Célébration de la Journée Mondiale du bambou, le 18 septembre 2024. |
La Grande île possède l’une des plus grandes diversités de bambous au monde, avec onze genres et près de quarante espèces, dont trente-cinq endémiques. Depuis de nombreuses années, les spécialistes soutiennent que les bambous peuvent fournir des avantages économiques, sociaux et écologiques conséquents au pays. Mais la filière a besoin d’être exploitée avec plus d’ambition et d’efficience.
Depuis 2009, le 18 septembre est célébré comme la Journée Mondiale du Bambou, une initiative lancée par l’Organisation internationale du bambou et du rotin (INBAR) pour promouvoir le développement durable à travers l’exploitation responsable de cette ressource. Madagascar a honoré cette journée cette année par une célébration de trois jours, culminant avec une cérémonie officielle présidée par le ministre de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), Max Andonirina Fontaine. L’événement a été marqué par des expositions et des ateliers de sensibilisation organisés par le ministère et ses partenaires. Ces activités ont permis de mettre en lumière l’importance du bambou, non seulement en tant qu’élément clé pour la préservation des écosystèmes, mais aussi comme moteur de développement économique pour les communautés locales. Une remise de certificats a honoré les étudiants du Centre de Formation d’Angavokely et les associations ayant suivi une formation sur l’exploitation durable du bambou.
En tout cas, les échanges qui ont découlé de cet événement ont permis de démontrer que la filière bambou à Madagascar dispose d’un potentiel de développement important. D’autant plus que les partenaires techniques et financiers estiment que le bambou doit désormais être considéré comme le nouvel allié de la reforestation à Madagascar. Rappelons que les bambous occupent depuis de nombreuses années une place importante dans la vie de nombreux ménages, tant ruraux qu’urbains, à Madagascar. Ils sont distribués essentiellement le long des massifs centraux de l’île et dans la forêt humide de l’Est.
À partir d’un travail bibliographique, d’entretiens sur le terrain et de travaux de laboratoire, une étude a établi un diagnostic de la filière bambou, notamment dans les zones orientales de Madagascar. Cette étude a permis de formuler des options stratégiques pour la filière, dont l’appui d’un organisme spécialisé (INBAR), les conditions d’extension favorables et la motivation des acteurs qui permettent de présager un fort développement de cette filière dans le futur. Comme contraintes, on peut noter la défaillance des mesures réglementaires, les techniques de transformation archaïques et la faible récupération des sous-produits.
Une filière qui boostera plusieurs secteurs
Du secteur de l’énergie propre et durable à celui de la construction, en passant par l’industrie, nombre d’activités économiques peuvent miser sur la filière bambou. En effet, cette ressource peut se substituer aux bois de forêt naturelle. Grâce à sa croissance rapide, les tiges de bambou peuvent être exploitées à partir de la troisième année, alors qu’il faut attendre au minimum 20 ans, voire plus de 80 ans, pour les bois de forêt naturelle. Du point de vue technologique, les études des propriétés technologiques du bambou dans d’autres pays ont montré que certaines espèces ont des propriétés physiques et mécaniques meilleures que le bois, et que la fibre de bambou se trouve parmi les plus performantes, avec les fibres de carbone et de verre.
Mais pour l’instant, l’utilisation des bambous dans la Grande Île est encore dominée par des pratiques traditionnelles. Par exemple, en ameublement, les artisans utilisent les chaumes tels quels sous forme de cylindres assemblés à l’aide de colles vinyliques, de liens ou de clous. Les produits nécessitant des transformations mécanisées, comme les meubles à base de lamellés-collés en bambou, les contreplaqués renforcés par du bambou ou les panneaux de particules à base de fibres de bambou, bien connus en Asie et dans les pays développés, ne sont encore que très peu développés à Madagascar.
Les matériels utilisés sont encore artisanaux et manuels. Le caractère rudimentaire des techniques de transformation a des conséquences sur la qualité du produit et sur le rendement. Ainsi, la construction d’une maison en bambou d’une surface de 20 m² nécessite au moins deux semaines de travail pour deux personnes. Une entreprise industrielle de transformation des bambous a été créée il y a quelques années : Madagascar Bamboo. Cette dernière s’est spécialisée dans la fabrication de composites à base de bambou, tels que les parquets en bambou fusionnés, les lames de parquet, les traverses brutes ou les planches. Mais l’entreprise a connu des difficultés, notamment financières, et a dû arrêter ses activités en 2012. Quelques structures ont aussi vu le jour, à l’instar de Bamboo Tech Madagascar.
