Ténèbres techniques

Le drame, bien réel pourtant, semble vouloir évoquer les récits, les films et romans qui ont imaginé l’avènement d’une ère de crise où la technique a abandonné l’homme à son propre sort. On serait tenté de voir cette période de disette où l’électricité et l’eau se font désirer, comme celle des scénarios imaginés par des écrivains et scénaristes qui ont su écrire cette possibilité d’une régression technique.

Ces fruits de l’imagination créatrice de l’homo faber semblent se matérialiser dans ce que vit le Tananarivien “normal”, plongé dans les ténèbres des délestages et dans la privation de ce que Thalès identifiait comme étant la “vie” : l’eau. Une conception qui résonne avec une grande intensité maintenant que l’on est plus que conscient des besoins fondamentaux, quotidiens, non assouvis quand l’eau est la grande absente de nos journées.

Pour Milan Kundera, le roman permet de montrer les différentes possibilités que peut emprunter l’homme. Et aujourd’hui, l’une d’elles, évoquée notamment par Cormac McCarthy dans La Route (2006), par Stephen King dans Le Fléau (1978), se matérialise à Antananarivo où l’eau courante et l’électricité traversent une phase aiguë de pénurie. Une situation frustrante pour les individus et familles qui ont toujours vécu dans l’illusion d’une maîtrise de la nature et des énergies qu’on peut exploiter pour notre intérêt.

Lorsque Prométhée a offert la technique aux hommes, selon le célèbre mythe qu’exploitera Platon, ceux-ci ont commencé leur aventure mégalomaniaque pour imposer leur domination sur le monde. C’est alors que, quand les apports de ce précieux don se perdent, comme maintenant où les techniques hydrauliques et électriques glissent sur la pente du déclin, on est comme interpellés par notre faiblesse originelle.

Et quand la technique vit des instants de détresse comme maintenant où elle trouve réduite sa capacité à fournir l’eau et l’électricité, on éprouve cette sensation de nudité que le feu de la technique a occultée quand, toujours selon le mythe grec, l’acquisition de ce savoir-faire a offert à l’humanité, biologiquement inférieure par rapport aux autres animaux qui ont été gâtés en dons (la majesté du lion, les plumes des oiseaux, la vitesse du guépard, ...), et l’a hissée au sommet de la chaîne alimentaire.

Et c’est ainsi que vivre en ville est semblable à un combat quotidien, un défi titanesque dans lequel nous sommes désarmés car privés des forces essentielles que peuvent nous donner les exploits techniques. Nous priver d’électricité et d’eau courante, c’est toucher à des besoins vitaux, c’est meurtrir tout notre être.

Fenitra Ratefiarivony

Enregistrer un commentaire

Plus récente Plus ancienne