PRODUITS LAITIERS - Le marché du fromage sur une pente ascendante

Les organisateurs de la 1reFoire aux Fromages devant la presse le 12 juillet 2024.

Le fromage s’installe progressivement dans les habitudes des Malgaches des grandes villes en matière de consommation alimentaire. Certes, la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages ne permet pas une croissance spectaculaire du marché, mais les acteurs de la filière sont optimistes et les produits se diversifient.

La foire dédiée aux fromages de fabrication locale, organisée le mois dernier au jardin d’Antaninarenina, a une fois de plus démontré l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits fromagers. Cet événement constitue une première pour les acteurs du secteur, qui soulignent qu’une véritable « communauté » s’est formée à Madagascar au cours des dix dernières années. Tandis que les petits producteurs deviennent de plus en plus actifs pour se faire connaître, notamment à travers les médias sociaux, les grands producteurs s’efforcent de diversifier leurs produits tout en mettant en avant le label « vita malagasy ».

« La culture du fromage a gagné les mères de famille, mais surtout le panier de la ménagère. La nécessité d’organiser ce genre de manifestation se justifie. Il faut aussi montrer aux consommateurs qui sont les producteurs sérieux qui se soucient de leurs attentes et de leur santé », ont expliqué les organisateurs de la foire, qui ont aménagé une trentaine de stands et proposé des dégustations, des animations et des jeux divers. Si les fromages des Hautes-Terres ont été mis en avant, d’autres produits fabriqués dans les autres régions de l’île ont aussi tiré leur épingle du jeu.

D’après Serge Randriamahefasoa, fondateur de la Laiterie Maminiaina, structure basée à Antsirabe spécialisée dans la production de fromages et produits dérivés du lait (fromage à pâte pressée de type Gruyère, Saint-Paulin, beurre pasteurisé...), l’heure est venue pour les entreprises de la filière de muscler leur communication et de développer leur réseau de vente. D’entreprise individuelle à société anonyme, « après 15 ans d’efforts acharnés, de nuits blanches, de résolutions de problèmes et de prises de décisions pas faciles », la société est en train de récolter les fruits de sa persévérance, selon le fondateur de l’entreprise. Manière pour cet entrepreneur de bien souligner que la tâche n’a pas été facile pour percer.

« Bien qu’une bonne partie des fromages disponibles sur le marché malgache soit importée, les fromages locaux commencent à se faire une place de choix. Leur goût authentique et leurs prix mieux adaptés au pouvoir d’achat des populations les rendent de plus en plus populaires. Cependant, pour accéder aux marchés internationaux, les producteurs doivent se conformer aux normes de qualité requises », commente pour sa part Lina Herisoa, jeune entrepreneure qui a choisi le créneau de l’intermédiation commerciale dans le secteur des produits agroalimentaires locaux.

Du côté du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, on soutient que les autorités concernées travaillent activement à la mise en place d’infrastructures agricoles et à la formation des techniciens et éleveurs, assurant ainsi la santé des animaux et la qualité des produits laitiers. Ce département ministériel estime que le « triangle laitier », qui couvre les régions d’Analamanga, Itasy, Vakinankaratra et Bongolava, a un potentiel de croissance important, notamment sur le marché des fromages, et peut profiter de divers appuis tels que le projet Profilait, financé par l’Union européenne. Le projet offre notamment des formations et des conseils prodigués par des experts étrangers.

Faible consommation laitière

À noter par ailleurs que depuis six ans, Madagascar fait partie des pays qui célèbrent la Journée Mondiale du Lait. Pour cette année 2024, la célébration s’est déroulée le 1er juin dernier. Elle avait pour objectif de sensibiliser la population aux bienfaits du lait et de ses dérivés et à son rôle essentiel dans le développement socio-économique du pays. À rappeler que la consommation du lait reste faible à Madagascar : 7 litres par an par rapport à la consommation moyenne en Afrique qui est de 40 litres par an. À remarquer en outre que la consommation laitière dans la Grande Île est encore bien inférieure aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (5 contre 60 kg/habitant/an).