Il est donc primordial pour le pays d’offrir des conditions plus favorables au développement des activités privées dans la filière bambou. C’est d’ailleurs pour donner un avenir plus ambitieux à cette filière que Madagascar a adhéré à l’Organisation Internationale sur le Bambou et le Rotin, il y a déjà 20 ans. Depuis, des séries d’études ont été menées pour identifier les pistes de développement de la filière. Selon Njaka Rajaonarison, ancien coordonnateur national de l’INBAR, le bambou demeure une solution à mieux valoriser. « L’heure est à la mobilisation des parties prenantes, en vue de mieux valoriser cette filière et son énorme potentiel. Cela passe désormais par des actions concrètes, après l’élaboration de la politique nationale de la filière bambou en 2018 », a-t-il également soutenu.
Selon toujours les spécialistes, les graminées sont appelées à être mieux exploitées, notamment dans les domaines de la papeterie, du textile, de l’agroalimentaire ou encore dans le secteur de l’énergie. « Pour développer cette filière porteuse, la gestion durable des ressources en bambou à l’état naturel et en plantation, l’application des normes techniques des activités en amont et en aval, ainsi que la création d’un environnement financier et d’un cadre légal et juridique incitatifs s’imposent », notent aussi ces derniers.
À savoir en outre qu’à part une exploitation industrielle timide et les rares exploitants qui détiennent des autorisations légales, la majorité des productions s’effectue de manière illégale dans la filière bambou. Selon les opérateurs, il fut un temps où l’administration forestière avait même cessé de délivrer des conventions de collecte ces dernières années. Cette défaillance des mesures s’est répercutée sur les ressources, dans la mesure où l’inexistence d’autorisations officielles a favorisé l’apparition de productions illicites. Les acteurs de la filière souhaitent pouvoir exploiter de manière légale, mais sont souvent démotivés par la lourdeur et la lenteur administratives.
« La conjoncture réglementaire actuelle n’est pas encore prête à la promotion d’activités de grande envergure pour l’amélioration de la filière », a-t-on expliqué.
Les produits en bambou sont appelés à monter en qualité. |
Des avancées encourageantes
On constate également que les mesures de taxation ne sont pas uniformes, particulièrement dans les deux principales régions productrices, l’Analanjirofo et l’Atsinanana. D’après les enquêtes effectuées, pour l’exploitation de l’espèce Valiha diffusa, l’exploitant doit verser 60 ariary par pièce de bambou coupée à l’administration forestière. Dans la région d’Atsinanana, la commune rurale prélève 10 ariary par unité, tandis que, dans la région d’Analanjirofo, la commune rurale ne prélève pas de ristourne sur les collectes de bambou. Par ailleurs, il n’est pas clairement défini sur quelle base les montants des taxes sont fixés et répartis aux différents niveaux.
Ces analyses montrent que les contraintes au développement de la filière bambou à Madagascar proviennent de deux sources : les lacunes dans les connaissances des propriétés technologiques des chaumes de bambou et les défaillances concernant les mesures réglementaires de gestion. Mais quelques avancées ont aussi été enregistrées pour dynamiser et mieux organiser la filière. Par exemple, des contrats de production ont été établis avec des associations de pépiniéristes professionnels. Ces derniers ont bénéficié d’appuis techniques sur la multiplication du bambou. Des centaines de milliers de jeunes plants ont été mis en terre, privilégiant les espèces qui conviennent pour un usage industriel. En outre, plusieurs artisans professionnels et formateurs issus de plusieurs localités de l’île ont pu bénéficier de formations dispensées par des spécialistes en technologie de fabrication de meubles et de maisons venant de l’Inde et de l’Éthiopie.
