"Les entreprises allemandes cherchent 
plus de visibilité et de transparence."

Sur la question migratoire, justement, plusieurs Malgaches émigrent en Allemagne pour se former et travailler avec le système de jeunes au pair. La résurgence des idées extrêmes ne risquerait-elle pas de remettre en cause la politique migratoire allemande, et même la sécurité des migrants ?

Je crois que le nouveau gouvernement veut affronter ce sujet de la migration avec une double stratégie. Puisqu’encore une fois, trouver les bonnes solutions n’est pas facile. D’un côté, l’Allemagne dépend de la migration pour notre marché du travail, puisque nous manquons de travailleurs dans beaucoup de secteurs, comme dans les hôpitaux, les soins aux personnes âgées, la restauration et l’hôtellerie, la manufacture. Nous avons besoin d’une migration, puisque nous sommes aussi un pays avec une population vieillissante. Le nouveau gouvernement en est conscient et veut continuer une migration ciblée dans certains secteurs. D’un autre côté, il est clair qu’on ne peut pas accepter une migration irrégulière, sans contrôle. Alors, le nouveau gouvernement va mettre en place plus de mesures pour contrôler la migration irrégulière.

Garry Fabrice Ranaivoson

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