L’événement a aussi mis en lumière les Unités de Transformation Laitière (UTLs) et leurs produits ainsi que les Centres de Collecte et de Vente (CCV) bénéficiaires des appuis des partenaires techniques et financiers. La programmation a mis l’accent sur les sensibilisations sur la nutrition, la sécurité sanitaire des aliments et des démonstrations culinaires à base de lait, organisées en collaboration avec le Codex Alimentarius et l’Office Régional de la Nutrition (ORN). Les activités de sensibilisation et de promotion ont touché plus de mille consommateurs urbains.

Pour accroître le niveau de consommation du lait et des produits dérivés, notamment le fromage, différentes initiatives sont en cours. Parmi celles-ci, notons celle de l’Union des coopératives laitières Rova qui a décidé de relever le défi en produisant et commercialisant des produits de qualité destinés au marché local et accessibles aux différentes catégories sociales. Cette organisation travaille notamment dans la professionnalisation des éleveurs et la commercialisation des produits. « Nous développons des services en amont (appui technique et conseil aux producteurs) et en aval de la production (collecte de lait, transformation et commercialisation de produits laitiers). L’approche développée vise à partager la valeur ajoutée et à mieux rémunérer les salariés des transformateurs tout en veillant à la rentabilité économique des activités », explique l’un des responsables.

À savoir que la production de lait à Madagascar est estimée à 50 millions de litres par an alors que la demande du marché est deux fois plus importante. 60 % de la production laitière provient de la région Vakinankaratra. Le potentiel productif (race, climat, fourrage, marché) est important mais à développer. En moyenne, une exploitation laitière compte une surface fourragère de 0,2 ha/vache et 1 à 2 vaches laitières (race locale croisée pie rouge norvégienne), assurant une production moyenne de 1 500 à 2 000 litres par lactation. Pour Rova, il est important de « mettre sur le marché des produits naturels, de qualité, accessibles aux différentes classes sociales, à travers une stratégie efficiente... ».

Rappelons que c’est vers la seconde moitié des années 1980 que les éleveurs laitiers ont commencé à se rapprocher pour mieux peser dans l’économie du lait et des produits dérivés. Au cours des années 90, des projets ont vu le jour afin de mieux accompagner les acteurs de la filière et de mettre en place des centres de collecte au sein des coopératives de base. Ces coopératives contractualisaient avec des industriels pour la vente du lait. En 2002, l’union des coopératives laitières est née. Trois ans après, les relations entre les coopératives de base et les industriels laitiers se sont complexifiées. Aussi, une unité de transformation laitière a été créée et un programme d’action quinquennal élaboré.

L’État et ses partenaires appuient les acteurs de la filière lait et produits dérivés.

Les consommateurs plus exigeants

Malgré un pouvoir d’achat limité, les consommateurs sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de la qualité des produits, en particulier pour les fromages. Raison pour laquelle les acteurs de la filière accordent aujourd’hui un intérêt particulier aux efforts déployés pour assurer la chaîne du froid, du centre de collecte jusqu’au consommateur. Pour Rova, un dispositif de « contrôle qualité » a été mis en place : des tests sont systématiquement réalisés sur la matière première, mais aussi sur les produits finis (flore bactérienne totale et tests bactériologiques spécifiques réalisés dans un laboratoire de santé).

Selon les explications fournies, ce contrôle qualité est validé par un certificat de consommabilité officiel national. Ce qui permet de garantir la qualité des produits au consommateur suivant des normes sanitaires (FAO) et la traçabilité des produits. Des enregistrements systématiques concernant les noms des fournisseurs et des clients pour chaque lot, les volumes et la qualité des produits, la date de livraison et la date limite de consommation permettent d’assurer une traçabilité d’amont en aval.

Pour compléter cette démarche, l’analyse des dangers, l’identification des points critiques et la mise en place de mesures correctives en cas de dépassement des seuils fixés constituent les premiers pas vers une démarche HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point). 

La procédure qualité et la traçabilité permettent d’une part l’optimisation des activités et d’autre part la protection des consommateurs via la sécurité alimentaire et l’information, prévenant les pratiques frauduleuses ou trompeuses. Bien que non obligatoires du point de vue réglementaire, ces procédures qualité permettent de se démarquer et de rassurer les consommateurs.

