Histoires d’en France

Alors qu’il définissait la ligne éditoriale du futur «Nouvel Observateur», Jean Daniel, Juif français né en Algérie, partagea ses «anxiétés idéologiques» : «La question s’impose alors de savoir s’il peut exister un socialisme capable d’éviter les crimes du capitalisme et en quoi consiste concrètement ce nouveau socialisme dont le modèle n’existe nulle part - sauf, peut-être, qui sait, à La Havane et à Pékin». Retrouvant ces notes-là en 1973, Jean Daniel d’encore s’interroger : «Aurais-je eu le courage de publier telle quelle cette phrase dès 1964 ? J’observe, en tout cas, que, jusque dans mon intime, Pékin et La Havane me servaient de bouées». Avant de conclure presque douloureusement : «Je ressemblais ainsi à tous ces hommes engagés dans le combat socialiste, nourris dans sa foi, qui n’ont accepté d’en finir un bon coup avec le stalinisme que lorsqu’un grand pays comme la Chine prit la relève de l’espérance marxiste (...) Un point au moins était acquis : le stalinisme devait être partout débusqué (...) Se croire dépositaire de la pensée des «masses» pour leur imposer sa propre pensée sur elles, c’est le plus bel exemple de présomption stalinienne» (in «Le temps qui reste», Stock, 1973, pp.192-193).  

Ils ont convoqué Edgar Morin, 103 ans ce 8 juillet 2024. Et ce dernier, en parlant des «délires», dont peuvent se rendre coupables les sociétés humaines, s’il a justement évoqué l’Allemagne subjuguée par Hitler, n’a pas oublié la Russie étourdie par Staline. 

Si les crimes du nazisme sont abondamment documentés, et chaque année commémorés au nom du nécessaire «plus jamais ça», les atrocités du stalinisme, en comparaison, bénéficient du voile pudique d’un silence qu’on dirait embarrassé. «Vérités gênantes dont Paul Nizan devait mourir», pour reprendre une expression de Jean Daniel (p.22) qui souhaitait «opposer aux faits têtus le délire mythologique». 

Et pourtant, dès 1936, André Gide avait étalé son désenchantement dans «Retour de l’URSS», tandis qu’Alexandre Soljenitsyne témoignait à charge dans «L’archipel du goulag» (1973). Peut-être parce qu’en janvier 1945, au camp d’Auschwitz, les Soviétiques endossaient le rôle de libérateurs tandis que les Nazis étaient pris en flagrant délit de crime contre l’Humanité. Personne n’a dévoilé l’univers des goulags staliniens, comme le général Patton avait imposé la visite du camp de Buchenwald aux habitants de Weimar. Ou comme Dwight Eisenhower, conviant Sénateurs, membres de la Chambre des Représentants et journalistes à venir témoigner de l’horreur. 

Quatre-vingts ans après, à la lecture croisée des résultats du second tour des législatives en France et des prises de position d’avant scrutin, on constate que les Juifs ont de nouveau peur. Mais, moins des héritiers présumés de Hitler que des fils spirituels de Staline.

Le philosophe Alain Finkielkraut avait déjà déclaré ne pas exclure de voter RN pour faire barrage à LFI, parce que «si Jean-Luc Mélenchon arrive au pouvoir, c’est fini pour les juifs». Un autre philosophe, Daniel Salvatore-Schiffer, parle de «ramassis, à quelques honorables exceptions près, d’antisémites, d’islamo-gauchistes, de pro-Hamas et d’anti-Israël, que forme la nébuleuse de la France Insoumise». «La gauche sociale-démocrate a commis une faute en s’associant à LFI», estime un troisième philosophe, Pascal Bruckner, parce que Mélenchon courtise l’électorat islamiste. 

Ce 7 juin 2024, le second tour des législatives en France a débouché sur une majorité du «NFP», qui se revendique du (vrai) «Front Populaire» de 1936. Ce «Front» a réussi son barrage contre le «Rassemblement National», mais les alliances improbables en son sein interrogent et inquiètent. Le 12 juin, le président français Emmanuel Macron avait déclaré que «s’il y en a un qui doit se retourner dans sa tombe, c’est Léon Blum, en pensant qu’on a appelé Front populaire une alliance électorale qui permettra de donner 300 circonscriptions au LFI, à des gens qui ont assumé très clairement de ne pas condamner l’antisémitisme». Président du Conseil en 1936-1937, Léon Blum, juif français, avait été déporté au camp de Buchenwald en avril 1943. Preuve du malaise à gauche, si l’ancien Président François Hollande intégra le NFP, ses anciens Premiers ministres, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve avaient refusé de voter pour un candidat du LFI. 

L’histoire dira si les philosophes avaient raison et qui des sociaux-démocrates se seront dévoyés.

Nasolo-Valiavo Andriamihaja

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