RESSOURCES HALIEUTIQUES - Les perspectives s’annoncent bonnes pour la filière crevette

Madagascar s’active pour améliorer la gouvernance de la filière crevette.

Selon les analystes spécialistes du secteur des ressources halieutiques, la filière crevette malgache, l’une des principales pourvoyeuses de recettes en devises pour le pays, est en train de se relever après des années d’incertitude, même s’il est encore difficile de se projeter sur le long terme.

Plus de 32 000 tonnes de produits de pêche et aquacoles ont été exportées par la Grande Île en 2023. La tendance est à la hausse, comparée à l’année précédente. La production a généré une valeur Free on Board (FOB) de 124 milliards d’ariary. Le pays exporte en grande partie des conserves de thon et des thons non transformés, avec une quantité de près de 15 000 tonnes. Viennent ensuite les crevettes d’élevage, avec une quantité avoisinant les 4 000 tonnes. On sait en outre que Madagascar exporte chaque année entre 3 000 et 4 000 tonnes de crevettes issues de la pêche.

D’après les données du ministère de la Pêche et de l’Économie bleue (MPEB), les recettes de la filière crevette ont atteint plus de 7 milliards d’ariary en l’espace d’un trimestre pour la campagne de 2024. Les recettes perçues des navires ayant obtenu leurs licences pour cette campagne s’élèvent à 7,455 milliards d’ariary. Les redevances par navire totalisent plus de 6 milliards d’ariary, tandis que celles liées à l’exportation atteignent 1,4 milliard d’ariary. On sait en outre que 90 % des crevettes malgaches sont destinées à l’exportation. Bien que les performances actuelles soient bien en deçà des 8 000 tonnes produites en 2013, année où l’exportation avait rapporté 178 milliards d’ariary, les spécialistes de la filière soutiennent que les perspectives s’améliorent.

À noter que les crevettes de Madagascar vivent principalement le long des côtes ouest et nord de l’île. Les adultes pondent en mer, mais les jeunes se réfugient près des côtes, dans les mangroves, où elles grandissent à l’abri des racines. Cette exploitation, autrefois non réglementée, a connu un déclin progressif jusqu’à ce que des mesures de protection et de développement durable soient mises en place. Les produits écoulés sur le marché international sont en bonne partie certifiés bio ou Label Rouge. Madagascar représente aujourd’hui 12,5 % des exportations africaines de crevettes.

Pour préserver cette ressource et améliorer les recettes, des réglementations strictes ont été imposées. Les zones de pêche sont désormais mieux délimitées, des périodes de fermeture protègent les femelles pendant la ponte et les tailles des mailles des filets sont conçues pour laisser échapper les crevettes trop petites et trop jeunes. Par ailleurs, la réduction du nombre de moteurs diesel sur les navires a permis de limiter les émissions de CO2. De plus, l’aquaculture s’est développée significativement pour diminuer la capture d’animaux sauvages. « Ces mesures visent à garantir la durabilité de la pêche et à préserver l’ensemble du milieu marin », a-t-on expliqué.

Du côté du ministère de tutelle, on soutient que la filière crevette de Madagascar montre des signes encourageants de reprise, avec des recettes en hausse. « Ces résultats prometteurs sont le fruit des initiatives concertées pour une pêche durable et une gestion transparente des ressources halieutiques», a-t-on ajouté. Toutefois, il est encore trop tôt pour se prononcer sur les perspectives à long terme de cette filière essentielle pour l’économie malgache. Mais avec la poursuite des efforts de préservation et de développement durable, la crevette de Madagascar pourrait bien retrouver son statut de véritable trésor de l’océan.

Grande pourvoyeuse de devises

À savoir que la Grande Île exporte des produits de la pêche et aquacoles vers trente-sept pays partenaires. Entre 60 et 70 % de ces produits sont expédiés en Europe. Les autres pays qui achètent les produits halieutiques malgaches sont les États-Unis, le Canada, l’Argentine, le Brésil, le Maroc, l’Inde, le Kenya, le Ghana, la Turquie, Taïwan, la Malaisie et l’Australie. La demande chinoise de produits halieutiques provenant de Madagascar a aussi augmenté. Et les entreprises opérant dans la filière crevettière indiquent que la prospection de nouveaux marchés dans d’autres pays, tels que l’Arabie Saoudite, est envisagée.

