La certaine idée de l’Amérique

Je n’ai pas de sympathie particulière pour le Parti démocrate américain étant plutôt conservateur dans l’âme, mais j’ai apprécié certains passages du président sortant Joe Biden. S’adressant à la nation américaine, pour la première fois depuis l’annonce de son retrait de la course à sa propre réélection, il sut paradoxalement trouver les mots, et les accents, qui lui auront tant fait défaut ces dernières semaines.

«Thomas Jefferson wrote the immortal words that guide this nation. George Washington, who showed us presidents are not kings. Abraham Lincoln, who implored us to reject malice. Franklin Roosevelt, who inspired us to reject fear». 

Le choix de cette liste d’anciens présidents a dû faire l’objet d’un examen attentif : incarner les valeurs de l’Amérique et rassembler au-delà du sectarisme partisan. Thomas Jefferson fut le principal rédacteur de la «Déclaration d’indépendance» avant de devenir le troisième président des États-Unis. À son époque, au tout début du 19e siècle, le duopole Républicain vs. Démocrate n’existait pas encore. À propos de George Washington, le premier président des États-Unis, à «parti politique», on peut lire «sans étiquette» (wikipédia). Abraham Lincoln appartenait au Parti républicain dont il fut membre fondateur. Franklin Roosevelt est finalement le seul membre du Parti démocrate parmi ses illustres prédécesseurs que cita Joe Biden. 

Le discours fut également un hymne à l’Amérique, la certaine idée de l’Amérique, la patrie des «rights, life, liberty, happiness». Avec cette belle envolée : «America is an idea, an idea stronger than any army, bigger than any ocean, more powerful than any dictator or tyrant. It’s the more powerful idea in the history of the world (...) We are a nation of promise and possibilities, of dreamers and doers, of ordinary Americans doing extraordinary things». Ces Américains ordinaires, «We, the People», gouvernent. «The great thing about America is here kings and dictators do not rule». 

L’élection de novembre serait un de ces rares moments dans l’histoire où une décision va déterminer le sort d’une nation, et du monde, pour les prochaines décennies. Joe Biden fait sa part en se retirant : «Nothing can come in the way of saving our democracy. That includes personal ambition». Et parce que la démocratie américaine, dit-il à plusieurs reprises, est en danger. Mais, pas que la démocratie : «The soul of America (is) at stake, the very nature of who we are (is) at stake». 

Pour affronter ce danger et sauver la démocratie, Joe Biden se sacrifie donc et passe le flambeau à une nouvelle génération, «time and place for new voices, fresh voices, yes, younger voices». Éludant son propre âge, 81 ans, Joe Biden épinglait indirectement son rival Donald Trump, 78 ans, face à la «fraîcheur» d’une Kamala Harris, qui entre dans la soixantaine.

 Quand Joe Biden évoque les rois, les tyrans et les dictateurs, il pense très précisément à Donald Trump, celui qu’on dit incarner des penchants autocratiques. Allant même jusqu’à comparer l’éventualité d’une réélection de Donald Trump comme «the worst attack on our democracy since the Civil War».

La guerre de sécession, 1861-1865, fait partie de ce temps long dans lequel Joe Biden inscrit la certaine idée de l’Amérique. Remonter loin dans l’histoire, invoquer les «pères fondateurs», raviver un feu sacré. L’idée que l’Amérique doit se faire d’elle-même repose fondamentalement sur un travail de mémoire. 

«I revere this office, but I love my country more» dit celui qui revendique avoir servi sa nation pendant plus de cinquante ans. Et c’est encore l’Amérique qu’il encense : nulle part ailleurs dans le monde, un gosse affligé d’un bégaiement, depuis des débuts modestes, provinciaux (Scranton en Pennsylvanie et Claymont dans le Delaware), aurait pu un jour siéger derrière le Resolute Desk du Bureau Ovale comme Président des États Unis. «But here I am. That what’s so special about America». 

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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