René Rasata-Rainiketamanga (1936-2024)

“Je suis programmé pour servir ce pays”, avait-il boutade de dire. Même s’il allait être éternellement en réserve de la République. Le malentendu avec son contemporain Didier Ratsiraka, de Directeur Général d’Air Madagascar à Président de la République, presque cabotinage qu’il aimait raconter, en restera l’épisode caractéristique, d’une époque et d’un caractère, le sien, qui allait l’écarter du cercle des décideurs qui pourtant, comme lui, passèrent par le Collège Saint-Michel.

René Rasata-Rainiketamanga et sa blanche chevelure de pygargue altier semblait regarder le monde de haut. “Arbitre des élégances” comme dit de lui un vieil ami en commun, Guy Rajaonson. Procureur également des “mésélégances” suprêmes qui bafouent nos valeurs et attentent à ces principes auxquels on continuera de tenir longtemps après son départ. 

Il me toisait d’ailleurs gentiment quand je fis sa connaissance autour d’un des déjeuners de la rédaction de la “Lettre Mensuelle de Jureco”. Assurément qu’il s’amusait de la fougue caricaturale de ce qui était encore ma jeunesse même si son verdict, qui n’allait plus changer au long des trois décennies suivantes, tomba rapidement : “Tu es déjà vieux avant l’âge”. 

Une amitié singulière m’a toujours connecté aux pères de ceux dont j’avais l’âge. Oncles qui m’accordèrent le droit d’être leur interlocuteur à discuter de généalogie. Grands aînés, parfois plus vieux que mon propre père, dont je ne savais pas encore qu’ils devenaient doucement mes mentors. 

René Rasata-Rainiketamanga m’en fut un, assurément. Il fallait l’être pour me convaincre de revenir me mettre au service de la campagne électorale du futur Maire d’Antananarivo Marc Ravalomanana, en 1999. Rasata affectionnait dûment me convoquer à Ambohipanja pour une de ses innombrables sessions de presque monologue dont j’étais censé tenir la minute, pour la postérité. Je n’en fis évidemment rien. Perdues entre le sage allergique à l’écriture et le scribe blasé et passablement paresseux, que de paroles envolées qui resteront sans mémoire. 

Je souhaite à la jeunesse de tous les pays, moins de s’unir que de rencontrer leur “Rasata”, disponible pour une conversation mémorable, de longues heures durant, assis à contempler le lac du parc Montsouris. 

Chose devenue rare, et qui ira sans doute toujours se raréfier, Rasata associait une vaste expérience des choses avec une boulimie de lectures (dont témoigne sa riche bibliothèque) et de recherches documentaires (sa collection de films est digne d’un petit cinéma). On lui reconnaissait la légitimité intellectuelle d’une pensée structurée, d’une opinion souveraine et d’une parole libre. 

Apanage de ceux qui ne demandent rien et doivent encore moins à quiconque. Posture éminemment sympathique qui pourrait faire plus d’adeptes. Si Rasata eut des disciples, combien compte-t-il d’héritiers ?

Voilà bientôt dix ans, en notre cher Collège Saint-Michel, lors de l’Université d’été inaugurale du Grand Cercle du CEDS, Rasata devait plancher sur «Firenena no Vanona, Fitaizana no tsara» ou comment éduquer pour édifier une Nation. Intitulé sur mesures pour celui qui revendiquait enseigner sans relâche depuis son retour au pays, en 1973. 

Savons-nous seulement où nous voulons aller, ironisait-il, car on peut foncer à toute vitesse autour du stade de Mahamasina, à bord d’une Ferrari mais on n’ira pas plus loin que Mahamasina. Tandis que, même en rampant, on peut espérer arriver à Arivonimamo. 

Il faut former des gens qui savent où ils désirent se rendre, et l’éducation doit les préparer à s’autonomiser avec la capacité à discuter le pourquoi plutôt que d’être simple exécutant du comment.

Disons-lui adieu sur cette sagesse ultime: le développement de la femme et de la mère est fondamental au développement d’un pays, ne serait-ce que par la place de la langue maternelle, dont les mots apprennent à l’enfant le nom de toutes les choses. 

Mandria am-piadanana, Rasata, Maître, Sensei. 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

1 Commentaires

  1. C'est un Homme de valeur sûre qui s'éteint.
    La classe, l'humanisme, la dignité le plaçait toujours en altitude en toute humilité.

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