RESSOURCES  - Madagascar joue sa carte sur les minerais critiques

La Corée du Sud a signé un accord avec Madagascar pour la prospection de minéraux critiques.

Selon les observateurs avertis, la Grande île dispose de minerais dits critiques qui peuvent contribuer significativement à la transformation de son économie. Et les dernières actualités semblent confirmer la volonté de l’État d’aller de l’avant dans ce domaine.

Il n'existe pas de consensus universel sur la définition des minerais critiques. Les listes de ces minerais varient selon les régions et les institutions, et leur contenu évolue constamment. Par exemple, l'Australie a classé quarante-sept minerais comme critiques. L'Union européenne (UE) a dressé une liste de trente-quatre matières premières critiques qui sont importantes pour les économies de ses membres. La liste des minerais critiques des États-Unis contient cinquante éléments. Pour un grand nombre de pays industrialisés, les ressources minérales sont critiques s'ils sont essentiels pour une économie à faible émission de carbone ou pour la sécurité nationale, s'ils n'ont pas de substitut et s'ils sont vulnérables aux perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales.

Dans ce contexte, Madagascar se positionne sur l'échiquier mondial des minerais critiques. Récemment, le pays a signé un accord avec la Corée du Sud pour la prospection de ces minéraux. Ce partenariat vise à renforcer leur coopération technologique et industrielle, précise-t-on. D'autres accords avec d'autres pays devraient intervenir dans les prochains mois. Pour Rebeca Grynspan, secrétaire générale de l'ONU Commerce et Développement, les pays africains riches en minéraux essentiels à la transition énergétique mondiale, tels que le cobalt, peuvent alimenter un avenir énergétique durable. Elle s'est exprimée lors d'un événement organisé à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 4 juin, sous le thème « Maximiser le potentiel de l'Afrique : Tirer parti de la demande de minéraux essentiels pour stimuler la croissance inclusive et le développement durable».

Présents dans une multitude de produits aux applications tout aussi diverses, des smartphones aux véhicules électriques en passant par les panneaux solaires, certains minerais revêtent un caractère plus stratégique. La première raison en est qu'ils contribuent à la stabilité économique, étant essentiels à la fabrication de produits industriels clés. La seconde est qu'ils sont intégrés à la compétition technologique, étant au cœur des ruptures technologiques et des produits les plus innovants. Enfin, ils constituent un enjeu central de la sécurité économique des États et des entreprises, car ils entrent dans la fabrication d'équipements sensibles tels que l'armement et les outils de télécommunications de pointe.

Dans le top 10 des producteurs de graphite, la notion de « critique » est donc clairement liée à leur importance dans la chaîne de production, à leur niveau de rareté et à leur position géographique. Pour l'ingénieur des mines, Hantsa Harivony Ralaimalala, qui a produit un panorama des minerais critiques de Madagascar, tandis que les pays développés multiplient les stratégies pour s'approvisionner, sécuriser et stocker les minerais stratégiques, la Grande île tente de se positionner en tant que principal fournisseur de ces matières premières. De ce fait, il est primordial de savoir quels sont les produits à prioriser. Il soutient dans la foulée que les minerais critiques devraient être définis dans le code minier.

De son côté, le ministre des Mines et des Ressources stratégiques, Herindrainy Rakotomalala, ne cesse de rappeler que Madagascar figure dans le top 10 des pays producteurs de graphite, ce qui place le pays parmi les producteurs de minerais critiques captant l'intérêt des grandes puissances. Le membre du gouvernement note également que la cartographie des réserves et de la production des minéraux de transition de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) classe la Grande île au deuxième rang des exportateurs mondiaux de graphite naturel, derrière la Chine.

L'année dernière, lors du Sommet sur les minéraux critiques et les énergies propres organisé par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en France, le ministre a soutenu que nombre de sociétés (souvent des juniors) détenant des permis de recherche portant sur les minéraux critiques avancent rapidement dans leur projet et que la phase d'exploitation a même été franchie pour certaines.

