DR DENIS ALEXANDRE LAHINIRIKO  - «La visite de Macron va redéfinir les relations franco-malgaches»


Dans quelques jours, et sauf changement, Emmanuel Macron sera le 5e président français à fouler le sol malgache depuis le général de Gaulle en 1958. Tout comme celle effectuée par ses prédécesseurs, la visite d’État que va effectuer le 8e président de la Cinquième République est empreinte d’objectifs en particulier, notamment pour ce qui est des relations bilatérales entre Madagascar et son partenaire historique. Docteur Denis Alexandre Lahiniriko, Maître de conférences au Département d’Histoire de l’université d’Antananarivo nous apporte ses analyses par rapport à cet événement.

L’Express de Madagascar- Quelles visites présidentielles françaises ont marqué l’histoire des relations entre la France et Madagascar ?

Dr Denis Alexandre Lahiniriko- Le premier chef d’État français ayant effectué une visite officielle était le général de Gaulle. C’est sans doute la visite la plus importante car c’était dans le cadre de l’indépendance du pays. De Gaulle était à Madagascar et a prononcé son célèbre discours à Mahamasina pendant lequel il a montré « Anatirova » et annoncé l’autodétermination de Madagascar. La visite de François Mitterrand était également importante. Elle est intervenue à un moment où le monde basculait dans un nouvel ordre mondial. Le chef d’État de l’époque a surtout insisté sur l’importance pour Madagascar et les pays africains d’en finir avec l’autoritarisme post colonial et d’embrasser enfin la démocratie occidentale. C’est l’expression même de ce qu’on appelle « Discours de La Baule ».

     Quant à Jacques Chirac, sa visite marquait un renouvellement de la relation franco-malgache. Certains pensaient même qu’elle entrait dans le cadre de préservation des relations privilégiées entre la France et ses anciennes colonies qu’on appelle aussi France-Afrique. En effet, l’ancien Président Marc Ravalomanana était connu pour sa proximité avec les pays Anglo-saxons. Chirac était donc à Madagascar pour rassurer la diaspora française de Madagascar mais également ses citoyens établis dans le pays. En ce qui concerne François Hollande, c’était dans un cadre beaucoup plus restreint sans réelle envergure sinon la volonté de la France de marquer sa présence importante à Mada et notamment la préservation des liens historiques entre la Grande-île et son ancienne métropole.

Pourquoi cette visite d’Emmanuel Macron intervient-elle maintenant ?

La visite de Macron revêt une importance particulière car elle entre dans le cadre d’une certaine redéfinition des relations entre Madagascar et la France. Le président français l’a clairement annoncé. Cette visite est dans le même cadre que celle effectuée par le chef d’État dans plusieurs pays africains francophones. Officiellement, il s’agit d’une visite précédant le sommet des chefs d’État membres de la Commission de l’Océan Indien. Cela suppose que la France entend défendre également sa place dans la géopolitique mondiale. N’oublions pas qu’elle est présente dans le Sud-ouest de l’océan indien à travers La Réunion. Sa participation à ce sommet est une indication que la France entend également promouvoir le multilatéralisme dans un monde dominé par des puissances qui n’hésitent pas à montrer leur politique isolationniste comme les États-Unis.

Pour la visite d’Emmanuel Macron à Madagascar, quels peuvent être les sujets à l’ordre du jour ?

Plusieurs sujets devraient être à l’ordre du jour. D’abord et avant tout, cette redéfinition des relations bilatérales entre les deux pays. Macron fera le voyage avec une forte délégation du patronat français donc au menu figurent aussi les questions économiques. Les deux chefs d’État reviendront également sur certains sujets «difficiles» comme les Îles Éparses par exemple. Bien sûr, les deux hommes ne manqueront pas également d’évoquer la coopération, d’abord économique avec par exemple la construction de la ligne de transport par câble qui a bénéficié d’un prêt important d’une institution française. À l’ordre du jour également la place de la diaspora française à Madagascar et la diaspora malgache en France. D’autres sujets pourraient être également évoqués comme l’évolution de l’histoire commune entre les deux pays et notamment la colonisation et ses méfaits.

En quoi cette visite peut-elle influencer les relations bilatérales entre la France et Madagascar ?

Cette visite impactera les relations bilatérales. Une visite d’un chef d’État français est peut-être l’événement de l’année à Madagascar. Dans ce cas, Madagascar essaiera d’obtenir le meilleur deal dans plusieurs domaines, pas seulement économique mais pourquoi pas symbolique comme la question de visa par exemple. La coopération française serait probablement redéfinie par ce voyage de Macron à Madagascar.

Quelles sont les attentes que ce soit du côté malgache ou du côté français ?

