Parce que l’eau manquera

J’ai grandi en buvant l’eau du robinet de la JIRAMA, héritière des canalisations de EEM (Eau et Électricité de Madagascar). Cette eau était limpide, cristalline, fraîche. Inodore et incolore, elle n’en était que meilleure. Elle était «si pure si nature», bien avant ses concurrentes eaux minérales embouteillées qui, alors, ne faisaient partie, ni du paysage ni du vocabulaire.

Aujourd’hui, un demi-siècle après la nationalisation des Eaux et Électricité, l’eau du robinet est trouble, effervescente, suspecte. Les bouteilles d’eau minérale envahissent les rayons des supermarchés et encombrent les étagères domestiques. Le geste basique d’ouvrir le robinet et de s’y désaltérer s’est compliqué d’une succession de précautions : il faut laisser  ce liquide suspect se décanter, il faut le filtrer, il faut le bouillir.

Au Moyen-âge européen, les moines avaient inventé les bières d’abbaye, breuvage qui permettait de ne pas boire de l’eau croupie et d’échapper au choléra qui ravageait des populations entières. Sans doute pour les mêmes raisons, les Ntaolo malagasy avaient découvert le «ranonampango» ou «ranovola», cette décoction de la croûte grillée, «manitra», après cuisson du riz. 

L’eau, de trouble, viendra à manquer. Elle ne coule déjà plus aux robinets de nombreux quartiers de la Capitale, la ville la mieux équipée de tout Madagascar. Le mot «étiage» nous deviendra de plus en plus familier, et de plus en plus tôt dans la saison. Il est censé pleuvoir de novembre à mars et il en pleut théoriquement 60% sur les mois de décembre, janvier et février : nous savons ce cycle naturel désormais en sursis. 

Une étude «Approvisionnement en Eau et Assainissement de Tananarive» (confiée par l’Organisation mondiale de la santé à l’Omnium Technique OTH et qui s’est déroulée pendant 25 mois, entre le 1er juin 1973 et le 30 juin 1975) évoquait une amenée depuis Tsiazompaniry qui s’effectuerait naturellement par le biais de l’Ikopa, car la véritable ressource provient de la retenue de Tsiazompaniry qui régularise l’Ikopa, laquelle recharge la nappe, et que les meilleurs points d’exploitation des eaux superficielles de l’Ikopa et des eaux souterraines de l’Ikopa se situent à l’amont de la Ville, dans le secteur d’Alasora, dont les ingénieurs avaient pensé pouvoir refouler sur Mandroseza les eaux souterraines.  

Cette étude d’il y a 50 ans passait en revue des hypothèses qui nous sont devenues réalité : la tuberculinisation interne des conduites de fonte grise du réseau par incrustation de fer, les 250.000 m3 d’eau en besoin quotidien du Grand Tana, l’alimentation autonome de la commune d’Ambohitrimanjaka à partir de la nappe alluviale de l’Ikopa...

Certaines questions seront de moins en moins taboues : limitation des naissances, régulation des migrations intérieures, interdiction des Kärcher à grandes eaux, restriction de l’arrosage des jardins, pénalisation de la moindre fuite, goutte d’eau d’un gaspillage en cascade. C’est que les ressources en eau d’Antananarivo ne sont pas indéfiniment extensibles. En 1975, on pouvait encore écrire qu’il pleut en moyenne 1.360 millimètres d’eau par an à Antananarivo tandis que l’évaporation moyenne est de 1.170 mm par an : ces valeurs doivent avoir été mises à mal par les abus anthropiques, nombreux et massifs, qui vous valent le néologisme «Anthropocène», l’âge des dérèglements induits par l’activité humaine. 

Une autre initiative humaine, qu’on a par contre oubliée, c’est cette idée de grands lacs artificiels, réservoir des eaux de pluie qui ne se perdraient plus inutilement à la mer et plan nautique écologique, qui apporterait une fraîcheur bienvenue.

Antananarivo n’a ni vocation ni capacité à abriter tout l’Imerina et encore moins tout Madagascar. La pertinence d’une nouvelle Ville n’est pas en cause, mais elle pourrait se situer au-delà du premier cercle du Grand Tana : un Grand Arivonimamo, par exemple, autour de l’ancien aérodrome international. Pour sauver Antananarivo, il faudra multiplier Antananarivo : des villes aussi bien équipées en hôpitaux, en écoles et universités, en centres culturels, en usines pourvoyeuses d’emplois, en services publics. En eau potable. En tout ce qui attire les populations à Antananarivo parce qu’inexistantes chez elles. Faute de décentralisation, la périphérie s’anémia et le centre s’asphyxia. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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