Pour les acteurs de la filière, ces avancées encourageantes doivent être consolidées. Ces différentes initiatives constituent en effet un atout favorable au développement des activités liées à l’exploitation du bambou. En effet, pour pouvoir satisfaire les besoins des clients potentiels, notamment des marchés internationaux, la performance tant sur le plan de la quantité que de la qualité des produits doit être assurée. Dans ce sens, la connaissance des propriétés technologiques des bambous pourrait contribuer à une meilleure promotion de la filière bambou par l’INBAR.
Pour l’instant, la production artisanale ne fait vivre qu’environ cinq cents ménages de la ville de Toamasina et près de deux cents acteurs dans les localités rurales. En zone urbaine, les bénéficiaires sont constitués par les employés directs engagés par les quelques unités de transformation, les transporteurs et les marchands de produits transformés. En zone rurale, les acteurs sont les propriétaires de concessions de bambous qui approvisionnent directement les transformateurs, souvent artisanaux. Viennent ensuite les collecteurs qui évacuent les produits soit au bord de la route principale, soit directement vers le centre de consommation finale. L’éloignement des zones de collecte a favorisé l’apparition d’un nouveau type d’acteur, les transporteurs vers les bords des fleuves d’embarcation. En ce qui concerne la production industrielle, le pays a encore du chemin à faire.
MATÉRIAU BOIS
Le bambou a une belle carte à jouer
Les bambous constituent une alternative au bois-énergie. |
L’analyse des atouts, contraintes, obstacles et opportunités de la filière a permis aux chercheurs d’émettre des recommandations. La richesse en bambou dans les régions concernées et les propriétés physico-mécaniques des espèces étudiées permettent d’envisager leur valorisation comme matériau bois.
L’application de nouvelles technologies de transformation, comme la fabrication de petits ustensiles en bambou par la technique du lamellé-collé, peut être exploitée à grande échelle. Ces procédés de transformation peuvent être réalisés en milieu artisanal, car ils ne nécessitent pas de lourds investissements. La multiplication des usines de transformation peut être envisagée pour la production de parquets ou de lames de terrasse. Il est également recommandé de valoriser les sous-produits de l’entreprise industrielle et des petits acteurs artisanaux pour la fabrication de briquettes combustibles, par exemple. Des réflexions sur le développement d’activités nationales susceptibles de créer des valeurs ajoutées plus conséquentes devraient être engagées.
Il est aussi recommandé d’étudier les propriétés des autres espèces de bambou poussant dans la partie orientale de l’île, de façon à proposer les essences appropriées pour chaque utilisation. Il serait également intéressant de mener une étude plus approfondie concernant la variabilité des propriétés intra-chaumes, ainsi qu’une étude de l’effet du terrain et de l’âge sur les propriétés des chaumes. Ces travaux permettront d’appuyer les études sur la sylviculture des bambous, de déterminer l’âge optimal pour l’abattage des bambous et de proposer des techniques de transformation plus performantes.
Enfin, la mise au point d’une colle naturelle pourrait permettre une valorisation sous forme de lamellés-collés ou de panneaux, de même que la mise au point localement de produits de préservation écologiques. Par ailleurs, il est nécessaire de cerner le potentiel disponible en bambous sur le territoire national et de conduire des recherches sur la multiplication des espèces.
VERBATIM
Max Andonirina Fontaine, ministre de l’Environnement et du Développement durable
« L’exploitation durable du bambou a un grand avenir dans notre pays. Par exemple, le bambou, qui constitue 80 % de l’alimentation des Hapalemur griseus dans le Parc national d’Analamazaotra à Andasibe, joue un rôle écologique crucial. En plus de ses bénéfices pour la biodiversité, il est utilisé dans la construction de maisons et la fabrication d’outils quotidiens. »
Jean Yves Razafindrakoto, président du Center Malagasy for Bamboo Resources and Technology
« Dans le monde, les demandes en bambou ne cessent de croître. Très près de nous, aux Comores, les besoins en biomasse pour alimenter la centrale thermique s’élèvent à 70 000 tonnes. En Inde, ce sont plutôt des lamelles et de la poudre de bambou que les industriels recherchent. Au Japon, les pousses de bambou sont très appréciées en cuisine. En Chine, cette matière est utilisée à toutes les sauces : meubles, alimentation, cosmétiques, énergie, etc. »
LA FILIÈRE BAMBOU EN CHIFFRES
L'Express de Madagascar