Du côté malgache, les attentes sont plus importantes que du côté français. Pour Madagascar, les premières attentes sont d’ordre économique, du moins officiellement. Dans le contexte mondial marqué par un repli sur soi des États-Unis, Madagascar se doit de trouver d’autres marchés et le marché européen en général et français en particulier intéressent Madagascar. L’autre attente du côté malgache est d’ordre mémoriel. Il s’agit d’apaiser les relations franco-malgaches et notamment celles relatives à la colonisation, y compris les restitutions des biens spoliés ou encore les îles éparses. Bien sûr, le pouvoir actuel estime que l’arrivée de Macron renforcera leur légitimité alors que du côté de l’opposition c’est une occasion de contester cette légitimité. Du côté français, les attentes sont nombreuses également, et surtout en ce qui concerne la redéfinition du « soft-power » français. La France négociera aussi de meilleures conditions pour les entreprises françaises.

" Bien sûr, la France entend défendre ses intérêts et notamment ceux de diasporas établies à Madagascar et qui occupent une place importante dans l’économie du pays."

Un citoyen français, Paul Maillot Rafanoharana est actuellement en détention à Madagascar, est-il possible que la négociation de son extradition soit à l’ordre du jour de la rencontre entre les deux personnalités ?

Oui, ce sujet sera abordé et je pense qu’une solution sera trouvée. Sur ce point, des élus français ont déjà interpellé le président Macron et la France a comme politique officielle de ne pas abandonner ses citoyens détenus à l’étranger. Le président Rajoelina pourrait faire un geste de clémence au nom de l’amitié franco-malgache. D’ailleurs, l’intéressé lui-même est franco-malgache et en même temps, ancien militaire français.

La question des îles éparses a été déjà évoquée lors des précédentes rencontres qui ont eu lieu en France, est-il possible que la rétrocession de ces îles par la France sera à l’ordre du jour?

Bien sûr que la question des îles éparses sera à l’ordre du jour. Une partie de l’opinion malgache attend d’ailleurs le président Macron sur ce point. Néanmoins il est plus que prévisible qu’aucune solution ne serait trouvée à ce niveau des négociations. D’autres étapes sont encore nécessaires pour régler définitivement cette question. D’ailleurs, tout laisse transparaître que la France n’entend pas transférer à Madagascar une quelconque souveraineté sur ces îles.

Madagascar occupe une position stratégique dans l’océan Indien. La France cherche-t-elle à renforcer sa présence dans cette zone ?

Comme je l’ai déjà expliqué, la visite de Macron à Madagascar est un signe clair que la France entend renforcer son influence dans l’océan indien, en général et dans sa partie occidentale en particulier. Cela est d’autant plus important que l’influence française est non seulement contestée, mais est en nette diminution dans la plupart de ses anciennes colonies en Afrique comme au Mali ou encore au Sénégal.

La Chine, l’Inde ou d’autres puissances ont accru leur présence à Madagascar. La France cherche-t- elle à préserver son influence historique ?

Une visite de ce niveau est toujours motivée par des enjeux géopolitiques. La France n’a plus les ambitions qu’elle avait auparavant notamment dans le cadre d’une rivalité géopolitique avec d’autres puissances comme la Chine, l’Inde ou encore les États-Unis. Par contre, elle dispose d’un « soft-power » important à travers ses anciennes colonies et notamment par la présence importante de sa diaspora dans ces pays. La France rééquilibre donc sa politique étrangère en tenant compte de ces enjeux. D’autant plus qu’avec l’isolationnisme américain du président Donald Trump, la France doit se réinvestir dans un projet de renforcement de l’Europe face aux menaces russes, américaines ou encore chinoises.

Quels événements historiques majeurs lient la France et Madagascar ?

La colonisation reste l’événement majeur définissant la relation entre Madagascar et la France. Depuis l’indépendance de 1960, cet événement a été important dans toutes les politiques étrangères définies à Madagascar. Elle a toujours défini la représentation de l’étranger dans l’horizon mental des Malgaches.

Emmanuel Macron a déjà reconnu certaines responsabilités françaises dans d’autres pays africains. Peut-on s’attendre à une déclaration mémorielle à Madagascar ?

Les anciens chefs d’État français à Madagascar ont reconnu l’injustice du système colonial et en particulier Chirac et Hollande. Par contre, aucun n’a présenté des excuses officielles. Cette visite pourrait changer la donne car Macron a montré une certaine sensibilité mémorielle. En Algérie et au Cameroun, il a appelé à la constitution d’un comité mixte d’historiens pour établir les vérités historiques sur les violences coloniales.

À Madagascar, les historiens malgaches attendent avec impatience une telle décision car elle permet de dépasser enfin le traumatisme créé par le système colonial, une condition nécessaire pour tourner la page des ressentiments et de la question de rente mémorielle. Je pense que la visite de Macron doit être une occasion de parvenir à faire passer ce « passé qui ne passe pas ». Cela pourrait être accompagné d’une politique de reconnaissance des crimes coloniaux et pourquoi pas la question épineuse de réparations. Néanmoins, la visite de Macron doit comporter une approche d’apaisement mémoriel. Si c’est le cas, cela veut dire également qu’après ce voyage, les Malgaches doivent accepter la responsabilité dans l’évolution du pays sans chercher derrière tout événement la main de l’ancienne puissance coloniale.

Tsilaviny Randriamanga

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