PRODUCTION - L’artisanat monte en puissance

Le secteur de l’artisanat pourrait devenir le premier employeur du pays d’ici 10 ans.

Vu par de nombreux observateurs comme un secteur à fort potentiel à même de contribuer fortement à l’atteinte des objectifs de croissance durable de Madagascar, l’artisanat gagne en dynamisme et bénéficie de plus en plus d’appuis pour acter sa véritable émergence. 

Les statistiques publiées dernièrement font état de près de 32 millions d’euros d’exportation de produits artisanaux. Concernant les filières les plus porteuses, les articles fabriqués à base de fibres végétales dominent avec un taux de 58%. Viennent ensuite les pierres et les bijouteries qui représentent 33% des exportations. Quant aux produits issus de la filière textile et habillement, ils représentent 4% des produits écoulés à l’étranger, idem pour les métaux et les travaux de métaux. On sait également que les pays de l’Union Européenne sont les principaux clients des produits artisanaux de la Grande île.

Si ces chiffres sont déjà encourageants, les analystes soutiennent que l’artisanat n’est que dans sa phase de décollage. Disposant désormais d’une stratégie de développement ambitieuse qui tient compte de ses véritables atouts mais aussi de ses faiblesses spécifiques, le secteur devrait connaître un développement notable dans les prochaines années. Il devrait aussi profiter pleinement des retombées des actions visant à accueillir un million de touristes à l’horizon 2028. Pour le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), après avoir été affecté par divers chocs, dont la crise sanitaire, le secteur de l’artisanat devrait maintenant acter son émergence grâce aux réformes menées notamment dans le cadre du programme de soutien à la « Relance du secteur informel et résilience à travers le développement des Chaînes de valeur verte et bleue » et d’autres initiatives appuyées par les différents partenaires. 

À savoir que divers projets sont en cours pour restructurer les filières artisanales en se basant sur le constat selon lequel ce secteur constitue un héritage de savoir-faire et un vecteur culturel à même de devenir un levier de développement économique de première importance. Plus de quatre cent cinquante mille professionnels répartis dans cent cinquante-sept métiers sont recensés dans le domaine de l’artisanat à Madagascar et plusieurs initiatives ont été mises en place pour accompagner les artisans, notamment les jeunes et les femmes. Ces appuis impliquent différentes structures comme le ministère de tutelle, les partenaires techniques et financiers, le secteur financier et même la Direction générale des Douanes. 

Quant à la Politique et stratégie nationale pour le développement de l’artisanat (PSNDA), elle repose sur quatre objectifs, à savoir l’amélioration des conditions de travail et de vie des artisans, la participation à la réduction de la pauvreté, la dotation de structures aux artisans et la création d’un environnement propice au développement de l’artisanat. Selon les autorités, l’artisanat peut maintenant miser sur un cadre de développement à même de transformer le secteur en une véritable industrie portée par un tissu d’entreprises dynamiques de différentes tailles. 

Si les projections se réalisent, l’artisanat sera le premier pourvoyeur d’emplois à Madagascar dans 10 ans. Pour y parvenir, l’intégration annuelle d’au moins cent cinquante mille jeunes malgaches dans les filières ou dans des activités liées indirectement à l’artisanat sont au programme. En outre, la stratégie vise à hausser de 25% chaque année les recettes provenant de l’exportation de produits artisanaux. Un objectif ambitieux que le gouvernement compte atteindre à travers des mesures dont la mise sur pied d’un observatoire national pour l’artisanat et d’un fonds de développement de l’artisanat. L’ouverture des centrales d’achats de matières premières et des cités de métiers figurent parmi les projets en cours. Sans oublier le grand village artisanal qui sera aménagé à Ivato.

Pour Hanitra Rahary, consultante en matière de promotion des activités génératrices de revenus, de nombreuses actions de consultation et de réflexion ont permis de bien situer les besoins des acteurs et parties prenantes de l’écosystème de l’artisanat. Et notre interlocutrice de rappeler qu’un forum national a même été organisé il y a trois ans. La rencontre a vu la participation des représentants d’artisans issus des diverses régions, les responsables institutionnels, les départements ministériels, les partenaires techniques et financiers, les chancelleries et même les étudiants. Rappel a été fait à cette occasion que la politique pour le développement de l’artisanat accorde un intérêt particulier au fait qu’il contribue à développer le secteur du tourisme tout en étant bénéficiaire des opportunités offertes par celui-ci.

