« Ombiasy » et jeteur de sort dans la société malgache

Un sorcier-guérisseur, bardé de ses médicaments, danse avant de travailler.

La croyance au  mpamosavy, jeteur de sorts, a occupé une grande place dans la vie sociale malgache, avec encore des survivances à l’heure actuelle. Il faut, cependant, le distinguer de l’ « ombiasy », même si les deux termes sont traduits indifféremment par « sorcier ». 

« Le mpamosavy est un être malfaisant, caché et redoutable, alors qu’au contraire, l’ ombiasy est un bienfaiteur public et vénéré » (Hubert Deschamps). Ce dernier représente la science parce qu’il est à la fois devin, médecin, astrologue, mage, interprète des dieux, homme de bon conseil, météorolo-giste…, le tout moyennant une rétribution assez honnête, en espèces et en nature. Pourtant, il lui arrive aussi de livrer au mpamosavy des moyens de jeter des sorts, mauvais s’entend..

La croyance dépeint ce dernier comme un personnage (homme ou femme) « sinistre, effroyable, une créature de l’ombre qui traîne la mort et le malheur dans son sillage ». Initié dans un cercle ésotérique par des maîtres d’un âge certain, « il s’en va la nuit dans les villages, dit-on, rôdant autour des cases, guettant la porte et pleurant pour attirer les calamités ». 

En général tout nu et frotté d’huile, il s’introduit dans les masures et les cases, ensorcelle les dormeurs « en leur tirant la langue ». S’il survient tout autre évènement funeste, il se réjouit en faisant du bruit. La croyance veut aussi qu’il se transforme en hibou ou s’accompagne de cet oiseau dans ses déplacements. Ou qu’il indique aux crocodiles les gens ou le bétail qu’ils devront emporter. « Il y a même, au passage du fleuve Mananara, à Vangaindrano, un vieux crocodile qui passe pour être la­ femme d’un pamosavi » (1934).

Cependant, le jeteur de sorts recourt le plus souvent à des procédés moins fantastiques, mais autant pernicieux. H. Deschamps parle d’amulettes maléfiques en pays antesaka, notamment des mohara, « cornes de bœufs ornées de perles géométriquement disposées, où sont mélangés des ingrédients divers à base de poudre de bois, de miel, de piment… » Le mpamosavy  utilise aussi les ossements humains, les os des chiens, les œufs pourris, les serpents morts…

Suivant la formule du mélange, on obtient diverses espèces de « mohara » dont l’action varie, mais qui sont toutes mortelles. Le « voro-toka » est foudroyant ; le « tsitra-maso » fait mourir en un clin d’œil ; l’ « iakalo-tola » fait tomber à terre, raide comme un pilon à riz ; le «fataka milefitri » plie l’homme en deux pour le faire mourir ; le « tapak’andro » provoque la mort en une demi-journée ; et même l’ « itomabilo » (automobile) tue en faisant ronfler la poitrine comme un moteur. « La science des pamosavi, comme on le voit, n’est pas insensible au progrès. »

L’usage veut que l’on ne jette des sorts qu’occasionnel-lement pour se venger d’un ennemi. En réalité, bien des gens prennent goût à leur œuvre de malfaisance et tout y est prétexte, même de simples querelles de famille. Ainsi, à la longue, il devient comme un halluciné enivré de sa puissance, acharné à poursuivre de sa jalousie les gens heureux, les riches… 

Plus tard, la plupart des gens s’interrogent sur ce pouvoir. Il ne peut en tout cas être nul car certaines des poudres que le mpamosavy  utilise, sont de véritables poisons. Et l’on croit qu’il détient un pouvoir sans limite, presque surnaturel. « Les maladies inopinées sont toujours attribuées à un sort maléfique. Les pamosavi sont tous des meurtriers en puissance… » Et pour s’en protéger, la société s’organise contre eux de la manière la plus rigoureuse.

En pays antesaka, deux méthodes sont appliquées. La préventive est celle du serment. Par celui-ci, les chefs de clans d’un même territoire se réunissent autour d’une calebasse pleine d’eau mêlée à du jonc, gouttes de sang bovin, pincée de terre… pour invoquer les dieux et les ancêtres et jurer de dénoncer les « mpamosavy », soient-ils des parents proches. Chacun boit ensuite quelques gouttes de cette préparation et, s’il manque à son serment, c’est la mort pour lui et le malheur sur son clan.

La méthode répressive consiste à arrêter le présumé jeteur de sorts. L’inculpé est complètement dévêtu, frotté de « lengomatsy » (plante puante) et à le conduire au « kibory » (tombeau du clan) pour y subir les épreuves. On ouvre ensuite le tombeau, un bœuf est amené dont l’accusé doit tenir la queue. Si le bœuf se retourne, s’il frappe l’homme de sa queue, si un milan, un hibou ou un serpent vient à passer, la culpabilité est établie. 

 Mais l’homme n’est pas au bout de ses peines car alors intervient la deuxième, la plus terrible, le « homa-vokaka » (manger de la chair de cadavre). Dans tous les cas, elle s’applique toujours à titre complémentaire à la première épreuve si elle innocente le présumé  mpamosavy, ou à titre de châtiment préliminaire si elle l’a reconnu coupable. Heureusement ces peines sont abandonnées.

Pela Ravalitera

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