Le dernier rapport de l'Irena (International renewable energy agency) sur l'avenir des énergies renouvelables indique pour sa part que les énergies renouvelables doivent constituer 90 % du mix énergétique mondial d'ici 2050 pour atteindre le net zéro. Cela implique une augmentation de 890 % de la capacité installée actuelle d'énergies renouvelables. Un objectif qui va booster de manière inédite la demande en minerais critiques indispensables pour la confection des panneaux solaires, entre autres. Les spécialistes constatent que les inquiétudes concernant l'accès futur à ces matériaux, la difficulté d'augmenter l'offre suffisamment vite pour répondre à la demande, les augmentations et la volatilité des prix, ainsi que les problèmes géopolitiques s'accumulent.

Nombre de minerais critiques convoités sont encore largement sous-exploités en Afrique en général et à Madagascar en particulier. La région abrite par exemple de nombreux gisements de terres rares, notamment dans sa partie orientale et australe, mais la production reste très faible. La seule extraction actuellement en cours concerne le projet Gakara Rare Earth au Burundi. Pour Madagascar, le projet dans le nord du pays doit encore faire face à une forte hostilité des organisations de la société civile et des groupes communautaires.

Un potentiel encore sous-exploité

Le rapport d’Irena indique aussi que, par ailleurs, d’autres minerais pourraient devenir plus importants et stratégiques à l’avenir. C’est le cas notamment du cobalt (souvent utilisé dans les batteries des véhicules électriques), dont Madagascar figure déjà parmi les fournisseurs, alors que la République Démocratique du Congo détient plus de 50 % des réserves prouvées.

À savoir que Madagascar dispose déjà d’une étude sur la valorisation de l’exploitation des ressources extractives à caractère stratégique. Le rapport fournit, entre autres, une analyse poussée des problèmes et des éléments de blocage du secteur extractif afin d’identifier des solutions pour que l’exploitation de ces richesses contribue réellement au développement du pays. L’étude a été financée par le Fonds Fiduciaire Koafec dans le cadre de l'accord technique de coopération économique Corée-Afrique entre le gouvernement sud-coréen, la Banque africaine de développement et le Fonds africain de développement.

Des recommandations ont été formulées sur des points tels que la revue et la mise en cohérence des textes régissant le secteur, l’opérationnalisation et la décentralisation des structures administratives encadrant les activités d’extraction et de transformation, la pérennisation de l’Extractive Industry Transparency Initiative (EITI), la traçabilité des produits, ou encore la mise en place de contrats miniers.

Quant à l’Office des mines nationales et des industries stratégiques (Omnis), il rappelle que le potentiel du pays en matière de ressources minières stratégiques reste largement sous-exploité. Cet organe justifie ainsi son souhait de renforcer la promotion de Madagascar auprès des investisseurs étrangers pour, d’abord, augmenter le volume des réserves exploitables.

À la question de quel avenir pour Madagascar dans les minerais critiques, l’Office a souligné que les travaux de recherche minière menés ont toujours mis l’accent sur l’exploration des éléments radioactifs et stratégiques, incluant l’uranium, l’ilménite, et des éléments de terres rares. Des travaux d’exploration ont également été effectués sur les platinoïdes et le quartz, considérés aussi comme des minéraux stratégiques.

Pour l’exploration de ces minerais stratégiques, l’Omnis affirme avoir travaillé ces dernières années avec des sociétés comme Uramad, PAM Atomique, Blue Sun Mining, Madagascar Energy Corporation, Madagascar Mineral Field Energy (MMF), Mineral Development Corporation, ou encore Petra Madagascar. On note également la continuation de la collaboration avec Qit Mineral Madagascar dans la région Anôsy, ainsi que celle avec Vuna Group et Madagascar Consolidated Mining (MCM) dans la localité de Sakoa

Madagascar est l’un des grands producteurs mondiaux de graphite.

Un avenir prometteur pour le silicium

Le quartz, duquel on extrait la silice pour produire les panneaux photovoltaïques, est un minerai qui existe en quantité dans le sous-sol malgache. Ce qui amène certains spécialistes à pronostiquer que le silicium devrait être le produit minier phare du pays, aux côtés du nickel et du graphite. 

Quand on évoque les panneaux photovoltaïques actuellement commercialisés ou des travaux de recherche préfigurant la nouvelle génération de cellules solaires, la silice (ou dioxyde de silicium SiO2) représente toujours le matériau de base incontournable pour les produire.