Selon Sendra Ravelondrakoto, spécialiste en développement rural, les initiatives de Rova et des autres entités impliquées dans le développement de la filière vont transformer notablement le marché des fromages dans les prochaines années. Cet expert fait remarquer que dès le début de cette décennie, des médias internationaux étrangers de premier plan, comme le quotidien français Le Monde, avaient déjà remarqué la mutation en cours. « Raclette, tomes et autres bleus produits sur place séduisent les palais de la classe moyenne », avait rapporté en effet ce journal, qui avait titré qu’à Madagascar, le fromage se démocratise.

Et notre interlocuteur de rapporter aussi les témoignages des paysans dans la commune de Faravohitra, district de Faratsiho. Dans cette partie de l’île, les paysans ont constaté que la demande croissante de fromage sur le marché local fait bouger les lignes. Dans ce contexte, des unités industrielles, à l’instar du Groupe IGP (International Gastronomy Pizza), ont même choisi de produire leurs propres fromages, destinés à être utilisés comme matières premières. L’entreprise Ecofarm, dans la commune de Faravohitra, a indiqué pour sa part « qu’avec les techniques utilisées et le respect des normes, la production de fromage à Madagascar pourrait viser le marché international ».

Entrepreneuriat laitier
Les investisseurs s’annoncent

Le marché du fromage local connaît une croissance continue.

Les véhicules d’investissement sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la filière laitière et produits dérivés. Pour preuve, la prise de participation de Miarakap dans la Laiterie Maminiaina qui, en moins de 10 ans, est devenue une entreprise leader dans la production de fromages à Madagascar.

Selon Miarakap, cet investissement parie sur l’ambition du fondateur de la société qui « valorise l’accompagnement et le réseau au-delà des simples financements, et a annoncé un haut niveau d’attente sur ces points ». L’entrée en scène de Miarakap, « c’est aussi le symbole de la progression d’une équipe d’investissement, qui a construit une relation forte, levé une à une les nombreuses questions posées concernant le marché, les approvisionnements, la transformation, le modèle économique, etc. ».

Concernant les impacts attendus, l’investisseur et le bénéficiaire évoquent plus de six cents éleveurs qui génèrent des revenus quotidiennement, et une amélioration des conditions de vie de plus de trois mille personnes. « L’objectif de tripler la taille de l’entreprise en 5 ans et de se coordonner au mieux avec d’autres acteurs clés du secteur pour promouvoir une filière lait performante et responsable au service du développement d’une région nous motive énormément », a-t-on aussi indiqué.

À savoir, enfin, que l’entreprise nouvellement financée est surtout connue pour son fromage à pâte pressée type Gruyère, Saint-Paulin, et son beurre pasteur. L’entreprise basée à 172 km au sud de la capitale de Madagascar cible la classe moyenne malgache et n’a cessé ces dernières années d’améliorer ses ventes. Même lors de la période de confinement due à la crise pandémique, la laiterie est parvenue à accroître de 15 % ses ventes.

VERBATIM

Suzelin Ratohiarijaona, ministre de l’Agriculture et de l’Élevage

« Nous déployons des efforts importants pour mettre en avant les bienfaits du lait et des produits de la filière comme le fromage, ainsi que les efforts du MDB-Profilait et du MINAE pour le développement de la filière laitière à Madagascar. Les activités de sensibilisation et de promotion touchent des milliers de consommateurs urbains, soulignant l’importance de ce produit dans la nutrition et l’économie locale. »

Hanitra Raharimanantsoa,  mère de famille et amatrice de fromages

« Force est de constater que les fromages de fabrication locale montent en qualité et se diversifient. La foire consacrée aux fromages, organisée récemment, a attiré du monde et les producteurs ont montré qu’ils sont soucieux de la qualité sanitaire et gustative de leurs produits. Tout cela est encourageant bien que ce soit toujours difficile pour nombre de ménages de trouver des produits fromagers à la portée de leur bourse. »

LA FILIÈRE LAITIÈRE EN CHIFFRES


L'Express de Madagascar

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