Accès de solastalgie

Je vous parle (encore) d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, d’années perdues dans les limbes de l’histoire où peuvent encore survivre le souvenir des lieux de jadis, idéalisés après le passage destructeur du temps et des activités humaines. Il fut une époque où les espaces n’étaient pas encore accaparés par des géants de verre, de béton ou d’acier, et qu’on peut faire remonter à une période particulière, celle de « grand-maman ». La référence est, ici, une chanson de Michel Polnareff qui évoque cette mélancolie qui peut nous atteindre quand notre environnement est bouleversé.

Ce sentiment douloureux qui peut nous étreindre quand on traverse l’épreuve de la perte d’un endroit, où le passé a déposé des traces qui sont sublimées par les réminiscences, est ce que le philosophe australien a baptisé « solastalgie », un néologisme issu de la combinaison du latin sōlācium (consolation) et du grec algia (douleur). C’est cette souffrance que peuvent infliger les machines et techniques quand leurs coups dévastateurs (pour ensuite reconstruire ?) touchent aussi le cœur et l’esprit qui assistent à la démolition ou métamorphose radicale de paysages, ou simples terrains vagues, qui ont été les cadres ou fonds des tableaux idylliques peints par la mémoire qui se souvient des heures marquantes et jeux d’autrefois.

« Il y avait, du temps de grand-maman, des fleurs qui poussaient dans son jardin. Le temps a passé, seules restent les pensées. Et dans tes mains, il ne reste plus rien », chantait Michel Polnareff dans l’œuvre musicale évoquée plus haut. Une même affliction peut aussi provoquer une profonde détresse chez celui qui voit l’ancienne étendue remplie par les vestiges des anciennes parties de foot écrasée par les constructions, ou l’asphalte calme, qui a servi de piste de courses enfantines, étouffé par la prolifération des véhicules, ou les rizières et décors bucoliques naturels annihilés par les remblais.

Quand on est en proie à la solastalgie, on peut éprouver de la sympathie pour Morel, protagoniste du roman Les Racines du ciel (R. Gary, 1956), et comprendre les répercussions des ravages écologiques sur son âme qui est aussi affectée par le massacre des éléphants. Car on est, de plus en plus, exposé à la solastalgie avec les grandes altérations environnementales et urbaines qui causent des conséquences psychologiques inimaginables, comme ce que la déforestation peut faire subir au bien-être des personnages du roman L’Arbre-Monde (R. Powers, 2018).

C’est quand on vit de tels instants, qu’on regrette de ne pas avoir apprécié comme il se doit ce chez-soi, aujourd’hui disparu, qu’on devrait être incité à aimer et apprécier ce qui mérite encore de l’être, et qui peut encore être victime des mains humaines.

Fenitra Ratefiarivony

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