Question de matières premières 

Mais le secteur de l’artisanat ne pourrait se développer durablement si les artisans ne sont pas en mesure de disposer en quantité et en qualité suffisantes des matières premières dont ils ont besoin. La question a été au cœur des discours et des échanges, au mois de juillet dernier, lors de l’inauguration de la première centrale d’achat de cornes de zébu à Imerintsiatosika. Cette dernière vise à répondre aux besoins des artisans cornetiers de la région Itasy en leur fournissant des cornes de zébu de qualité à des prix abordables, en accord avec l’un des axes prioritaires concernant l’accès aux matières premières. Le centre offre également un espace d’exposition et de vente pour les produits finis. Un showroom est disponible pour les touristes traversant la RN1. Ce centre a été créé grâce au projet «Route de l’artisanat» pour dynamiser les activités artisanales de la région. Une partie des recettes obtenues par la centrale d’achat sera allouée à un fonds spécial géré par le CENAM, destiné à la formation des artisans.

Du côté du ministère chargé de l’Artisanat, on soutient que la problématique des matières premières figure parmi ses préoccupations prioritaires. D’où le projet d’installation d’autres centrales d’achat aussi bien pour les cornes de zébu que pour d’autres matières dans plusieurs localités. On sait en outre que le ministère a déjà élaboré une cartographie des matières premières pour les filières porteuses, ce qui permettra de prioriser l’installation de ces centrales d’achat en fonction des besoins identifiés.

Par ailleurs, les responsables mettent en avant la nécessité de mieux collaborer avec le secteur privé pour mieux appuyer les artisans. C’est dans ce cadre qu’un accord a été acté avec le groupe Socota, un acteur clé de l’industrie textile malgache, en matière de valorisation des chutes de tissus. Ces matières, traditionnellement considérées comme des déchets, sont récupérées et redistribuées à des associations artisanales. L’action participe à la réduction des déchets textiles tout en offrant une nouvelle vie aux matériaux qui sont transformés en objets de décoration, tapis, et autres produits écoresponsables.

Madagascar a exporté pour près de 32 millions d’euros de produits artisanaux en 2024.

Mieux former les artisans

Pour les responsables publics et privés, le développement de l’artisanat passe désormais par l’intégration des principes du recyclage dans les processus de production artisanale. Ainsi, des partenariats devraient se multiplier pour promouvoir et préserver le savoir-faire malgache tout en adoptant des pratiques durables. Rien qu’à travers cette collaboration avec Socota, quinze associations artisanales de la région bénéficient d’un accès régulier à des matières premières issues du recyclage textile. L’économie circulaire au service de l’artisanat permet de régler en partie le problème de disponibilité des matières premières mais s’inscrit aussi dans une vision plus large de responsabilité environnementale. « Nous sentons une volonté commune de conjuguer croissance et respect de l’environnement. En valorisant les déchets et en soutenant les artisans locaux, nous posons les bases d’un modèle économique plus durable, tout en mettant en lumière l’ingéniosité et la richesse culturelle de l’artisanat malgache », a déclaré la ministre Viviane Dewa.

L’autre pilier du développement du secteur est le renforcement des capacités des artisans. Les responsables indiquent que différentes initiatives ont été lancées dans ce domaine. Parmi celles-ci, on peut citer la signature de la convention de partenariat entre le ministère du Tourisme et de l’Artisanat et le Fonds d’Intervention pour le Développement (FID). Dans ce cadre, le Centre National de l’Artisanat de Madagascar (CENAM) a été mandaté pour former les artisans bénéficiaires. L’objectif est de former mille cinq cent quarante-deux artisans dans différentes zones d’intervention à travers Madagascar.