Malgré une évolution en dents de scie, la filière crevette demeure l’une des principales pourvoyeuses de recettes en devises. Elle a permis de rapporter 249,2 milliards d’ariary (54,2 millions $) rien qu’entre janvier et juin 2024. Selon les données compilées par la Banque centrale, les expéditions de crevettes ont généré plus de 124 milliards d’ariary (26,9 millions $) en 2023. Pour les autorités, même si la filière crevette a connu une baisse en volume de 32,2 % de ses expéditions et une contraction en valeur de 35,1 % sur la période, les prochaines campagnes s’annoncent bien meilleures.

Rappelons également que le Groupement des aquaculteurs et pêcheurs de crevettes de Madagascar (GAPCM) avait dénoncé des défaillances dans la gouvernance de cette filière au début de la décennie. Pillage organisé ou encore 

« pirates invités » sont des fléaux assimilés à des protocoles de pêches privées opaques soulevés par ce groupement. Les pertes liées à ces défaillances étaient estimées à 80 millions de dollars annuellement. Le problème de paiement du budget de l’Autorité sanitaire halieutique (ASH), qui se charge du contrôle des produits exportés par la Grande Île, avait également pénalisé leurs activités d’exportation. Depuis, différentes mesures ont été prises pour assainir la filière.

Les efforts se sont intensifiés pour améliorer la gouvernance de la filière pêche et aquaculture et assurer une exploitation plus responsable des ressources halieutiques. Des initiatives commencent à produire des résultats tangibles, selon les responsables. Avec 5 603 km de côtes, 

1 144 000 km² de Zone Économique Exclusive, 155 000 ha de lacs, quarante fleuves et rivières avec une longueur totale de plus de 9 000 km, Madagascar dispose d’importants potentiels en ressources halieutiques. Source de revenu pour plus de 1,5 million de Malgaches, le secteur de la pêche pèse à lui seul près de 7 % du PIB national et représente chaque année entre 6 et 7 % des exportations. 

La filière crevette fait face chaque année à des pratiques illégales.

Confrontée à des menaces

Mais le secteur des ressources halieutiques, et en particulier la filière crevette, est toujours confronté à des menaces telles que la surpêche, la recrudescence de mauvaises pratiques de pêche ou encore la destruction généralisée de l’habitat marin. Ces dernières années, les prises ont effectivement diminué dans les régions côtières de Madagascar, notamment en raison de la surpêche et de pratiques de pêche nocives pour l’environnement. On estime que la moitié de la production totale du secteur de la pêche provient de prises illégales. On note également que seule une pirogue sur cinq est immatriculée auprès des autorités. Les prises ne sont généralement pas déclarées, les évaluations des stocks sont rares et les données économiques limitées.

Pour Julien Million, spécialiste de la filière, les stocks sont exploités au-delà des limites biologiques, sociales et économiques optimales et s’amenuisent à chaque saison de pêche. La Banque mondiale indique pour sa part que le rôle primordial que joue la filière des ressources halieutiques dans l’économie, avec une production annuelle de 750 millions de dollars, impose la mise en œuvre d’un programme ambitieux de protection des ressources mais aussi des communautés.

De son côté, le MPEB soutient que les autorités sont bien conscientes des enjeux liés au développement de la filière. Le ministre Paubert Mahatante explique que la feuille de route étatique dans ce domaine s’attache notamment à assurer le juste équilibre entre pêche économique et pêche responsable, de manière à intégrer adéquatement le rôle de l’humain dans son environnement. Et le membre du gouvernement invite le public à consulter le bilan de son ministère pour apprécier les avancées enregistrées ces dernières années. Il rappelle aussi la décision de Madagascar d’intégrer le FiTi (Fisheries Transparency Initiative) avec pour objectif d’assurer une meilleure transparence de la gestion du secteur.