Fabriqué sous forme de lingot quasiment pur, le silicium est découpé en fines tranches, appelées wafers, qui sont traitées pour obtenir une face positive et une face négative afin d’en faire des cellules photovoltaïques. Si la silice est largement disponible et peu chère, c’est sa transformation en silicium, puis la découpe et le traitement chimique des wafers qui coûtent chers. Et c’est là que se trouve l’opportunité pour Madagascar de développer ce créneau dans le cadre de sa politique d’industrialisation.

D’après l’Agence Internationale de l’Énergie, le solaire photovoltaïque misant sur le silicium jouerait un rôle de premier plan, en fournissant au moins le tiers de la production mondiale d’électricité en 2050. Le solaire photovoltaïque passerait ainsi d’une production mondiale de 820 TWh en 2020 à 23 500 TWh dans 30 ans, c’est-à-dire presque autant que la production annuelle totale d’électricité aujourd’hui (27 000 TWh).

D’après le résultat des études réalisées par le service géologique national français (BRGM), les régions de Mananara – Rantabe (au nord de Foulpointe) et à l’ouest d’Antsirabe sont les zones où l’on trouve les plus importantes réserves de silicium contenu dans le quartz. Les régions de l’Ihorombe (à l’ouest d’Ihosy et à Tsivory) et Tsiroanomandidy peuvent également révéler des réserves conséquentes. Selon les statistiques officielles, Madagascar exportait dans les années 1980 entre 1800 et 2000 tonnes de quartz par an. Mais ce chiffre a nettement baissé depuis. L’heure est donc à la relance.

Projets miniers gourmands en capitaux

La grande île a une carte à jouer dans le silicium.

La Chambre des Mines de Madagascar (CMM) souligne que les projets dans le secteur extractif, notamment concernant les minerais critiques, nécessitent d’importants investissements et de la patience. Pour un projet d’exploitation d’envergure, une dizaine d’années peuvent s’écouler entre la découverte d’un gisement et son exploitation. Sans oublier les énormes investissements : plus de 6 milliards de dollars US, par exemple, pour le projet Ambatovy et plus d’un milliard de dollars US pour le projet de QMM.

« L’exploration est un long processus avec un risque d’échec élevé. Le processus est très coûteux et assez complexe. On retient que les chances de découverte d’un gisement sont infimes : sur dix mille gisements en exploration, il est estimé qu’un sur mille sera rentable », indique la CMM. L’évaluation économique du gisement nécessite généralement une étude de préfaisabilité et de faisabilité pour évaluer la valeur du minerai, les coûts d’exploitation et d’immobilisation, le plan de développement et d’exploitation, et le cash-flow qui sera généré. C’est lorsque le gisement est économique que les ressources deviennent des réserves.

La CMM note en outre que le développement de la mine nécessite un capital important, de l’énergie, une main-d'œuvre qualifiée et de l’eau. Une fois en production, la mine doit faire face à des dépenses annuelles importantes. Les coûts décaissés sont : les coûts directs de production, de la mine et de l'usine ; les coûts d’administration ; les coûts des relations communautaires, l'obtention des permis, les travaux de maintenance, les coûts de réhabilitation... À la fermeture de la mine, il faut empêcher la dégradation environnementale, rétablir les concentrations chimiques de fond naturelles, retirer les infrastructures et faire le suivi (passif ou actif).

Mais la Chambre estime que Madagascar a un avenir certain dans les minerais critiques et doit se positionner face aux concurrents. « Nous sommes en concurrence avec plusieurs pays en Afrique, en Asie et ailleurs. Nous devons avoir un cadre compétitif permettant d'attirer des investisseurs sérieux et responsables qui veulent travailler sur le long terme », soutient-elle.

VERBATIM

Herindrainy Olivier Rakotomalala, ministre chargé des Mines 

« Madagascar et la République de Corée ont signé un Mémorandum d’Entente. Outre le renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays, cette Entente représente une opportunité pour la Grande île d’acquérir des parts de marché durables et compétitives pour satisfaire la demande concernant l’approvisionnement en minéraux critiques sur le plan international ».

Dr David Rakoto, enseignant-chercheur, économiste

« Le sous-sol malgache possède des minerais critiques très recherchés par les grandes industries internationales. Mais l’enjeu réside dans notre capacité à profiter au mieux de ces ressources. Il faut, entre autres, mettre en place des programmes de formation se conformant aux attentes des projets miniers afin d’éviter le recours à la main-d'œuvre étrangère ».

LES MINERAIS CRITIQUES EN CHIFFRES

L'Express de Madagascar

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