De nombreux artisans ont déjà bénéficié de formations en broderie, crochet, vannerie, coupe et couture, dans les villes comme Antananarivo, Toamasina ou encore Taolagnaro. Pour cette dernière, plusieurs dizaines d’artisans spécialisés dans la tannerie et la maroquinerie ont participé à une formation dédiée. À Antananarivo, la deuxième vague de formations s’est achevée au mois d’octobre dernier. Pendant trois semaines, deux cent trente-cinq artisans ont suivi des formations intensives en vannerie, crochet et couture. « Ces initiatives s’inscrivent dans une stratégie de développement visant à accélérer le renforcement des compétences des artisans, à promouvoir leurs créations sur le marché national et international, et à encourager la pérennité des métiers traditionnels malgaches », a-t-on expliqué.

VILLAGE ARTISANAL -Un grand projet transformateur

Le secteur a besoin de matières premières et de compétences pour émerger.

Il y a quelques semaines, le président Andry Rajoelina a fait part d’une initiative pour stimuler l’artisanat et le tourisme à Madagascar. Il s’agit de l’implantation d’un projet urbain d’envergure qui inclut un grand village artisanal à proximité de l’aéroport international d’Ivato. L’objectif est de mieux mettre en valeur les créations locales et de répondre aux besoins des artisans et des acheteurs.

Avant cette annonce, le chef de l’État avait déjà souligné l’importance de l’artisanat comme levier pour améliorer les conditions de vie des Malgaches et renforcer le rayonnement du pays à l’international. Lors de l’inauguration de la 1re édition de la foire internationale de l’artisanat, au mois de juin dernier, le président Rajoelina a déclaré que les Malgaches excellent dans l’artisanat et que le secteur mérite amplement d’être développé et structuré.

Aussi, les autorités comptent-elles en finir avec les initiatives éphémères pour privilégier les investissements plus durables. Selon les informations disponibles, le nouveau village artisanal sera ouvert quotidiennement et abritera les artisans produisant des œuvres de qualité. Le projet est aussi appelé à solutionner certaines difficultés rencontrées par les clients internationaux. Ainsi, il est prévu par exemple que pour simplifier les démarches des acheteurs, des représentants des ministères des Mines et du Tourisme seront présents au sein du village artisanal pour délivrer directement les autorisations nécessaires.

« Il est indispensable de rendre l’artisanat plus accessible, tout en créant des opportunités pour les artisans de se connecter directement avec les acheteurs locaux et internationaux. Nous orientons notre travail sur la base du constat fait par le président de la République selon lequel le développement du tourisme et de l’artisanat doit être une priorité nationale », a confié pour sa part un cadre de l’Economic Development Board of Madagascar (EDBM). 

On sait en outre que ce projet de création d’un grand village touristique et artisanal aux portes d’entrée de Madagascar devrait être achevé au plus tard au mois d’août 2025. Il sera nettement plus grand que Miami Toamasina et s’inscrit dans le cadre du projet Lac Iarivo qui comprendra aussi un centre de conférence, un centre d’exposition, des espaces de loisirs, des établissements hôteliers, une piste cyclable, une aire de pique-nique, un food courts, des box commerciaux, un cinéma en plein air et un grand espace vert. 

VERBATIM

Sylvie Rasolofonjanahary,  présidente de la Fédération des Chambres des Métiers et de l’Artisanat de Madagascar 

« Nous avons pour objectif de disposer d’une fédération dynamique qui réunit toutes les Chambres des Métiers et de l’Artisanat (CMA) dans tout Madagascar pour que l’on puisse avancer et progresser ensemble et surtout pour le développement du secteur de l’artisanat. De nombreux artisans ont encore du mal à trouver la main-d’œuvre qualifiée dont ils ont besoin mais la fédération se mobilise pour trouver des financements et des appuis afin de soutenir chaque Chambre ».

Tefy Ranaivo, fondateur de Mahafaly Création et président de la CMA Analamanga

« Cette année, nous prévoyons d’organiser un team building et une grande rencontre avec les partenaires financiers et techniques pour renforcer la collaboration et stimuler l’investissement dans le domaine de l’artisanat. Nous misons aussi sur des projets concrets comme le programme Hetsika Maroloko Tsena, qui a rassemblé plusieurs associations artisanales en novembre et décembre 2024. L’avenir de Madagascar repose sur l’exploitation durable de ses ressources naturelles et sur la transmission des savoirs aux générations futures ». 

L’ARTISANAT EN CHIFFRES


L'Express de Madagascar

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