En tout cas, toutes les parties prenantes s’accordent à dire qu’une bonne gouvernance de la filière constitue la meilleure garantie pour produire les résultats escomptés. Pour la petite pêche, le pays dispose maintenant d’un plan d’action national. À noter que le pays compte aussi accroître significativement sa production halieutique à travers la promotion de l’aquaculture. Le défi est non seulement de contribuer à la création de la valeur ajoutée nationale, mais aussi d’améliorer significativement la consommation nationale en produits halieutiques, passant de 4 kg par habitant et par an à 11 kg par habitant et par an.

Les crevettes destinées à l’exportation suivent des normes de qualité rigoureuses.

GAPCM

Promoteur infatigable des crevettes

Créé il y a 28 ans, le Groupement des aquaculteurs et pêcheurs de crevettes de Madagascar (GAPCM) rassemble sans exception tous les acteurs de ce secteur opérant dans la Grande Île. Ses objectifs sont de structurer la filière, promouvoir la crevette malgache à l’extérieur, imposer et maintenir l’image d’une exploitation responsable pour rester durable.

Pour cela, le GAPCM a lancé le 6 avril 2017 la marque collective « Crevettes de Madagascar ». Depuis plus de cinquante ans, en effet, le crustacé est reconnu comme l’une des meilleures crevettes au monde, bien qu’il ne représente qu’une faible part du marché à l’international. Au cours de la dernière décennie, près de 

100 000 tonnes de crevettes ont été commercialisées. « Avec seulement 1 % du marché mondial, le produit a su se distinguer à de multiples reprises lors de nombreux concours. Qualitativement, la crevette malgache se place au premier rang en Europe », souligne le groupement.

Et tout au long de ces années, aucun incident majeur mettant en cause la qualité sanitaire du produit n’a été relevé sur les multiples marchés d’exportation. Aussi, le groupement a jugé opportun de mieux identifier cette crevette pour éviter toute appropriation non reconnue. Concrètement, avec ce label, les producteurs et pêcheurs de crevettes veulent garantir l’origine du produit, le respect des normes de qualité rigoureuses ainsi que la co-responsabilité des opérateurs dans les modes opératoires de leur industrie. Cette initiative du groupement a permis de toucher entre trois et cinq millions de consommateurs internationaux et d’autres actions ont été menées pour mieux positionner la crevette malgache sur les marchés extérieurs.

Selon le GAPCM, la filière crevette demeure porteuse et représente la plus grande part des exportations de Madagascar, avec plus de 50 % de la valeur totale de ses ressources halieutiques, ce qui vaut la reconnaissance mondiale de l’excellence de nos produits. Mais avec 

6 000 à 8 000 tonnes annuelles de crevettes exportées, la production de la Grande Île ne représente même pas 1 % de la production mondiale. Raison pour laquelle le pays vise la niche du haut de gamme.

L’Europe importe 400 000 tonnes de crevettes tropicales d’élevage par an et constitue le principal consommateur des crevettes de Madagascar. Et les données du GAPCM indiquent que les trois principaux pays consommateurs des crevettes malgaches sont la France, la Chine et l’Espagne.

VERBATIM

Mahatante Tsimanaoraty Paubert, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue (MPEB)

« Pour Madagascar, la valeur des actifs océaniques est estimée à 18,6 milliards de dollars. Notre pays est riche, mais notre principal défi repose sur la manière de gérer durablement ces ressources naturelles. Concernant la pêche crevettière, les exportations s’élevaient à 91 milliards d’ariary en 2023, correspondant à environ 2 800 tonnes de crevettes exportées. Pourtant, la pêche crevettière se retrouve actuellement en difficulté à cause de l’augmentation des efforts de pêche. D’où la nécessité et la pertinence des dialogues et réflexions multi-acteurs et du développement de l’aquaculture. »

Moïse Rasamoelina, secrétaire général du ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD)

« Madagascar s’est engagé à stopper et renverser le déclin de la biodiversité en adoptant le nouveau Cadre Mondial pour la Biodiversité de Kunming-Montréal. C’est très important pour assurer l’avenir de nos ressources halieutiques et en particulier notre filière crevette. Nous privilégions désormais les initiatives qui seront des moteurs de changement, directement au niveau des communautés et de la biodiversité. Il faut savoir concilier le développement économique, la biodiversité et les communautés. »

LA FILIÈRE CREVETTE EN CHIFFRES

L'Express de Madagascar

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