«Le Chroniqueur vit sa vie de cigale, individuelle et confortable, futile et superficielle. Il écrit ce qui lui chante, quand il lui chante» (Le Monde, décembre 1999). L’auteur de ces lignes, Pierre Georges, avait lui-même tenu chronique quotidienne dans Le Monde : «En dernière page et en encadré. Cette place, par dérision, ou par ce doux sentiment d’être un moinillon de presse voué quotidiennement à creuser sa tombe avec sa plume» (dans «Épilogue : le bonheur est dans la presse», à l’occasion des 70 ans du Monde, 24 septembre 2014). Une «pierre tombale», comme il se plut à l’appeler, sur les onze dernières des trente-deux années que compta sa carrière à ce «grand journal».
Alors que Pierre Georges entrait en soixantaine, je m’enfonçais, vieil adolescent, dans les caves de la Bibliothèque universitaire pour en remonter, auréolé de poussière, avec quelque trouvaille, dont de vieux numéros du Monde.
J’ai appris à écrire à la lecture des tenanciers des pages «op-ed». Contrairement aux sarcasmes du «Maître», j’ai certainement succombé à l’ivresse du mot, porté par une «pauvre vanité d’écrire à la portée du premier plumitif narcissique». Néanmoins, aujourd’hui, comme au premier jour, je prends un soin maniaque à vérifier la «musicalité» du lexique mis en syntaxe. Respect pour la langue, respect pour le lecteur.
Le site «La langue française» donne de la Chronique une définition qui me satisfait moyennement: «section périodique dans un journal traitant des évènements actuels ou des commentaires sur ces derniers». De tous les synonymes proposés, ma préférence va au mot «bavardage». Autre synonyme, le «Nouvelliste» qui serait une «personne qui manifeste un intérêt marqué pour les actualités et qui prend plaisir à les communiquer».
J’ai perdu plaisir à des actualités, que d’ailleurs j’ai renoncé à suivre, mais j’aime bien ce mot de «nouvelliste» après avoir lu ce passage de Montesquieu dans «Lettres persanes» : «Je te parlerai dans cette lettre d’une certaine nation qu’on appelle les nouvellistes, qui s’assemblent dans un jardin magnifique, où leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très inutiles à l’état, et leurs discours de cinquante ans n’ont pas un effet différent de celui qu’aurait pu produire un silence aussi long : cependant, ils se croient considérables, parce qu’ils s’entretiennent de projets magnifiques et traitent de grands intérêts».
Oisiveté toujours très occupée... Celle du chroniqueur, celle du pamphlétaire (écrivain spécialisé dans la rédaction de pamphlets, textes courts et incifis visant à critiquer ou attaquer, celle du polémiste («individu qui s’engage dans des controverses d’idées»). Ce que je crois être, tout à la fois.
Le saviez-vous ? Éditorial, «l’édito», s’appelait «premier-Paris» dans les gazettes parisiennes du 19ème siècle : article placé en tête dans un journal parisien, «oeuvre capitale de la presse parisienne où l’on déblatère contre et plaide pour, chaque jour avec la même force d’âme».
L’autre mot, «Paralipomènes», désignerait les «Choses restantes», les «Mots du jour». Finalement, ces définitions-là, par le contenu, me correspondent depuis que j’avais pu lire dans une brochure (les sites Internet n’existaient pas en ce temps-là) du CFJ (Centre de Formation des Journalistes) que le «chroniqueur a le privilège du JE», la première personne du singulier (les majuscules sont de pure vanité).
Les limites de la Chronique ? Pour reprendre l’épilogue de Pierre Georges : «Un souvenir trop personnel, donc inadmissible professionnellement, même agrémenté d’un «je» minuscule». Mais, réellement, «une chance inouïe et un privilège indécent».
Nasolo-Valiavo Andriamihaja