Posséder le bon sens, “la chose du monde la mieux partagée” selon Descartes, s’accompagne d’un lourd fardeau que la conscience humaine doit supporter. Être pourvu de ce qu’on appelle l’âme intellective, monopole de l’être humain selon Aristote, nous a donné un don unique qui est la pensée, et avec elle la conscience de notre misère.
Selon Pascal, l’homme est grand en ce qu’il se reconnaît misérable, une connaissance empoisonnée, exclusivité de l’humain, qui meurtrit les âmes et les cœurs. Le roseau le plus faible de la nature est aussi torturé par ce que cette nature lui a donné comme force : l’entendement qui rend sa condition malheureuse à la portée de son esprit qui la saisit.
Dans la riche histoire de la philosophie, où on voit les moments où la réflexion a frôlé le sommet, on retient comment Héraclite et Démocrite ont accueilli cette appréhension de la misère de l’homme. Le premier avec un pessimisme sombre, le second avec un humour qui se manifeste par un rire constant. Deux modèles qui ont montré, avec chacun une intensité exceptionnelle, l’exemple.
“Démocrite et Héraclite ont été deux philosophes, desquels le premier, trouvant vaine et ridicule l’humaine condition, ne sortait en public qu’avec un visage moqueur et riant ; Héraclite, ayant pitié et compassion de cette même condition nôtre, en portait le visage continuellement attristé, et les yeux chargés de larmes. J’aime mieux la première humeur”, écrivait Montaigne. Et l’homme a toujours le choix entre la résignation à la vanité du monde comme l’Écclésiaste ou à en rire.
Si Montaigne préfère légitimement s’orienter du côté de la dérision, le cœur, touché dans sa sensibilité par les coups de l’absurde ou de la l’infortune, peut pencher aisément, comme Schopenhauer, vers une attitude de Cassandre. Ainsi, dans ces alternatives, nous sommes embarqués, malgré notre volonté, dans la valse des sentiments provoqués par la perception de la futilité.
Et les deux comportements peuvent captiver, on peut très bien aimer la mélancolie que peuvent nous transmettre les romans de Kafka tout en appréciant la légèreté et l’ironie qui masquent les sujets plus que sérieux des récits de Voltaire ou de Mark Twain. Peut-on nous reprocher de nous délecter devant les films d’Ingmar Bergman ou de David Lynch tout en savourant l’art de Charlie Chaplin ou de Woody Allen qui ont su donner des visages amusants à cette misère humaine. Les deux positions ont donc contribué à l’enrichissement de notre accès à la compréhension de l’existence.
Fenitra Ratefiarivony