Certains verdicts ont une autorité qui parvient à s’imposer au monde. C’est le cas de ce qui peut sortir des universités dont la simple évocation inspire le respect. Récemment, l’une d’elles, Oxford, a décrété que l’expression de l’année 2024 était «Brain rot», pourrissement cérébral. Un choix qui est une évidence quand on assiste à une amplification du phénomène en question. Le monde est, actuellement, pris dans un contexte sans précédent, avec des faits inédits, de nouveaux ferments d’un déclin cognitif comme la surconsommation des écrans, la chute exponentielle du niveau du contenu de ce que le cerveau consomme ou la mainmise du stress.
En monopolisant l’espace cérébral, actuellement à la merci de la force magnétique, incoercible, des notifications, d’autres interruptions numériques ou du contenu des fils d’actualité, ce que les avancées technologiques peuvent offrir comme distraction a éloigné l’attention des individus de l’un des piliers de la grandeur des matières grises humaines qui éprouvent des difficultés à s’adonner à la concentration dans un univers scolaire ou universitaire. Un mal qui impacte aussi les tâches les plus élémentaires de la vie quotidienne. Des journées, qui se résument à une exposition permanente à des publications, vidéos, dépourvues de qualité éducative, ont censuré des informations primordiales, bannies des cerveaux dont beaucoup souffrent d’une inculture abyssale.
La mythologie nous a laissé l’histoire de Narcisse dont l’amour pour sa propre image est ce qui a enclenché sa perte. Mais ne le fait-on pas vivre dans notre réalité en le laissant s’incarner, à profusion, quand on permet le triomphe de cette aliénation contemporaine, celle de la victoire de l’auto-obsession, du souci du paraître qui a grandement gagné en ampleur grâce aux nouveaux canaux technologiques et numériques où s’épanouissent les selfies et qui, comme dans la vie de Narcisse qui ne voyait plus que lui, a fait perdre de vue la réflexion et d’autres facultés qui ont propulsé homo sapiens et son intelligence sur le trône du monde? Ce cerveau subit en permanence l’attaque de chants de sirène d’une force de séduction nouvelle mais qui ne possède pas de véritable qualité intrinsèque.
Oxford a cité la philosophe Henry David Thoreau qui a déjà écrit «Alors que l’Angleterre s’efforce de guérir la pourriture de la pomme de terre, personne ne s’efforcera-t-il de guérir la pourriture cérébrale, qui sévit bien plus largement et de manière bien plus fatale ? » Cette interrogation qui remonte à 1854 indique que le sujet a déjà eu sa place dans les préoccupations des penseurs. Mais le passage du temps semble avoir donné une boîte de Pandore qui a accompagné le développement numérique et dont l’ouverture a occasionné l’incursion de nouvelles formes incontrôlables et puissantes de ces contenus aux qualités (ou plutôt défauts) tant redoutées.
Fenitra Ratefiarivony